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Celui que tu aimes dans les ténèbres

Publié par - 3 avril 2023

Catégorie(s): Bande dessinée

Le rapport entre l’artiste et son œuvre a toujours eu une dimension ésotérique pour les profanes. On imagine avec difficulté ce qui peut pousser quelqu’un à s’isoler pour enchaîner les pages ou les coups de pinceaux. Par ailleurs, l’image de l’artiste torturé est encore vivace dans l’imaginaire collectif. Nombreux sont les exemples d’artistes aux comportements troublés, voire nuisibles, au point de se demander ce qu’il peut bien se passer dans leur tête. Que peuvent-ils tant aimer pour risquer de se perdre ainsi ? Skottie Young et Jorge Corona proposent avec Celui que tu aimes dans les ténèbres de marcher au côté de l’une de ces artistes en question.

Rowena, surnommée Ro, est une peintre bloquée. Ses prochaines œuvres sont très attendues, mais l’inspiration manque. Pour y remédier, Ro décide de s’isoler quelque temps. Loin de son Midwest natal, elle jette son dévolu sur une vieille et grande bâtisse que l’on prétend hantée. La solitude ne semble pas aider. La frustration la gagne face à des toiles qu’elle peine à coloriser. Ro s’adresse avec amusement puis désespoir au vide de la demeure et son prétendu fantôme. Elle s'attendait à tout sauf à une réponse.

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La maison est bel et bien habitée. Par quoi ? La créature elle-même n’en est pas sûre. Cette entité obscure se dissimule dans les ombres et commence à vivre avec la jeune femme, incertaine de sa propre santé mentale. S'entament alors des échanges. Ro et le fantôme dansent, regardent des films et l’artiste parvient à nouveau à peindre au moment où elle dessine pour la créature un visage, celui qu’elle imagine. Une véritable romance se tisse, avant de se transformer en cauchemar. Ro ne peut bientôt plus sortir de la maison ni voir d’autres personnes car l’amabilité de l’ombre est devenue obsession, puis violence.

De nombreuses influences se croisent pour dépeindre cette relation aux différents niveaux de lecture. La romance heureuse devenue prison, métaphore d’une relation abusive, se structure autour d’ingrédients narratifs et visuels puisés dans le romantisme noir. La lutte entre l’ombre et la lumière se conjugue à une atmosphère onirique, à l’image du Cauchemar de Füssli. La tristesse, la solitude et la plongée dans la folie au sein de cette bâtisse d’allure gothique rappelle les pérégrinations hallucinées d’Allan Poe.

Dans la lignée de ce mouvement artistique, la fascination pour le macabre et le péché imprègne l’histoire de Ro. Parfois, elle souhaite être seule pour travailler ou sortir à la lumière du jour pour voir des gens. Cependant, à l’instar de Saint-Antoine, l’isolation lui amène de nombreuses tentations, mais à l’inverse de celui-ci, Ro y cède souvent. Le fantôme attire l’artiste dans une danse sensuelle ou lui offre vins et banquets pour la détourner de sa toile et du monde extérieur. L’ermitisme artistique de Ro vire néanmoins à la captivité aux mains de l’ombre.

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Une dimension psychanalytique, composante essentielle du romantisme noir, se dessine à travers la relation qu’entretient Ro avec la créature. L’artiste admet qu’au-delà de l’inspiration, elle cherche à produire, non plus des peintures guillerettes qui plaisent aux gens, mais quelque chose de réel. Se connecter à son ombre pour la dépasser est le chemin de la psychiatrie Jungienne pour atteindre le soi véritable. L’isolation est motif à l’introspection et le titre original de l'œuvre est “Le Moi que tu aimes dans les ténèbres”. La chose se présente alors comme incarnation de l’ombre de l’artiste elle-même.

La précédente œuvre de Skottie Young et Jorge Corona, Middlewest, s’inscrivait dans l’idée du récit initiatique. Dans Celui que tu aimes dans les ténèbres, une dimension similaire se présente. L’amant obscur de Rowena est un geôlier impétueux qui l’isole encore plus du monde. Elle s’attriste de sa solitude prolongée, qui en vient à blesser un proche. Elle s’enferme dans une spirale autodestructrice qui lui apporte un tourbillon de sensations enivrantes et indomptées, jusqu’à en devenir délétères. Néanmoins, cela semble un passage obligé. Cette ombre dans laquelle Ro se laisse enfermer est une source de créativité inédite. Un cauchemar dont l’expérience lui permet d’atteindre un style réel et personnel. L’artiste peut sembler malade ou fou au profane, mais c’est dans cette ombre que se dissimule ce qu’il veut réellement exprimer. Pour certains, comme Rowena, les ténèbres sont seules sources d’un art véritable.

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Crédit Images : Copyright Urban Comics

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