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L'enlèvement

Publié par - 2 novembre 2023

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Le cinéma de Marco Bellocchio s’articule depuis toujours autour de quelques points qui visent à mesurer l’incidence des décisions collectives (politiques, sociales ou culturelles) sur l’individu. La folie, celle du postulat communautaire ou de celui qui le subit, n’est jamais très loin. Processus de défense, méthode de survie, le phénomène devient pour l’humain un calcul qui traduit comment la déviance contamine la société de manière insidieuse. L’attitude de l’individu, qu’elle soit motivée par des motifs inconscients ou par des stratagèmes abstraits, constitue en soi la matrice des récentes œuvres de l’auteur. L’enlèvement ne déroge pas à ce principe et se propose même d’arpenter des zones obscures qui rendent parfois délicate l’analyse des comportements.

Edgardo Mortara (Enea Sala), un enfant de confession juive, est enlevé à sa famille sous prétexte que, pour sauver son âme, il aurait été baptisé en secret par sa nourrice alors que cette dernière le pensait mourant. Deux temps s’affrontent, celui de l’enfance d’Edgardo où le personnage subit un enchaînement de situations qu’il ne peut contrarier en raison de son jeune âge et celui de l’adulte Edgardo (Leonardo Maltese). Dans cette deuxième partie, le film relate le temps de la conversion, de la contrition et explore le sentiment étrange laissé par l’inexplicable adhésion du garçon à une religion qui fut la cause de l’arrachement filial initial.

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La vie de l’enfant est brisée. Il lui faudra d’abord apprendre à patienter dans l’espoir d’un hypothétique retour au domicile entretenu par d’épisodiques visites parentales. Edgardo est désarmé devant une situation qui le dépasse et dont il ne comprend, dans un premier temps, pas grand-chose. Mais, très vite, il apprend à composer avec une adversité qui se transforme, petit à petit, en félicité. Une nouvelle réalité s’installe avec le temps et le jeune garçon apprend à moduler ses affects à partir de règles nouvelles. D’autres figures s’imposent à lui et se substituent à la présence rassurante de ses parents. Plus tard, Edgardo deviendra prêtre et tentera de rallier sa famille (jusque sur le lit de mort de sa mère) à la doctrine qu’il pratique. Là est le mystère entier que le film révèle : comment Edgardo a-t-il pu concilier la foi qu’il a, contraint dans un premier temps, fait sienne avec le trauma que celle-ci a véhiculé ? Comment Edgardo a-t-il pu rester fidèle à l’instigateur de son enlèvement, le Pape, devenu par la suite une figure parentale de substitution ? Comment a-t-il pu transposer les affects initialement et naturellement adoptés avec ses parents sur des territoires établis sur la base d’une souffrance extrême ?

Nul doute que Edgardo fut, dans un premier temps, motivé par l’espoir de retrouver ses parents. Puis, l’âge aidant, par calcul peut-être, Edgardo adhère au catholicisme avant d’en devenir, à l’âge adulte, l’un de ses plus fervents émissaires (il suffit de voir avec quel empressement il repousse son frère venu le « libérer » ou avec quelle détermination il tente de convaincre ses parents de le rejoindre dans la dévotion catholique).

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C’est sur ce point que le film exerce un attrait certain. Comme toujours avec Marco Bellocchio, ce sont les indescriptibles arcanes de l’âme humaine qui intéressent le cinéaste. Le spectateur est invité à parcourir une zone d’indécisions où de multiples hypothèses pour expliquer l’attitude d’Edgardo interagissent sans qu’il soit possible de résoudre le mystère qui entoure la personnalité du jeune homme. Certes, le principe de défense psychique inconscient qui œuvre ici évoque le syndrome de Stockholm mais la mise en scène sème le trouble. Le travail sur le clair-obscur invite à ne pas se contenter de conclusions hâtives pour, au contraire, toujours questionner l’évidence. Les variations proposées sur le rapport qui existe entre l’ombre et la lumière incitent à reconsidérer nos certitudes. L’enlèvement se compose essentiellement de plans qui apportent systématiquement des nuances, narratives et visuelles (le montage n’est pas en reste dans un jeu de télescopage déstabilisant), aux conclusions que nous aurions pu entériner. Le film entraîne alors le spectateur dans des zones de réflexions où l’indécis règne. Assez étrangement, Marco Bellocchio tend vers une certaine forme de métaphysique puisque l’inexplicable comportement d’Edgardo rejoint l’irrationalité de toute forme de croyance. Ainsi Bellocchio s’approche, mine de rien, du fondement de la foi individuelle. S’il est difficile de l’expliquer de manière à satisfaire le plus grand nombre, il est cependant certain qu’elle demeure tangible pour ceux qui font le choix de s’y adonner. En tout cas, il y a bien une chose qui est limpide ici, c’est qu’il sera bien difficile au spectateur de ne pas se laisser emporter par ce nouveau film de Marco Bellocchio, cinéaste passé maître dans l’art de rendre concret tout ce qui relève de l’irrationnel ou de l’immatériel.

Pour un complément d'information, cliquez en bas de page sur le lien vers l'article audio réalisé pendant le Festival de Cannes

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Crédit photographique : © Anna Camerlingo 2023 Tous droits réservés IBC MOVIE KAVAC FILM AD VITAM PRODUCTION MATCH FACTORY PRODUCTIONS ARTE FRANCE CINEMA

 

 

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