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Tunic

Publié par - 15 mars 2023

Catégorie(s): Jeux vidéo

La nostalgie n’est pas une émotion très valorisée. Corollaire du syndrome de Peter pan, une œuvre qui jouerait sur elle serait issue d’une intention commerciale sournoise et délétère qui exacerbe un blocage dans le passé. Néanmoins, cette analyse a ses limites. Face à un jeu comme Tunic, création d’un seul homme, Andrew Shouldice, un paradoxe apparaît. Son jeu présente des similarités innombrables et des clins d'œil appuyés à la célèbre série de Shigeru Miyamoto et Takashi Tezuka, The Legend of Zelda. En particulier au premier épisode sur NES sortit en 1986. Mais si son objectif n’était que de faire une copie conforme d’un jeu connu du grand public, pourquoi la difficulté est-elle aussi élevée et l'histoire aussi mystérieuse ? D’autres références, plus récentes, apparaissent. Tunic proposerait-il donc autre chose qu’un retour en arrière ?

Dans son récit, comme dans sa jouabilité, le jeu fait démarrer le joueur dans une ignorance totale. À peine appuie-t-il sur Nouvelle Partie qu’il se découvre comme un petit renard en tunique verte endormi sur une plage inconnue. Sans identité, sans indications, le héros ne peut que partir à la découverte d’une terre inconnue. Une île remplie de monstres, de monuments étranges, de cavernes obscures et où se trouverait, apparemment, un étrange personnage prisonnier d’un temple. Sa libération exigerait de retrouver trois cristaux magiques protégés par de puissants gardiens. L’aventure semble claire.

Ce n’est toutefois qu’une façon de parler. L’univers de Tunic est après tout marqué du sceau du secret. Le joueur découvre assez vite des objets étranges et, surtout, des feuilles de papier qui se présentent comme les pages du manuel d’un vieux jeu. Quelques mots et images donnent le minimum pour apprendre à survivre, mais en réalité les textes sont dans un langage inconnu. Seuls quelques mots sporadiques semblent donner des pistes pour comprendre comment maîtriser le jeu et comprendre son univers. L’hommage à Zelda se voit donc en réalité conçu dans un moule similaire à Dark Souls.

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Tout comme dans la série de From Software, avancer dans l’univers de Tunic demande au joueur une implication forte. Les créatures qui peuplent les environs ne sont pas aussi simples à combattre que le laisserait penser leur esthétique enfantine, toute ronde et coloré. Leur puissance est réelle et leurs techniques, redoutables. Les vaincre exige une maîtrise certaine de son avatar, une gestion réfléchie de son endurance et une bonne mémorisation des actions des adversaires pour mieux éviter leurs assauts et profiter des ouvertures offertes. Les capacités des armes et objets changent le rapport au niveau et aux ennemis, leur donnant une fonction pratique pour résoudre des problèmes. Le fouet peut déstabiliser certains ennemis et donner un avantage concret. Pas d’interchangeabilité fondée sur des statistiques, chaque outil est précieux et en demande la maîtrise.

De même, la compréhension de ce monde et la découverte des prochaines étapes demandent au joueur de réfléchir. Qui est ce mystérieux prisonnier ? Pourquoi le polyèdre au cœur du temple ressemble-t-il à sa cellule ? Que sont ces ruines dispersées partout sur l’île ? Et qui est cet avatar dont on découvre les tombes un peu partout ? L’absence d’information, ou plutôt leur dissimulation globale, pousse à observer et faire le lien entre les éléments par soi-même. Les événements ne sont pas racontés mais déduits. Un exercice que le créateur des Dark Souls, Hidetaka Miyazaki, se plaisait à faire dans sa jeunesse. Puisque, ne maîtrisant pas pleinement l’anglais, les romans de fantasy qu’il affectionnait tant le poussaient à combler ses lacunes par la déduction et l’imagination.

Ce goût du secret transparaît également dans l’usage de la perspective. La caméra en vue isométrique, fixée à un angle précis la majeure partie du temps, dissimule des accès et objets qui sont toutefois accessibles. Le joueur se retrouve surpris lorsqu’après avoir bataillé pour traverser une zone, il découvre au détour d’une cascade qu’un passage direct était dissimulé par le moulin qu’il venait de passer. Tunic laisse le joueur tâtonner et récompense sa curiosité pour graver le réflexe d’exploration dans son esprit. Armé de son petit bâton, le joueur redevient l’enfant espiègle qui court partout, se perd parfois et chérit ses découvertes. Un état d’esprit semblable à celui de Shigeru Miyamoto dans sa jeunesse, lorsqu’il explorait les bois, et dans lequel il puisa son inspiration pour créer le tout premier The Legend of Zelda.

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À l’image de ces deux concepteurs renommés, Andrew Shouldice reconnaît une prise d’inspiration dans sa jeunesse. Alors qu’il regardait jouer les autres par-dessus leur épaule, il savourait de comprendre le jeu grâce à leur manuel. Pendant plusieurs décennies, l’histoire et la fonction des objets de nombreux jeux n’étaient expliquées que dans de petites pages froissées et annotées. L’expérience de jeu était souvent dépourvue des nombreux tutoriels et indices qui saturent souvent les grosses productions. Ce choix, qui s’expliquait auparavant par des limitations techniques, se justifie cette fois par une envie de se focaliser sur une soif provoquée de découvertes, un retour aux intentions premières du premier Zelda.

La direction artistique haute en couleurs et formes simplifiées renvoie à certains dessins animés et jeux japonais, en particulier Dragon Quest, dont l’ennemi emblématique est un slime, tout comme le premier adversaire de Tunic. La mélancolie provoquée par l’ambiance sonore de ces terres, emplies de ruines et de drames suggérés, oscille entre l’orchestrale et le style 8-bit, comme un film de Hayao Miyazaki adapté sur NES. Le récit tragique qui se dessine au fur et à mesure reste pourvu d’un aspect abordable par les plus jeunes.

Ainsi, Tunic se révèle marqué à tous les niveaux par un désir de renouer avec une expérience ancrée dans un certain passé. Non pour en recopier le produit, mais pour fournir une interprétation des ressentis de jeunesse. Nonobstant la difficulté globalement plus grande des jeux des années 80-90, il est commun que certains jeux de l’enfance deviennent d’une grande simplicité une fois adulte. Néanmoins, pour l’enfant d’alors, chaque combat était une épreuve. Chaque parcelle du récit était un mystère, surtout si la notice était absente ou dans une langue étrangère. Par son style et sa difficulté, Tunic devient un témoignage d’une expérience passée, comme pour ramener un esprit adulte dans ses souliers juvéniles.

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Andrew Shouldice fait fi de certains ajouts modernes qui entravent l’expérience de jeu pour en utiliser d’autres. Plutôt que des pancartes remplies de textes explicatifs et de longues cinématiques, il choisit la narration déductive et environnementale à la Dark Souls. L’usage de la perspective pour changer le rapport au monde et dissimuler des secrets rappelle Fez de Phil Fish. Les interactions des éléments entre eux, tels le feu qui enflamme les herbes ou la glace qui peut transformer un ennemi en bloc utile, renvoient à Zelda : Breath of the Wild. Ce dernier était lui-même une tentative de renouer avec les intentions premières du premier jeu de la licence. Les créations modernes sont des sources d’inspiration aussi valables que celles du passé pour rendre l’expérience plus forte.

Avec Tunic, le principe de nostalgie trouve son sens mélioratif. À l’image de Shigeru Miyamoto et Hidetaka Miyazaki, Shouldice puise dans ses souvenirs de jeunesse dans le but de recréer une expérience qui exalte l’émerveillement. Le concepteur se rappelle des ressentis et utilise des techniques de Game Design capables de les réveiller afin de revenir à un état d’esprit qui touche à l’universel. La quête du petit renard armé de son épée pour affronter les géants, les trésors cachés qui éveillent la curiosité et les épreuves qui entraînent l’amélioration de l’aventurier, tout cela renvoie à des fondamentaux intemporels. Bien loin des couloirs emplis d’indications ou Open World jetable que deviennent certains AAA, Tunic renoue avec le désir d’offrir un terrain de jeu où le joueur, comme autrefois, se laisse guider par sa propre curiosité, sa soif d’aventure et de mystère. Un monde où la seule chose qui pousse le joueur à continuer, c’est lui-même.

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Crédit image : Copyright TUNIC, developed by Isometricorp Games, Ltd. and published by Finji

 

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