Splitscreen-review Image de Empire of light de Sam Mendes

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Empire of Light

Publié par - 3 mars 2023

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Le nouveau film de Sam Mendès, Empire of Light, au regard de l’ensemble de l’œuvre, se présente comme un changement de paradigme. Si certaines problématiques récurrentes sont toujours très présentes (famille dysfonctionnelles, contraintes imposées par le collectif, affects phagocytés par la société, etc.), Empire of light se charge d’en modifier les perspectives. Empire of Light travaille toujours autant la question des blessures intimes mais le cinéaste les ausculte en leur donnant une matérialité physique qui s’exprime par la singularité du lieu choisi pour abriter le développement du propos, un cinéma.

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Pas n’importe lequel, l’Empire (objet également du titre) qui, à l’évocation de son nom, introduit la considération d’un passé majestueux. L’action du film se déroule au début des années 1980 à Margate, ville côtière du sud de l’Angleterre située à une vingtaine de kilomètres au nord de Douvres. L’Empire assume avec une apparente fierté son architecture art-déco (le cinéma du film a emprunté l’espace de Dreamland, vaste complexe d’attractions) mais perd au fil du temps son rôle de point d’ancrage social. Derrière le lustre du lieu, encore perceptible à travers le hall d’accueil et les deux salles de projection, se cache une réalité qui constitue en soi les prémisses d’une désaffection progressive des salles de cinéma. Mais nous aurions tort de considérer que Empire of Light est consacré à la particularité de l’exploitation des films en Angleterre. Il faut aller au-delà de l’écran pour que des éléments révèlent en profondeur les intentions du film.

L’Empire est en soi un microcosme social et les espaces intérieurs du cinéma se font l’écho des personnalités qui œuvrent au fonctionnement du cinéma. Pour chaque personnage, un lieu lui correspond : un projectionniste, la direction, la caisse, la vente de friandises, l’accueil et le contrôle des billets, etc. Et puis une salle de repos et un vestiaire qui font office d’espace communautaire où les fonctions de chacun s’estompent momentanément pour laisser les regards ou les mots exprimer un ressenti, une émotion, une attirance ou, à l’inverse, dissimuler derrière les attitudes des afflictions plus ou moins sévères.

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Une personne, plus que le directeur du cinéma (Colin Firth), est capable de traverser tous les espaces, Hillary (Olivia Colman), la responsable de l’exploitation du lieu et des opérations quotidiennes. Elle sera le moteur de la mise en scène. Lorsqu’un nouvel employé rejoint l’équipe, Hillary a la charge de lui transmettre les informations nécessaires pour répondre aux attendus du poste. Et justement, la routine du cinéma change lorsque Stephen (Micheal Ward) intègre l’équipe de l’Empire. Stephen est très vite à l’aise au sein de l’Empire, espace où sa couleur de peau ne semble pas constituer un frein à son épanouissement. Lors de la visite des lieux en compagnie d’Hillary, Stephen insiste pour accéder à l’étage supérieur de l’établissement, fermé et condamné. Hillary hésite et finalement accepte. Là, le spectateur découvre un autre cinéma, un monde où le fantomal règne. La partie cachée du cinéma se compose d’une vaste salle de réception avec des baies vitrées qui donnent sur la mer et deux salles de projection. Autrement dit, l’espace qui se dévoile ici introduit dans la lecture du film une figure du double qui agit, même de manière rétroactive, sur ce que le spectateur perçoit des événements.

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L’espace abandonné du cinéma dans les étages supérieurs invite à d’autres interprétations des faits et donc à formuler d’autres hypothèses de lecture de l’œuvre. Car sitôt les nouveaux espaces révélés, le film bifurque et engage à regarder les choses différemment. Le cinéaste en profite pour installer dans son schéma narratif et formel des questionnements qui habitent le rapport, parfois inconscient, qui existe entre le spectateur et l’image cinématographique. Pour comprendre la profondeur d’une création artistique, peu importe sa nature, il est toujours préférable de considérer les conditions d’existence et d’émergence de l’œuvre pour accéder à son sens profond. Il est donc nécessaire de s’affranchir de l’évidence des apparences et des premières impressions pour atteindre ce qui finalement importe le plus. Hillary et Stephen s’imposent alors comme les personnages centraux de l’intrigue et les regards, les mots, les gestes contenus ou les contritions à peine voilées renseignent sur la pénibilité de leur quotidien.

Pour Stephen, homme d’origine jamaïquaine, le racisme ambiant cultivé dans l’Angleterre thatchérienne est palpable dès l’apparition du jeune homme (presque un rôle de continuité pour Micheal Ward puisqu’il interprétait l’un des rôles principaux dans un épisode de la série de Steve Mc Queen intitulée Small Axe : Lovers Rock). Les regards étonnés de son intégration au personnel, s’ils n’affichent aucune réticence palpable, en disent long sur l’audace du recrutement. Qu’à cela ne tienne, l’Empire est le lieu où s’élabore un équilibre communautaire qui ressemble à une structure familiale. Stephen est le bienvenu, ici du moins.

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Mais dans toute famille existent des dysfonctionnements souvent indexés sur un comportement particulier ou sur la volonté de n’accepter aucun consensus. L’élément perturbateur de l’équilibre « familial », ici, c’est Hillary, femme à la nature contrariée. Sans manichéisme, l’image du film adopte des changements de lumière (sans parler d’un montage plus brutal) qui teintent les espaces du cinéma en fonction des humeurs d’Hillary. Le découpage ou les déplacements de la caméra nous permettent d’accéder à tous les espaces, comme Hillary, et participent d’une abolition des frontières qui séparent l’identité profonde du personnage de l’espace public pour matérialiser sans fard les tourments qui la meurtrissent.

En d’autres termes, Empire of Light établit une réflexion sur le littéral et sur le figuré, sur le substantiel et sur le suggéré. Le film se propose de parcourir une époque particulière (l’Angleterre des années 1980) en mesurant les effets des décisions politiques sur les individus (le tangible) et, en même temps, peut se concevoir comme un rappel du rôle social du cinéma à travers le rapport qui s’instaure entre l’écran et le spectateur (ce qui est insinué).

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Le lieu, puisqu’il donne son titre au film tout en insistant sur la dimension prométhéenne du cinéma (la lumière qui apporte la connaissance), figure toutes les problématiques liées aux personnages et au devenir du cinéma. Le danger qui guette Stephen, physiquement présent dans plusieurs scènes, s’inscrit dans la partie de l’Empire accessible au public tandis que les maux immatériels qui hantent Hillary ressurgiront dans la partie du cinéma inaccessible au public. Quant à l’art cinématographique, il est bien présent dans chaque séquence puisque le spectateur est encouragé à ne pas se contenter du rapport à deux dimensions qui existe entre lui et l’écran mais bien à considérer qu’il faut aller voir derrière la surface des images pour découvrir la finesse de l’œuvre.

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Crédit photographique : Courtesy of Searchlight Pictures. © 2022 20th Century Studios All Rights Reserved.

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