Le 5 Juillet 2023 est attendu sur le grand écran le retour d’une figure emblématique du XXe siècle du cinéma français, Brigitte Bardot. À partir des années 1950, la jeune actrice enchaîne les succès cinématographiques depuis le controversé Et Dieu créa la femme de Roger Vadim en 1956. Pourtant, le nouveau film de Louis Malle intitulé Vie Privée centré sur la vie de l’actrice sera accueilli en 1962 avec un peu moins d’engouement. Aux côtés du célèbre Marcello Mastroianni, acteur italien notamment connu pour jouer dans des films de Federico Fellini dont La Dolce Vita de 1960, ils interprètent les personnages de Jill et de Fabio.
Fuyant un amour impossible de jeunesse, Jill, jeune bourgeoise genevoise, décide d’accompagner son partenaire de danse à Paris. Ennuyée par l’effort à fournir pour travailler dans la danse, elle quitte ce domaine et, pour gagner de l’argent, choisit de s’orienter dans la photographie avant d’arriver dans le monde du cinéma où elle perd pied. Malgré elle, la célébrité lui construit une image controversée qui ne la quittera plus jamais. Traquée par les journalistes, Jill sera forcée à faire des choix qui vont à l’encontre de ses envies.
On reconnaîtra la signature de Louis Malle sur le montage essentiellement. Sur la première partie du film, on observe un enchaînement de séquences entrecoupées mettant ainsi en avant l’effet de succession de souvenirs fragmentés de Jill. Le réalisateur précise que ce choix de “désintégration de l’écriture cinématographique” est tiré d’un de ses longs-métrages précédents, réalisé en 1960 intitulé Zazie dans le métro, lui-même tiré du roman éponyme de Raymond Queneau. L’enregistrement des prises, volontairement presque aussi long que celui d’un plan séquence, était par la suite coupé au montage par le réalisateur pour donner son effet de désordre et tout cela sans altérer le jeu des acteurs. Ainsi, cette complexité scénaristique reflétant bien la virtuosité du réalisateur, a pour but de dépeindre l’absurdité et le désordre de son époque. La comparaison du cinéma aux œuvres picturales justifie son choix. Pourquoi le cinéma devrait-il forcément satisfaire et divertir un public en respectant des normes cinématographiques ? Tout comme les artistes de son époque, Malle pense que le cinéma est un art abstrait aux possibilités infinies et, tout comme les œuvres modernes, l’artiste est libre de briser les règles établies et de retranscrire les impressions liées au monde qui l’entoure et à la société dans laquelle il vit.
Co-écrit avec Jean-Paul Rappeneau, Louis Malle présente Vie Privée comme étant à la fois un essai sur le mythe d’une star et un film d’autofiction, se basant ainsi sur des anecdotes vécues par l’actrice. Le film relate donc des faits de sa vie, à une époque où elle était encore largement sous les feux des projecteurs, dans le but de pointer du doigt l’acharnement des journalistes dans la capture d’images à sa moindre apparition. À l’époque, une photographie d’elle pouvait valoir une somme faramineuse… Les journalistes étaient donc prêts à prendre de grands risques pour arriver à lui arracher une parcelle de sa vie privée.
Entre autres, la scène où Jill se réfugie en Italie pour fuir le regard de la presse alors qu’elle se relève tout juste d’un burn out. Les débuts sont agréables, elle se sent vivre à nouveau et s’accorde donc quelques libertés dont elle se privait depuis déjà quelques années. Mais le bouche à oreille fait rapidement des siennes. Les journalistes en viennent à monter sur les toits pour l’observer et Jill est contrainte de se cacher à nouveau et de vivre cloitrée, rideaux fermés. Situation ironique lorsqu’on pense que l’année suivante, Bardot vivra une situation similaire alors qu’elle vient tourner sur l’île Capri Le Mépris de Jean-Luc Godard. Cette décision de tourner sur une île était bien évidemment choisie pour éviter d’attirer les regards de la presse. Malgré ce choix, les journalistes étaient présents, ils avaient même triplé en nombre.
C’est ainsi que durant toute la durée du long-métrage de Vie Privée, la caméra ne lâchera quasiment jamais B.B., tout cela étant représentatif de ce que l’actrice vivait au quotidien. Elle qui n’a jamais vraiment souhaité cette vie (bien décrite dans le film de Louis Malle), la rejette avec crainte lorsque la presse à scandale s’acharne sur elle. Cette pression et cette angoisse constante dont l’actrice se plaignait se retranscrit dans le film par la longue phase de dépression de la deuxième partie et des tentatives de suicide. Longtemps après avoir dit adieu au cinéma en 1973, Brigitte Bardot a mis en garde dans une interview sur la dangerosité du cinéma. On ne peut parler de Brigitte Bardot sans énoncer la comparaison appuyée des journalistes avec Marilyn Monroe. Malgré ce rapprochement, Brigitte Bardot ne s’est jamais comparée à elle bien qu’elle n’a jamais caché son admiration pour l’actrice américaine. C’est en Amérique que Brigitte Bardot sera surtout comparée à leur star. Son image de sex-symbol collée à son nom aura un impact direct sur le film, les coproducteurs américains finançant plus que prévu les scènes de nu de l’actrice.
Même depuis les coulisses du tournage de Vie Privée, Brigitte Bardot est vue presque comme un phénomène unique et intriguant afin d’être le reflet le plus fidèle possible des anecdotes de la vie de B.B.. Jean-Paul Rappeneau, co-scénariste du film, a déclaré : “Sur un plan plus général, on a décidé de tenter de la placer dans des situations dramatiques proches de sa propre situation et de nous contenter de l’observer, d’enregistrer ses réactions.”. Un schéma de pensée qui, dans le cadre d’une autofiction, peut paraître sensé, mais qui pourtant provoque chez B.B une souffrance supplémentaire à un moment où sa vie ne lui appartient plus, tiraillée de tous les côtés et victime de sa propre image.
Crédit photographique : ©-Malavida-Gaumont