Voyages en Italie
Publié par Stéphane Charrière - 13 octobre 2023
Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres
Le film a tout pour agacer. Il y parvient aisément. Et pourtant, le spectateur reste et regarde. C’est que cette histoire peut ou pourrait être celle de tout le monde. Il faut sans doute, pour comprendre l’étrange sentiment à l’œuvre ici, observer le processus intentionnel du film. Dans un premier temps, le titre. Voyages en Italie, notez le pluriel, de Sophie Letourneur évoque pour le cinéphile le film de Rossellini au titre similaire mais qui, pour ce dernier, s’écrit au singulier. De la même manière que dans le film de Rossellini, le film de Sophie Letourneur fait le récit de la déambulation d’un couple à travers l’Italie, enfin, à travers la Sicile. Mais cette fois, dans le film de la réalisatrice, le couple n’est pas en rupture mais au bord de la crise. Jean-Phi (Philippe Katerine) et Sophie (Sophie Letourneur) tentent de les (la crise et la rupture) prévenir. Alors un voyage est décidé pour contrecarrer les effets d’un délitement, pour combattre l’absence de désirs multiples. La destination, après moult tergiversations, sera l’Italie, enfin la Sicile qui n’est pas, selon Jean-Phi, tout à fait l’Italie.
Le film de Rossellini, revenons-y brièvement, sera mentionné dans une discussion anodine pendant un trajet en voiture de location. Il sera également question d’un autre film de Rossellini, Stromboli et de la marche révélatrice effectuée sur les pentes du volcan par Ingrid Bergman. Ces rappels s’invitent au gré de discussions en apparence anodines pour éclairer le spectateur sur des tendances que le film revendique et qui auraient pu échapper aux plus distraits d’entre nous. Les citations rosselliniennes, présentes dès le titre rappelons-le, agissent comme des insistances ou des remembrances. Oui, Voyages en Italie, le film de Sophie Letourneur, est, comme celui de Rossellini, au contact d’une réalité qui lui permet d’arpenter des territoires narratifs qui empruntent autant au réel qu’à la fiction.
Il faut donc bien voir Voyages en Italie à partir de son dispositif. Le film se ramifie à partir de plusieurs pistes d’écriture. Il y a d’abord un voyage qui a concerné Sophie Letourneur et son compagnon. En vrai. Un voyage motivé par les mêmes raisons que celles qui poussent Jean-Phi et Sophie à quitter leur quotidien pendant quatre jours. Une quête ? Surtout l’envie de ne pas perdre pied et de raviver un désir de couple tué par la routine. C’est ça et peut-être plus encore. Car il s’agit aussi pour la cinéaste de reproduire, de représenter et de reconstituer quelque chose qui s’est véritablement déroulé dans sa vie.
Se greffe alors sur ce postulat un autre récit qui nourrit la fiction à l’œuvre. Celui de la mémoire. Car, et le film n’en fait pas l’économie, Voyages en Italie se développe sur plusieurs temporalités : le temps de la préparation et de la décision du voyage, le temps du voyage et le temps du retour mémoriel sur le voyage, le tout entremêlé. Car finalement, il faut bien essayer de mesurer si le voyage a eu sur le couple les effets escomptés. Alors chacun raconte ce qu’il lui reste de l’expérience, ce qui a été intimement vécu, ressenti et éprouvé.
Le voyage devient alors une histoire qui se nourrit de ses propres effets de manière rétroactive. Les images que nous voyons restituent alternativement la manifestation des souvenirs personnels des personnages mais aussi la figuration des images envisagées par celui qui écoute le souvenir de l’autre. Ce n’est donc pas le voyage en lui-même qui refabrique du lien entre les protagonistes mais le récit qu’ils en font respectivement. Raconter leur voyage c’est un peu raconter leur couple, c’est désacraliser certaines situations et se servir du trivial omniprésent dans les mots échangés pour constituer une sorte de poétique du langage courant. Retrouver du sens. Retrouver l’autre.
C’est pour cela que Voyages en Italie agace autant qu’il intrigue, c’est parce qu’il dresse le portrait d’un couple comme presque tous les autres et qu’il assume de manière parfois grotesque la caricature qu’il en produit pour toucher à l’essence des liens intimes. Le champ des possibles ou plutôt des encore possibles que le film tente de peindre se résume dans la capacité de chacun à faire exister un ailleurs dans l’ici. Un ailleurs qui serait source d’évasion, d’émerveillement, de séductions nouvelles et surtout de partage. Un ailleurs qui serait l’antidote à l’ordre des choses.
Crédit photographique : © 2022, TOURNE FILMS - Tous droits réservés
Suppléments :
Dispositifs de fabrication (16 min)
Livret d’accompagnement (24 pages)