Splitscreen-review Image de Monster de Kore-eda Hirokazu

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Monster

Publié par - 21 mai 2023

Catégorie(s): Cinéma, Critiques, Expositions / Festivals

Le premier film de la compétition cannoise 2023, un festival tourmenté par les problèmes de  billetterie au point que personne n’en veut plus parler. Alors n’en parlons pas et évoquons plutôt le nouveau film du lauréat de la Palme d'Or de 2018, Kore-eda (Une affaire de famille).

Spoiler Alert. La fin du film est révélée dans cet article.

Monster est une histoire d’adolescents qui se raconte trois fois. Ce n’est pas une innovation cinématographique puisque nous avons déjà pu observer pareille structure dans Jackie Brown (1997) de Tarantino ou Cours, Lola, cours (1998) de Tom Tykwer. Kore-eda utilise, lui, le principe de la répétition d'une manière plus nuancée. Il s’agit pour le cinéaste de souligner, non pas ce qui change en fonction d’une temporalité différée, mais ce qui évolue en fonction de différentes perspectives, de différents regards sur les choses.

Le cinéaste débute chaque partie de son film par une prise de vue nocturne de la ville avant que la caméra ne suive des véhicules de pompiers qui se hâtent d’atteindre un bâtiment gagné par les flammes. La caméra adopte ensuite le point de vue d’observateurs de la scène, une mère et son fils adolescent, Minato, situés, eux, sur le balcon d’un autre bâtiment. On le comprend, la mise en scène a pour objectif est de rester là avec cette famille. Nous apprenons que le père est mort il y longtemps et que la mère s'inquiète pour son fils qui s’isole de plus en plus.

Elle découvre que son fils a vécu une situation inquiétante à l’école. Minato a été intimidé par un enseignant, M. Hori. La mère apprend même que ce professeur a fréquenté un club situé dans l’immeuble parti en fumée la veille au soir. Intriguée, elle investigue plus en profondeur et découvre que des événements traumatisants se sont déroulés à l’école : son fils a été battu par M. Hori et l’enseignant a traité Minato de « cerveau de cochon ». Depuis, Minato pense qu'il est un monstre.

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Puis, nous revenons à la nuit de l’incendie. Maintenant la mise en scène s’attarde sur M. Hori et sa petite amie alors qu'ils rentrent du club. Le point de vue de M. Hori sur ce qui se déroule dans l’école ajoute des éléments de compréhension à la lecture que nous avions des faits. Ainsi, les événements découverts par la mère se nourrissent de nouveaux éléments. Le film se charge ainsi en complexité et modifie notre perception de Monster. Ce qui prenait des allures d’un scandale en milieu scolaire se transforme et la modification du récit introduit un principe d’incertitude qui enrichit le film. Nous voyons parfois les mêmes événements mais chargés de nouveaux indicateurs qui, finalement, redéfinissent une nouvelle conjoncture.

Hori aborde les événements de manière plus distanciée que la mère qui est, évidemment, conditionnée par des sentiments maternels. L’enseignant constate l’isolement en classe de Minato. Mais il y a une raison à cette posture du jeune adolescent. Minato souhaite supporter et protéger le plus jeune de la classe, le plus petit élève, Yori, qui vit sans mère, avec un père violent et alcoolique. Les garçons sont réunis par des liens affectifs intenses qui dépassent la simple amitié scolaire. Ainsi, ils se ménagent un espace où ils se réfugient secrètement pour échapper à la dureté du monde : une vieille voiture de chemin de fer abandonnée et cachée dans la forêt.

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Retour à l'incendie initial : des éléments visuels (Minato cache un briquet électrique à la maison) suggèrent maintenant qu’il s’agissait peut-être d’un incendie criminel. Cette fois, nous suivons Minato et son ami Yori. Minato veut bien défendre et protéger Yori mais lui aussi se fait intimider par ses camarades de classe. Ensemble, les garçons s'enfuient pendant une tempête et se cachent dans la voiture. Alors que les lignes narratives de la mère et du professeur se rejoignent, les deux personnages découvrent que les deux garçons ont disparu.

Dans la forêt, un glissement de terrain a enseveli la voiture. Après un blanc aveuglant, on voit les garçons courir dans la forêt verte et ensoleillée. Dans les 3 récits, deux questions étaient soulevées à propos des deux garçons : sont-ils vraiment des monstres comme le laisse entendre une partie de leur entourage ? Et, de ca fait, en qui (en quels animaux) vont-ils se transformer après la mort ? Ils semblent avoir trouvé cette liberté de choix. La musique (c’est la dernière composition de Ryuichi Sakamoto) ajoute de la légèreté à ces moments.

La structure narrative complexe de Kore-eda montre bien comme des événements banals et simples peuvent bouleverser des adolescents fragiles. Dans leur monde, les petits riens pèsent lourd et une simple phrase (le « cerveau de cochon » utilisé par le père de Yori pour maudire son fils) peut créer des malentendus aux conséquences tragiques. Le film est donc une représentation de ce monde fragile (qu’on a aussi pu voir dans Close de Lucas Dhont) qui constitue l’horizon du monde adolescent.

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Crédit image : Copyright 2023 Monster Film Committee

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