Splitscreen-review Image de Godland de Hlynur Pálmason

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Godland - Vidéo

Publié par - 19 mai 2023

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Inconnu du grand public, Hlynur Pálmason a pourtant, avant Godland, déjà réalisé deux films qui ont éveillé l’attention de festivaliers privilégiés (Winter Brothers en 2017 et Un jour si blanc en 2019). Son œuvre la plus récente, Godland donc, a, on le sait désormais, permis au cinéaste islandais d’acquérir une notoriété à la hauteur de ce que la critique internationale lui prédisait. Il faut dire que Godland possède quelques arguments séduisants, à commencer par sa manière de revisiter certains codes narratifs ou formels largement parcourus par un genre aussi populaire, en Occident, que le Western.

Le point de départ narratif évoque d’emblée, par mimétisme intentionnel, le désir d’évangélisation qui a incité les pionniers venus d’Europe à se muer en conquérants du continent nord-américain. À ce titre, il est possible de voir dans le traitement visuel de Godland quelques préoccupations esthétiques et intellectuelles qui rejoignent le contenu de certaines toiles produites par les artistes américains de l’Hudson River School (Cole, Bierstatd ou Durand par exemple). À la fin du 19e siècle, Lucas (Elliott Crosset Hove), un jeune prête danois, se voit missionner pour aller construire une église en Islande, territoire alors sous autorité danoise.

Très vite, ce qui anime Lucas atteint le seuil autant psychique que physique de sa compréhension du monde empreinte de théologie. Le film, à la manière du Western, inspecte les tergiversations intérieures de Lucas qui fait l’expérience des limites inhérentes à ses propres certitudes. Les croyances du personnage se transforment alors en illusion. Le constat, lent et inéluctable, est sans appel : ce qui peut faire du lien entre les communautés d’individus ou bien entre les hommes et la nature ne peut se satisfaire en toute circonstance d’une approche religieuse du monde. Et s’il existe bien une forme de mystique, elle s’observe dans la nature plutôt que dans les textes.

Splitscreen-review Image de Godland de Hlynur Palmason

Les obstacles se manifestent dès le début par la présence de paysages impitoyables et des éléments naturels qui ont façonné les communautés qui vivent sur place. Des conditions qui ont conditionné le quotidien des populations locales au point d’ériger en règle première la nécessité de s’adapter inlassablement aux humeurs de la nature. Pour Lucas, le retour au réel est brutal et ses convictions sont remises définitivement en question lorsque son traducteur meurt. Dès lors, la communication devra passer par autre chose que la langue puisque Lucas ne parle pas islandais. Afin de pouvoir initier une autre forme d’échange, il lui faudra accepter de se soumettre aux exigences naturelles et il lui sera impératif de solliciter tous ses sens, à l’image des individus qui peuplent les espaces traversés.

Lucas, ce que le personnage incarne, se transforme. Le personnage devient une figuration de la condition humaine. La nature peinte par le cadre filmique se charge de nouvelles significations. L’étrange et l’inquiétant s’invitent dans le débat formaliste que le film instaure. Le choix des angulaires pour filmer l’espace n’est pas sans conditionner notre perception des séquences. Les positions de caméra (plongées démiurgiques, contre-plongées) et le jeu sur les focales (télescopage du proche et du lointain) contribuent à effacer les contours d’un univers qui se révèle ainsi dans sa vastitude. La nature devient un vide qui n’a d’égal que la remise en question de la dévotion de Lucas. Le paysage, à l’image des mondes intérieurs du personnage, semble sans limite. Les chemins escarpés empruntés pendant la traversée de l’Islande prennent différentes connotations tantôt religieuses et métaphysiques ou, au contraire, insistent sur l’importance du tellurique pour façonner les caractères. La nature à travers les challenges qu’elle impose aux hommes, et à Lucas en particulier, apparaît comme la manifestation de différentes épreuves qu’une divinité infligerait à des créatures à ses yeux insignifiantes. Lucas fait le constat, amer, qu’il n’est rien malgré la foi qui le transporte.

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La disparition évoquée du traducteur marque le début d’une nouvelle aventure pour Lucas. L’apprentissage commence. Lucas devra affronter la matérialité du monde mais également sa propre personnalité. Pálmason transcende la seule question du rapport entre l’homme et la nature en humanisant, sans perdre la dimension symbolique de ceux-ci, les paysages afin de transformer ces derniers en miroir de la complexité identitaire des personnages et plus particulièrement de Lucas.

Godland indexe son développement narratif sur la progression physique et mentale des personnages et de Lucas en premier lieu. À ce sujet, notons les correspondances évidentes entre le cadre du film et  le format des photos prises par Lucas. Les deux formes d’expression fusionnent. Le cinéaste nous donne, par exemple, à éprouver le temps de la prise de vue photographique par l’intermédiaire de l’image filmique. Godland rejoint ainsi un principe représentatif qui a souvent accompagné le cinéma depuis ses origines, le tableau vivant.

Traditionnellement, ce type de procédé suspend le temps. L’action s’immobilise et le spectateur est invité à apprécier émotionnellement ou intellectuellement la nature des actes interrompus. Le procédé, tel qu’utilisé ici, permet aux qualités artistiques de Pálmason d’être exploitées entièrement. Peintre, photographe, vidéaste et auteur d’installations, Pálmason, en figeant le temps filmique sous prétexte d’indexer ponctuellement le rythme de Godland aux instants photographiques décidés par Lucas, investi le film de tous ses savoirs. Godland se charge alors de nouvelles interrogations formalistes sur les frontières qui séparent les arts conviés ici à débattre par l’intermédiaire de la prise de vue filmique : le cinéma, bien sûr, mais aussi la photographie, la musique ou la peinture.

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Il est donc aussi question de la représentation dans Godland. En témoigne l’attention singulière portée sur l’exposition des corps à l’image. Les corps observés par l’appareil photographique de Lucas et par la caméra de Pálmason se transforment en images imprégnées d’immobilisme pictural pour se fondre dans le décor naturel qui les façonne. La mimesis est parfaite. Mais le débat n’est pas clos. Souvenons-nous qu’au cœur du projet de Pálmason il y a cette question de la difficulté à communiquer par les mots (la disparition du traducteur contraint Lucas et ceux qui l’accompagnent à développer de nouvelles stratégies expressives pour parvenir à se comprendre). De là à voir dans Godland une réflexion sur l’écart qui sépare l’image de la performance qui a fécondé cette image à partir d’indications de mise en scène, il y a peu.

Godland soulève, sans y paraître, des questions fondamentales à l’heure où les corps, dans tous leurs états, vivants ou morts, s’exhibent, s’exposent, parfois avec violence, aux yeux de tous. Godland, c’est tout ceci. Et puis Godland c’est aussi le geste d’un artiste qui cherche et trouve le moyen le plus juste pour exprimer sa vision du monde.

Notons que l’édition bénéficie d’un transfert image absolument somptueux. En complément de programme, deux bonus épatants. D’abord un entretien sans fard avec le réalisateur et puis, surtout, Nest, un brillant court-métrage de 2022 qui, au fil des 18 mois de son tournage, retrace la construction et l’utilisation d’une cabane par les propres enfants de Hlynur Pálmason.

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Crédit photographique : GODLAND©Snowglobe_Photo©Maria_von_Hausswollf

 

 

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