Splitscreen-review Image de Vanya, 42ème rue de Louis Malle

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Vanya 42ème rue

Publié par - 7 septembre 2023

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

L’ultime film réalisé par Louis Malle est le fruit d’un processus assez long et complexe. De toutes les conditions d’existence et d’émergence de l’œuvre, il faut en conserver au moins une à l’esprit : Malle restitue et respecte ici, dès l’ouverture du film dans les rues de New York, les principes adoptés par Andre Gregory lorsqu’il a monté Oncle Vania au théâtre.

Vanya 42ème rue est très certainement l’œuvre la plus limpide pour observer les orientations que Malle souhaitait donner en général à ses films. Nous retrouvons ainsi dans Vanya 42ème rue des questions qui traversent l’œuvre entière avec insistance telles que les incidences du réel sur le fictionnel et réciproquement, une interrogation sur les influences scéniques du théâtre sur le cinéma, sur les possibilités narratives offertes par les particularités du plan et du cadre, sur l’impact du montage sur la perception sensitive et/ou intellectuelle du film pour n’en citer que quelques-unes.

Splitscreen-review Image de Vanya, 42ème rue de Louis Malle
Vanya 42ème rue © Malavida

L’ouverture de Vanya évoque l’introduction de My Dinner with Andre pour convoquer d’emblée des questionnements formalistes. Un panneau de rue filmé en gros plan situe l’action, nous sommes dans la 42ème rue à New York. Ainsi se définit un espace, un lieu qui existe en dehors de toute considération fictionnelle et qui a pour fonction d’associer des visages, des personnages à une partie précise de la ville. L’apparition du panneau de rue questionne déjà en soi la fiction : le lieu de l’action n’est pas fabriqué, pas inventé par Louis Malle, il existait déjà avant et il existera après. Simplement, comme le cinéaste le fait par la suite avec les comédiens, la ville et sa 42ème rue sont repensées et revisitées par l’imaginaire d’un auteur. Enfin de plusieurs. Car il ne faut pas omettre l’importance d’Andre Gregory qui a conçu le dispositif scénique qui a motivé le film que le spectateur observe. Mais c’est bien Malle qui a le dernier mot puisque c’est lui qui décide du film.

Une foule bigarrée défile devant la caméra et le spectateur attentif repère ici ou là des visages plus ou moins connus : Wallace Shawn, Larry Pine, Andre Gregory, Julianne Moore, Brooke Smith, etc. À la fin de cette séquence d’ouverture, les individus reconnus convergent vers un lieu commun. Ils se regroupent dans un lieu abandonné, le New Amsterdam Theater, le théâtre des Ziegfeld Follies.

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Vanya 42ème rue © Malavida

Puis, alors que tout le monde s’installe, Andre Gregory prévient le spectateur du film par un stratagème scénaristique que nous allons assister au filage de la pièce (production d’une pièce en condition de représentation mais sans public). Le spectateur attentif remarquera que Gregory ne lance pas la pièce, il n’invite pas ses comédiens à débuter leur interprétation. Nul besoin. C’est déjà fait puisque, d’une part, nous sommes dans un film qui reproduit en conditions réalistes un exercice qui a déjà eu lieu et, d’autre part, nous sommes dans un film, donc dans une logique qui se distingue du théâtre, un film qui est réalisé par Louis Malle et non par Andre Gregory. Le film, c’est Vanya 42ème rue et il a commencé depuis quelques minutes déjà.

La caméra et le découpage isolent et nous laisse découvrir des petits groupes de comédiens qui discutent de leur vie quotidienne de manière anodine comme ils le feraient avant une répétition ou avant un spectacle. Subtilement, retentit une clochette puis un travelling (rappel formaliste de la qualité cinématographique de la production de Vanya à laquelle nous assistons) relie le réel à la fiction, le théâtre au cinéma, les comédiens à leur rôle…

Malle ne perd jamais de vue que nous sommes au cinéma. Aussi utilise-t-il les ressources syntaxiques de celui-ci (séquençage, valeur de plan, changement de lieux, mouvements d’appareil, etc.) afin de se soustraire à une logique théâtrale d’une part mais aussi pour sublimer quelques moments clés de la pièce (monologues de Yulia et de Vanya par exemple).

Splitscreen-review Image de Vanya, 42ème rue de Louis Malle
Vanya 42ème rue © Malavida

Vanya 42ème rue est une œuvre qui observe la mise en place singulière d’une adaptation de la pièce de Tchekhov. Si la fin de Vanya 42ème rue diffère de son ouverture, c’est que Malle cherche à trouver un pendant au salut théâtral. Tous les protagonistes se rejoignent dans l’image pour composer un portrait de groupe d’Andre Gregory à ses comédiens alors que le générique de fin énumère le nom de tous les collaborateurs du film, la production, etc. Nous n’entendons alors plus rien de ce qui fait débat entre les protagonistes. C’est que cette discussion-là appartient aux coulisses du théâtre et non au cinéma.

Malle referme ainsi son film comme il l’avait initié. Il garde le même cap intentionnel, ce qui s’applique aussi à l’œuvre dans son ensemble. Ce qui fait ici cinéma, et c’est valable pour le reste de la filmographie de Malle, nourrit une réflexion et un questionnement que le cinéaste n’a eu de cesse de mener sur la nature du langage filmique. Des interrogations auxquelles Louis Malle a tenté de répondre directement par la réalisation de films.

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Vanya 42ème rue © Malavida

Crédit photographique : © Malavida

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