Splitscreen-review Image de La dernière reine de Adila Bendimerad et Damien Ounouri

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La dernière reine

Publié par - 12 septembre 2023

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

La sortie vidéo de La dernière Reine, film réalisé conjointement par Adila Bendimerad et Damien Ounouri, confirme la révolution de palais (qui se vérifie en bien des points) que l’œuvre se propose d’initier ou d’entretenir. L’histoire que le film reprend s’y prête : Zaphira (Adila Bendimerad), l’une des épouses de Salim Toumi (Mohamed Tahar Zaoui), émir d’Alger au début du XVIème siècle, refuse de se soumettre aux exigences multiples du corsaire Aroudj Barberousse (Dali Benssalah) qui a délivré la ville d’Alger de l’emprise espagnole et qui aurait été l’instigateur de l’assassinat de Salim Toumi.

La dernière reine est un film qui endosse et assume plusieurs statuts : film historique, film d’aventures, film d’action, mélodrame… Et puis le film soulève aussi quelques questions sur le pouvoir fictionnel du cinéma puisque la reine Zaphira est, pour certains commentateurs historiques, un personnage à l’importance indéniable de l’histoire algéroise alors que pour d’autres, elle serait une simple légende, une fiction en somme. La reine Zaphira, telle que filmée par les deux cinéastes, devient une allégorie qui rejoint certaines préoccupations contemporaines tout en évoquant une histoire collective peu connue en dehors des frontières algériennes.

Le pari du film est de rendre hommage à la fiction que la légende invite à construire et à une réalité historique qui anime un imaginaire commun. Aussi le film alterne entre des scènes de combats teintées d’une matérialité voisine de celles observées dans des adaptations de récits mythiques et une reconstitution historique qui arpente des logiques représentatives conditionnées par la culture algéroise.

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Esthétiquement, La dernière reine se plaît à épouser les contours de différentes stylistiques pour coïncider avec l’évolution psychologique de Zaphira. Les scènes d’ouverture indexent leur aspect sur la vision du monde de la reine. En dehors de toute conscience politique, celle-ci vit alors dans un monde épargné par les enjeux de pouvoir. Rattrapée par le poids de l’histoire et les affres de la diplomatie, Zaphira contaminera l’univers filmique de ses doutes, de ses certitudes et de ses décisions guidées par son seul instinct. L’image se fait plus réaliste, plus en accord avec les soubresauts de l’histoire. Ces modifications plastiques répondent en tous points à l’évolution de la reine Zaphira : ce n’est pas seulement sa féminité que le film se plaît à révéler mais l’évolution de son rapport au monde et plus particulièrement au monde des hommes. D’une femme soumise et assujettie à la vie du harem, Zaphira devient l’instigatrice d’un mouvement de révolte. Elle ose contredire ce que la morale politique tentait de lui imposer. Zaphira ne se soumet pas, elle ne le fera jamais. Zaphira est une conscience multiple : celle des femmes, bien sûr, mais aussi celle d’un peuple jamais considéré pour ses aspirations sociales.

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L’imaginaire et la créativité des deux cinéastes font le reste. Des idées de montage, des trouvailles visuelles, des cadrages singuliers traduisent le regard d’Adila Bendimerad et de Damien Ounouri sur l’histoire de Zaphira. La scène de la confrontation entre Zaphira et Aroudj reste un moment de cinéma qui aiguise l’esprit du spectateur. Aroudj se présente pour réclamer son dû, la reine. Celle-ci, lors de l’audience, est dissimulée derrière une toile tendue en travers de la pièce. La métaphore a beau être flagrante, elle n’en reste pas moins riche. Le drap devient écran, il cache autant qu’il révèle les désirs du masculin. Ne pas voir avec précision invite l’esprit à fabriquer les images d’un désir incontrôlable. Zaphira le sait, elle en joue. Aroudj perd l’avantage que son sexe lui octroyait et s’affranchit des codes, il outrepasse les règles, gagné par un désir irrépressible, pour se rapprocher de la reine. L’abolition des limites, la transgression de la bienséance disent tout. Zaphira gagne, le féminin gagne. Derrière les voiles et l’écran, le corps de la reine devient fantasme, la légende est en route.

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Crédit photographique : Copyright Jour2fête

Suppléments :

Entretien avec Adila Bendimerad et Damien Ounouri (19 min)
Making of des effets spéciaux visuels (4 min)
Bande-annonce storyboardée (2 min)
Exclusivité Blu-ray  : Kindil el Bahr, court métrage de Damien Ounouri (2016, 40 min)

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