Splitscreen-review Image de La petite Lumière de Grégory Panaccione

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La petite Lumière

Publié par - 9 août 2023

Catégorie(s): Bande dessinée

L’adaptation d’un récit de son support d’origine à un autre est toujours un exercice complexe. Chaque œuvre étant conditionnée par les paradigmes de son format de naissance, l’auteur doit trouver comment retranscrire ses intentions à travers des techniques d’un autre genre, comme lors du passage d’un roman à la bande-dessinée. Grégory Panaccione s’est adonné à l’exercice plus d’une fois et avec La Petite lumière, basée sur un roman d’Antonio Moresco, il tente une nouvelle fois de transposer les pensées et émotions d’un personnage souvent mutique des mots à l’image. Cette fois-ci, néanmoins, le minimalisme expressif qui lui est cher, comme dans Toby mon ami et Un océan d’amour où les bulles étaient absentes, semble servir une contradiction qui tiraille le protagoniste.

Dans la campagne italienne, un vieil homme cherche à disparaître. Il vit dans un hameau abandonné dont il est le seul habitant et où il mène une vie silencieuse à boire du café, faire sa lessive, arroser ses fleurs… Son objectif semble bien entamé car il n’a plus de nom et aucun passé, mais est-ce vraiment ce qu’il veut ? À contempler le ciel, le vieillard se perd dans ses pensées et entame des conversations avec les hirondelles, toujours en groupe à voler à vive allure. Il lui arrive de sortir malgré la pluie pour saluer des promeneurs et les observer jusqu’à leur disparition. Voir de s’adresser au blaireau muet et immobile pour le laisser traverser la route. Le désir de solitude de l'ermite ne semble pas sincère. Sans doute est-ce la raison de sa fascination pour cette petite lueur qui apparaît sur la colline d’en face, lorsque la nuit n’est que profondes ténèbres.

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Il n’est pas censé y avoir qui que ce soit dans les profondeurs du bois. Les habitants du village le confirment. Le vieil homme enquête malgré tout, osant même échanger avec un fermier loufoque qui croit aux extra-terrestres et semble un peu dans sa bulle. C’est un effort pour l’ermite. Sa rencontre avec un chien blessé en témoignait peu avant. L’animal le suit avec un grand sourire, mais il évoque des souvenirs douloureux, seul écho perceptible du passé du vieil homme qui lui ferme la porte au nez. Chez Panacionne, le chien est source de joie, de lien et de liberté, comme dans Toby mon ami ou Cabot-Caboche, mais le protagoniste le fuit. Former un lien lui est difficile et résulte donc en un isolement choisi, en enfermement dans la pénombre. La lumière résonne sans doute comme un espoir pour lequel il se risque à plonger dans une forêt épaisse et obscure.

Cette constellation de symboles, apparentés à celle du conte, inscrit le protagoniste de Moresco dans un parcours qui l’amène à un petit garçon, lui aussi sans nom et seul, dans une maison au milieu de nulle part. Bien que le vieil homme tente d’entamer la conversation, l’enfant semble taciturne. Il ne sort que la nuit et n’a personne pour l’aider à faire ses devoirs et corvées. Il a l’habitude. Panaccione place les deux personnages dans une séparation spatiale qui crée une dualité et un lien inconscient entre eux. Le garçon reste dans la maison sombre et son interlocuteur, sur le pas de la porte, au soleil. Par ce jeu de mise en scène, le dessinateur fait un parallèle avec la petite lumière qui brille dans les ténèbres de l’ermite. Chacun des personnages est la lumière de l’autre, un espoir de sortie.

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Le dialogue entre le vieil homme et l’enfant forme un lien qui entame une plongée dans le fantastique. Plus tôt, le vieillard découvrait un arbre mi-vivant mi-mort. Une contradiction qui ne s’applique pas aux humains d’après lui. Pourtant, le petit garçon parle d’une école du soir qui n’est pas pour les enfants vivants. Dans cette nature désertique, loin de la civilisation, la frontière avec le rationnel semble se brouiller et une nostalgie se forme face à un cimetière oublié dont les occupants n’ont plus de nom. Le vieillard a parfois l’impression, face au ciel étoilé, qu’il n’y a pas de vivants dans le monde. L’existence humaine ne semble persister que par l’échange et le souvenir.

Ce recoin de campagne a ainsi des airs de prison pour l’âme où se dissolvent les êtres humains jusqu’à l’oubli. C’est avec la discussion et l’enquête que poursuit l’ermite avec le petit garçon que leurs personnalités se révèlent un peu et avec elles, un passé et donc une identité. Leur lien les sort du statut d’âme errante. Moresco et Panaccione inscrivent ainsi leurs protagonistes dans des réflexions semblables à celles de David Lowery dans son film A Ghost Story. Dans ce dernier comme dans La petite lumière, le lien à l’autre est présenté comme la seule source réelle d’existence face à un néant implacable qui emporte tout. Jusqu’aux souvenirs de ceux pour qui des pierres tombales sont dressées.

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Crédit Image : © Éditions Delcourt, 2023 — Panaccione

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