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Shamisen

Publié par - 12 mai 2023

Catégorie(s): Bande dessinée

L’art, c’est bien connu, est un concept universel. Son expression révèle néanmoins bien des choses sur les artistes et leur culture. L’essence du principe s’enrobe toujours des idées qui structurent le rapport au monde affiché par un peuple. Ainsi, au Japon, le rapport à l’image et au son relève d’une approche singulière à la croisé des mondes. Les auteurs Petreca et Minamisawa, dans une démarche semblable, tentent d’en présenter les fondations en marchant aux côtés de Haru et son Shamisen.

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Au Japon, durant l’ère Edo, une jeune femme aveugle joue du shamisen sur un pont. Elle se nomme Haru et les passants l’écoutent avec attention. Son morceau achevé, la musicienne reprend sa route, car elle est une Goze, une musicienne non-voyante dont la vie consiste à jouer partout où elle va. Sa mélodie attire l’attention d’un kappa, un esprit des eaux avec qui elle entame une conversation. Privée de la vue, la Goze se révèle en effet capable de communiquer avec les être spirituels qui, au pays du Shintoïsme, ne sont jamais très loin.

Leur échange apaise les tourments du yokai. Celui-ci, pour remercier celle qui a “le don de saisir ce que nul autre être humain n’est capable”, lui offre la clé vers la dimension divine. La musicienne y rencontre Benzaiten, déesse du bonheur, qui lui enseigne d’importantes leçons sur le rôle de l’art et de l’artiste. C’est là le sujet de son odyssée. Jouer n’est pas qu’un moyen de survivre. Comme la musicienne l’a d’ores et déjà expérimenté avec le kappa, son art amène paix, sens et donc vie au monde.

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Dès sa naissance, sa mission lui était d’ailleurs attribuée. Abandonnée au milieu de l’hiver, la jeune fille infirme fut nommée Haru, ce qui signifie “Printemps”. Elle personnifie ensuite cette idée tout au long de son voyage, puisque ses airs changent le paysage pour le gorger de fleurs. Une métaphore visuelle qui place le lecteur dans une position similaire à celle de la Goze. Le lecteur ne peut entendre la musique, comme sourd, mais il voit la beauté qu’elle apporte à un monde peint telles des estampes Ukiyo-e. Le visuel retranscrit l’essence des choses selon la perception de la musicienne infirme.

Shamisen s’inscrit ainsi dans la continuité des fondements expressifs japonais qui font de l’image un langage. Lorsque la petite Haru apprend le mot fleur dans son enfance, ses bulles ne contiennent pas de lettres, ni même un kanji, mais un dessin de fleur. Un rappel que les kanjis qui structurent le langage japonais se veulent avant tout une retranscription de l’objet. La frontière entre l’idée et la chose est floue.

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De même, Haru perçoit souvent les humains sous des aspects divinisés. Un homme en colère est dépeint comme un démon. Son maître, comme le dieu du tonnerre. Un homme ivre, comme un yokai attaché à l’alcool. Et lorsque la mort ou une tempête de neige dominent la scène, Haru s’adresse à des figures anthropomorphes. Humain et nature sont tous deux expressions du divin. La division entre le monde spirituel et matériel est alors réfutée.

De plus, la Goze a beau parcourir un monde empreint de divinités shintoïstes, son parcours, jonché par la mort et rythmé par le déroulement des saisons, lui enseigne avant tout l’impermanence des choses. Loin d’être en opposition, Shintoïsme et Bouddhisme se confondent jusqu’à rendre la séparation imperceptible. Le choix du style en estampe Ukiyo-e, qui signifie “image du monde flottant”, s’inscrit dans une cohérence entre le récit et l’idée fondamentale de ce mouvement artistique. L’idée qu’il faut vivre pour le présent et se laisser porter. Ce que permet d’ailleurs l'œuvre picturale, qui est par définition un présent figé sur lequel on peut donc méditer.

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Le récit lui-même relève d’un croisement. Petreca et Minamisawa s’inspirent de la dernière des Goze, Haru Kobayashi, pour raconter leur récit qui se place au croisement de la biographie, du conte philosophique et de la légende folklorique. La frontière entre les genres est aussi floue que celle entre les mondes. Leur dépiction de la culture japonaise a donc vocation à en souligner l’idée fondamentale d’une unicité du monde où chaque chose a sa place car d’essence divine. Est ainsi mis en évidence le rôle qu’y jouent l’art et ses interprètes. Haru et son Shamisen présentent ainsi l’artiste comme révélateur et médiateur du monde divin.

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Crédit image : Shamisen: songs of the floating world (orig : Shamisen : Canções do Mundo Flutuante) OGN © 2021 Guilherme Petreca, Tiago Minamisawa, and Pipoca & Nanquim © 2023 for the French edition published by Ankama Éditions.

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