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Les Espions et La Femme sur la Lune

Publié par - 7 février 2023

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Les éditions de La Femme sur la Lune et Les Espions, toutes deux chez Potemkine films, s’inscrivent dans la continuité de l’excellent Blu-ray consacré à Metropolis sorti en décembre chez le même éditeur. Les Espions et La Femme sur la Lune suivent Metropolis dans la filmographie du cinéaste. Après l’échec cuisant de Metropolis, la UFA réduit copieusement le budget des deux films qui devaient suivre selon le contrat signé avec Lang. Nous le savons, imposons des contraintes à un créateur et il devra redoubler d’ingéniosité pour contourner les obstacles qui se présenteront. C’est très exactement ce qui se passe ici avec Les Espions et La Femme sur la Lune. Lang s’adapte et réussit deux films a priori infaisables avec un budget aussi mince. Le brio mis en évidence par les deux réalisations souligne combien Fritz Lang est aujourd’hui encore incontournable. Et cela se vérifie régulièrement puisque les séances de ciné-club ou d’études cinématographiques autour de Lang parviennent toujours à satisfaire une audience pourtant de moins en moins habituée aux rythmes et aux logiques narratives ou expressives imposées par le cinéma antérieur aux années 1960. Le crédit accordé au cinéma de Lang depuis ses débuts cinématographiques, à de rares exceptions près, se vérifie encore aujourd’hui. Sans doute parce que ce succès d’estime relève d’une considération artistique, entre autres, imprégnée de l’idée que les films en général et ceux de Lang en particulier reflètent leur temps avec insistance.

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Les Espions

Dès les années 1920, sous l’influence de quelques cinéastes résolument modernes, le cinéma s’est peu à peu mué en témoignage historique ou en matériau de réflexion sur une époque et sur un monde. Avec le recul, un constat s’impose : aussi divers soient les films réalisés par Lang dans les années 1920, des Trois lumières en 1921 à La Femme sur la Lune en 1929, tous renseignent sur l’état d’une société examinée selon un principe de déterminisme historique.

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Les Espions

Cette approche du sujet filmique chez Lang, même si nous pouvons prêter à d’autres cette même qualité, peut être perçue comme une anticipation sur plusieurs phénomènes cinématographiques ultérieurs, de la science-fiction aux peintures d’univers dystopiques sans oublier, bien sûr, l’émergence du Néo-réalisme. Chez Lang, le plus important (c’est le cas dans Les Trois Lumières, dans Les Nibelungen, dans Metropolis ou dans La Femme sur la Lune), c’est de ne surtout pas caractériser ses personnages selon une logique historique teintée de mythologie ou de croyances culturelles diverses pour atteindre une certaine vraisemblance. La crédibilité, la plausibilité, chez Lang, appartiennent à la représentation de l’humain que le cinéaste modélise à partir de qualités concrètes mais aussi à partir de défauts, de contradictions, d’espoirs et, surtout, par la manière d’inscrire l’humain dans la marche de son temps. Si ce principe paraît évident pour des œuvres comme Docteur Mabuse le joueur, film auquel fait écho Les Espions, il ne faut surtout pas négliger cet aspect, encore moins peut-être, lorsque nous observons des œuvres telles que Les Nibelungen ou Metropolis, catégorie de films à laquelle il faut associer La Femme sur la Lune.

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La Femme sur la Lune

Quelques concessions à une vision romanesque de l’intrigue sont parfois présentes, au moins dans la période allemande de Lang, comme en témoignent Les Espions et La Femme sur la Lune. Ces digressions apparaissent dès lors qu’il s’agit de traiter du sentiment amoureux qui correspond plus ici à une exaltation attendue des passions qu’il ne répond à une réalité affective. Cette exploitation du sentiment induit quelques attitudes qui se matérialisent dans la direction des comédiens. Phénomène d’autant plus perceptible dans les deux éditions proposées en ce début d’année par Potemkine Films que les couples principaux de La Femme sur la Lune et des Espions sont interprétés par le même duo de comédien, Willy Fritsch et Gerda Maurus.

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La Femme sur la Lune

Dans les deux films, même si c’est plus retors dans La Femme sur la Lune, l’amour qui existe entre les personnages est d’une évidence notable dès la première scène qui réunit les protagonistes. L’amour qui les unit d’emblée dans Les Espions ou qui demandera quelques concessions ou quelques adaptations dans La Femme sur la Lune ne peut être remis en question quelles que soient les épreuves endurées. Ce traitement du sentiment pourrait, dans une certaine mesure, contrarier la dimension réaliste souhaitée par Lang pour le traitement de l’action. Or il n’en est rien, au contraire. Car Lang utilise l’artificialité du sentiment exploré dans ses films pour mieux souligner l’importance du réalisme qui régit la fabrication des images ou qui nourrit le tissu narratif.

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Les Espions

Lang n’hésite jamais à introduire des idées empruntées à des événements contemporains de la mise en production de ses films. Les Espions regorge de péripéties qui firent la une des journaux de l’époque de l’invention de la micro caméra aux assassinats divers d’hommes proches des pouvoirs étatiques par exemple. Introduire à l’histoire simple d’un film des faits internationaux qui firent l’objet de débats relayés par les organes de presse de l’époque est en soi une sorte de revendication de l’importance du réel dans la construction scénaristique et formelle du film. C’est pour Lang une manière d’intégrer le tout, la dimension internationale des événements, au singulier, la trame d’un film. Cette relation microcosme/macrocosme se vérifie également dans la mise en scène des Espions. Pour limiter le coût du tournage, Lang va opter très souvent pour l’usage du gros plan. L’intérêt est multiple. Outre l’économie de moyen que le gros plan implique, il devient, en terme de sémantique, la figure principale du film. Le gros plan traduit ici un intérêt pour le détail, bien sûr, mais il est surtout au centre des problématiques soulevées par le film. Le gros plan résume le propos, il le complète et surtout il nourrit le film d’un sens abstrait que Lang formulait habituellement par un rapport volumétrique établi entre le jeu des comédiens et le réseau de lignes composées par le décor. Dans Les Espions, le gros plan suggère, évoque, convoque, représente, esthétise et magnifie des actes soumis à une gestuelle précise, le gros plan désigne et symbolise.

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Les Espions

Lang qualifiait Les Espions de « petit film avec beaucoup d’action ». À la relecture du film, force est de constater que le cinéaste faisait preuve de modestie. Le film est bien plus. Il est objet de recherches formelles qui permettent à l’œuvre de s’affranchir des limites fixées par le film de genre. La séquence d’ouverture du film est à ce titre une véritable profession de foi. Nous assistons à une alternance de plans serrés et de plans plus larges et nous parviennent des éléments visuels qui appartiennent à l’actualité contemporaine de l’Allemagne, des plans tournés en décors naturels, etc. Et puis surtout des mains, en gros plan, qui ouvrent un coffre-fort. Les mains de Lang ? Quoiqu’il en soit, cette série de plans résume une intentionnalité précise qui sera celle qui gouvernera à la mise en place de la figure de style principale, le gros plan. Derrière l’évidence se dissimulent des actes souterrains que le cinéaste se propose de mettre à nu par l’intermédiaire de la figure évocatrice du gros plan. Notre regard pourra visiter des espaces qui nous sont habituellement interdits et c’est dans ces lieux, pour le cinéaste, que se discute et se définit la réalité du monde.

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Les Espions

Dans le cas de La Femme sur la Lune, c’est la figure féminine incarnée par Gerda Maurus qui intrigue le plus. Car celle-ci s’offre en comparaison avec le rôle tenu par l’actrice dans Les Espions. Gerda Maurus interprète deux visages diamétralement opposés de la femme de son temps. Séductrice et chargée d’une tension érotique lors de son apparition dans Les Espions, le personnage se transformera en incarnation de la pureté prête à tous les sacrifices pour aider l’homme qu’elle a aimé dès le premier regard dans La Femme sur la Lune. Au début de ce film, Friede, le personnage campé par Gerda Maurus, ne possède pas les mêmes atouts et ne joue pas des mêmes ressorts de séduction que son personnage de Sonja dans Les Espions. Elle est au centre d’un trio d’amis et par ailleurs collègues où le sentiment s’est transformé au fil du temps. L’amitié a cédé le pas à l’amour. Par dépit ou pour inviter le véritable être aimé à se manifester, Friede choisit pour compagnon de cœur Hans Windegger (Gustav von Wangenheim) plutôt que Wolf Helius (Willy Fritsch). Le spectateur n’est pas dupe, il sait que quelque chose ne va pas et que le voyage annoncé vers la Lune sera aussi et surtout l’objet d’une initiation au sentiment amoureux.

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La Femme sur la Lune

L’interprétation que fait Gerda Maurus de son personnage de Friede interpelle. Ce n’est plus le sentiment qui est ici la cause de la présence de l’artifice mais la conduite du personnage qui traduit une forme de sanctification du féminin. Le titre ne dissimule d’ailleurs rien des intentions de l’auteur, c’est la femme qui est au cœur du projet et qui constitue le point d’équilibre formel et narratif du film. Dès l’apparition de Friede, le spectateur sait. Elle est le nœud causal du récit. Lorsqu’elle impose sa présence au sein de la mission lunaire, personne ne s’oppose à sa présence car il est presque déjà admis qu’elle sera le catalyseur de l’expédition. Mieux, tout le monde a conscience, spectateur compris, que Friede est le véritable objet de la mission puisque la véritable Lune que doit décrocher Helius, c’est elle. En somme, Les Espions et La Femme sur la Lune sont des petits films pour Lang mais de grandes œuvres pour l’humanité. C’est dire l’importance du cinéaste.

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La Femme sur la Lune

Crédit photographique : © Universum Film (UFA) et Copyright D.R.

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Suppléments :
Les Espions
Blu-ray :
Entretien avec Bernard Eisenschitz, historien et spécialiste de Fritz Lang (36')
"The Void Machine" : texte de Murielle Joudet, montage par Julien Wautier (13')
"Un petit film mais avec beaucoup d'action" : documentaire (69')
Un texte d'Olivier Père, directeur général d'ARTE France Cinéma

DVD :
Entretien avec Bernard Eisenschitz, historien et spécialiste de Fritz Lang (36')
Un texte d'Olivier Père, directeur général d'ARTE France Cinéma

La Femme sur la Lune
Blu-ray :
Entretien avec Bernard Eisenschitz, historien et spécialiste de Fritz Lang (39')
"En apesanteur" : analyse par Julien Wautier et Céline Staskiewicz (10')
Un texte d'Olivier Père, directeur général d'ARTE France Cinéma

DVD :
Entretien avec Bernard Eisenschitz, historien et spécialiste de Fritz Lang (24')
Un texte d'Olivier Père, directeur général d'ARTE France Cinéma

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