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A Short Story : La véritable histoire du Dahlia noir

Publié par - 18 janvier 2023

Catégorie(s): Bande dessinée

Le meurtre suscite un intérêt particulier chez l’homme. Il provoque un besoin vital de découvrir le coupable, d’entendre quelles étaient ses méthodes et ses motivations. Et lorsque l’identité du tueur reste un mystère, l’intérêt peut se muer en fascination. L’affaire sort de son cadre légal et entre dans l’imaginaire collectif comme une énigme dont s'empare le public, y compris les artistes. L’une des plus connues, encore aujourd’hui, est l’affaire du Dahlia Noir, surnom donné à la victime de ce meurtre, Elizabeth Short. Tout comme James Ellroy, Brian de Palma ou encore David Fincher avant eux, les auteurs de bande dessinée Run et Florent Maudoux se sont penchés sur cette affaire pour en revenant à cette occasion au principe fondamental de toute enquête : s’intéresser à la victime.

Dans l’Amérique de 1947, le meurtre de Elizabeth Short a de quoi choquer. La découverte de son corps mutilé, coupé en deux, déteint avec le tableau idyllique du Los Angeles de l’âge d’or hollywoodien. Mais qui pouvait bien être cette jeune femme ? Un tatouage sur la cuisse associe, par un raccourci, Elizabeth Short à la prostitution. La presse conclue alors que Elizabeth Short était une prostituée qui se serait attirée des ennuis. On parle aussi d’une femme fatale avide de gloire ou d’une lesbienne. En somme, l’opinion publique tente de justifier la destinée de la jeune femme. Nous ne sommes pas loin de la rendre coupable d’avoir motivé un tel acte. Rien d’anormal et il y aurait presque une certaine logique à la mort de Elizabeth Short.

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Avec le recul, le travail d’enquête reposant sur des dossiers déclassifiés, des témoignages recoupés et des archives de journaux dresse un portrait tout autre de la jeune femme. Run et Florent Maudoux reprennent l’histoire d’Elizabeth Short en la restituant dans sa chronologie. Ils commencent par sa naissance. Dans un style surprenant, pour une bande dessinée, l’histoire d'Elizabeth Short est majoritairement descriptive. La froideur textuelle accompagnée de photos et d’annotations donne des airs de rapport policier à l’ouvrage. Il n’est ici plus question de fantasmes, seulement les faits, comme dans une approche journalistique. Un ancrage strict dans le réel est de rigueur, malgré quelques effets de styles, pour présenter la psychologie des personnages. Entre les troubles familiaux d’Elizabeth Short et ses amours compliqués se dévoile une jeune femme rêveuse, d’une nature sociable sans équivoque et, comme tous les jeunes gens de son âge, qui aimait s’amuser. Admiratrice des stars de cinéma, elle était donc partie pour la Californie avec la fougue de la jeunesse, celle de quelqu’un qui a toute la vie devant elle et la volonté de provoquer son destin.

Le rêve se confronte néanmoins à la réalité. Soldats déserteurs, maris infidèles, photographes de charme et femmes désabusées côtoient Elizabeth Short la rêveuse obstinée. Des criminels aux motivations troubles rôdent par ailleurs dans l’ombre. La Californie s’imprègne d’une atmosphère aussi irrespirable que le nuage de pollution qui enveloppe Los Angeles. Le style des dessins aux couleurs pastel, calqué sur les innombrables cartes postales qui parsèment l’ouvrage, s’assombrit jusqu’à laisser place au noir et blanc. L’histoire prend des airs de polar et de film noir. Genre toujours prétexte à l’exploration des passions humaines et des travers d’une société. Les passages sous la forme d’une bande dessinée montrent la personnalité, d’abord enjouée, de la future victime qui se laisse envahir petit à petit par une angoisse constante. Grâce au traitement visuel et textuel du récit, le Dahlia Noir, l’affaire, laisse à nouveau surgir de l’humain aux yeux du lecteur.

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L’ouvrage accompagne pourtant la marche d'Elizabeth Short vers son tragique destin avec pas mal d’incertitudes. Les passages de bande dessinée montrent parfois des criminels intéressés par la jeune femme mais sans jamais faire état de leur identité. Nombre des fréquentations et activités d’Elizabeth Short, en particulier la semaine qui précède le meurtre, restent inconnues. Malgré un rapport riche en détails, nous, lecteurs, avons le sentiment de parcourir la Californie aux côtés d’Elizabeth Short à la fois comme un biographe mais aussi comme un voyeur fasciné par le mystère de cette jeune femme. Plutôt qu’un biopic, sans doute sommes-nous plus proches d’interrogations hitchcockiennes.

Au service de leur enquête, Run et Maudoux multiplie les citations afin de revendiquer quelques influences narratives et visuelles pour offrir une approche aussi complète que possible de la fameuse affaire du Dahlia Noir. Le dessin montre l’image que renvoyait Elizabeth Short à ses contemporains. Celui d’une femme charmante, joviale mais entourée de dangers. De la même manière, le dessin traduit aussi d’autres impressions : Elizabeth Short est considérée aussi comme une manipulatrice, voire comme une personne instable, et son attitude générale était perçue par certaines personnes comme de la vanité. Néanmoins, les textes parsemés de quelques envolées lyriques et de descriptions émotionnelles apportent des éléments qui modifient cette interprétation hâtive.

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L’image de la femme fatale qui colle à Elizabeth Short devient compréhensible en raison des témoignages disparates mais est aussitôt contredite lorsque le travail d’enquête révèle d’autres traits de caractère de la jeune femme. Elizabeth Short se révèle plutôt comme une ingénue touchante, attirée par la lumière d’Hollywood comme un papillon de nuit mais bien vite perdue dans une Californie moins reluisante que prévu et où le glamour semble la clé de la réussite. Ses rapports aux autres, au diapason de ses rêves de gloire et de mariage parfait, deviennent tristes au vu de son passé empreint de difficultés et de pertes. En somme, l’interprétation visuelle révèle les incertitudes qui demeurent autour de l’affaire. Le texte reste le support de prédilection de l’information permettant la pleine compréhension des choses.

L’association des supports humanise la victime et renvoie à l’atrocité du crime. Les théories énoncées par la presse de l’époque prennent une dimension moralisatrice condamnable. L’injustice du meurtre d'Elizabeth Short reste l’essence du projet. Et au sein de la côte ouest américaine en pleine ivresse, on peut sans doute deviner une part de déni. Un crime aussi abject ne pouvait pas toucher une jeune femme innocente et rêveuse en quête de son propre rêve américain comme Elizabeth Short. Sans doute le lecteur peut-il se consoler avec cette enquête produite à partir de différentes techniques artistiques puisque l’ouvrage reconsidère l’humain dans cette affaire irrésolue. La justice est avant tout une quête de vérité. Et à défaut de coupable, l’histoire du Dahlia Noir peut être appréhendée loin des préjugés de son temps.

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Crédit images : copyright Florent Maudoux, Label 619 / Rue de Sèvres, Paris, 2022

 

 

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