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Le dernier jour de Howard Phillips Lovecraft 

Publié par - 6 novembre 2023

Catégorie(s): Sorties DVD/BR/Livres

À quoi peut bien songer un artiste lorsque sa fin est proche ? À ses regrets ? À sa postérité ? Quel regard porte-t-il sur sa création ?  La contemple-t-il avec satisfaction ou frustration ?  En perçoit-il le sens ou la vanité ?  La croyance populaire veut que l’on voit sa vie défiler devant ses yeux durant cet ultime instant au bord du gouffre. C’est le moment idéal pour plonger dans l’esprit d’un homme et satisfaire une curiosité morbide, mais essentielle. L’exercice biographique est après tout nécessaire à la compréhension totale d’une œuvre. Ainsi, lorsque Romuald Giulivo et Jakub Rebelka se proposent de nous raconter Le dernier jour d’Howard Phillips Lovecraft, la curiosité se réveille. À quoi pouvait bien songer le fondateur de l’horreur cosmique, ce genre où les extra-terrestres deviennent des dieux pour une humanité réduite à un accident de l’évolution, au moment où il s’apprête à rejoindre un néant qu’il semblait appeler de ses vœux ?

Le récit démarre sur des visions hallucinées écarlates d’un Lovecraft en plein rêve sur son lit d'hôpital. Revenu à la dure réalité du 15 juin 1937, le patient n’est pas un auteur reconnu. Le médecin et l’infirmière parlent de lui avec une nonchalance mâtinée de mépris pour un homme mutique et pâle, déjà un cadavre oublié, semble-t-il. De toute façon, il n’écrivait que dans les magazines Pulp ; Ces journaux à deux sous aux nouvelles grotesques, dont un exemplaire affichant Conan le barbare sous un ciel rouge se trouve dans la valise du moribond. Le statut de Lovecraft et son rapport au monde imprègnent ainsi le monde.

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La réalité a des colorations mornes, proches de la chair humaine, et déformées dans une approche que ne renierait pas Francis Bacon. Le peintre et l’écrivain de Providence semblent se rejoindre sur le sentiment que le monde matériel est lourd, vulgaire, un amas de chair sans grand intérêt. L’inverse complet des paysages cauchemardesques qui suivront, souvent imprégnés de rouge et évocatrices des peintures démentiels de Beksiński ou de Michael Whelan, notamment son Lovecraft’s Nightmare utilisé pour illustrer un recueil de l’écrivain en question. Par cet alignement de références esthétiques, le regard que Lovecraft posait sur le monde est retranscrit avec pertinence. L'univers n'est que matière, fade et grossier. Ce qui intéressait le mourant, c’était le monde des songes, cauchemardesque mais esthétique.

Au-delà des premières hallucinations, Lovecraft reçoit la visite d’un homme qui porte le même nom que l’un de ses personnages, Randolph Carter, l’explorateur du monde des rêves. Le récit entreprend alors une plongée onirique à la rencontre de personnages impossibles dans des paysages incroyables. L’écrivain s’accroche à la théorie du délire sous le coup de la morphine tandis que lui apparaissent Sonia, sa femme depuis longtemps partie, ou le prestidigitateur Houdini, un ancien commanditaire normalement décédé. Les fantômes du passé rappellent au mourant l’échec de son mariage, son racisme d’autrefois et bien d’autres choses. La conversation est motif à une plongée dans leurs origines et l’odyssée prend ainsi une dimension psychanalytique.

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La psyché du reclus de Providence étant des plus troublées, le paysage en est ainsi impacté dans une logique proche de l'expressionnisme allemand. Telle l’affiche du Cabinet du Dr.Caligari, le monde est difforme et ses habitants, monstrueux. Ils ne sont pas dépeints tels qu’ils étaient, mais tel que Lovecraft les ressentait. La pensée lovecraftienne est après tout parcourue par un dégoût nostalgique de la modernité, une terreur des grandes villes et un usage symbolique des monstres qu’il partageait avec ces artistes germaniques. Combinées ainsi dans le creuset esthétique de Giulivo et Rebelka, leurs réflexions se présentent comme épiphénomènes d’une angoisse globale traversant les pensées d’une époque. Les craintes de ces artistes sont le fruit d’un certain contexte qui est au cœur des plaidoiries de Lovecraft face à ses visiteurs.

En plus des fantômes du passé, des amis de son présent et des apparitions futuristes confrontent le reclus de Providence. Sonia lui propose de se créer une vie parfaite et ses amis, un bonheur éternel grâce à la fiction. Des représentations d’auteurs modernes et connus se proposent d’écrire son histoire et interpréter son œuvre pour en faire un amalgame cohérent et subversif afin de la rendre éternelle et omniprésente. L’auteur mourant est dans une lutte symbolique contre un ennemi polymorphe qui semble être sa propre légende en devenir. Une lutte qui l’incite à prendre la plume une dernière fois comme pour lancer un appel désespéré à son entourage et à un lectorat qu’il n’imagine pas existant.

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Le défilement des images est entrecoupé de lettres manuscrites dans une approche similaire à celle de Renard et Maudoux avec leur Dahlia Noir. Le texte reste après tout le support de prédilection de l’expression et exploration psychologique. Lovecraft lui-même déclarait que seules ses correspondances avaient de la valeur. Ce dernier exprime ainsi sans détours les éléments essentiels à retenir de sa vie et sa pensée, en opposition à ce que déclarent ses visiteurs cauchemardesques. Plutôt qu’un sculpteur de cauchemars répugnants, un raciste passéiste ou un ermite génial, Lovecraft se décrit comme un artiste médiocre, un produit de son temps et un cynique capable d’amitié et d’humour. Les promesses d’immortalité artistique sonnent comme une forme de vanité pour celui qui trouve du réconfort dans l’oubli.

Le sociologue Philippe Le Guern a un jour écrit qu’il n’y a pas d’œuvres cultes, juste le culte des œuvres. Et peu d'œuvres semblent avoir donné naissance à un culte aussi tentaculaire que celles d’Howard Phillips Lovecraft. Nombre de romans, films, bande-dessinés et jeux vidéo reprennent ou s’inspirent de ses créations. Le nom de l’auteur, comme bien d’autres avant lui, perdure ainsi dans les mémoires pour atteindre une forme d’immortalité. Néanmoins, la plongée dans son esprit tourmenté qu'offrent Giulivo et Rebelka rappelle que le fameux Mythe de Cthulhu est une création posthume, une récupération aux airs de créature de Frankenstein placardée sur l’image d’un homme divinisé par les admirateurs du Reclus de Providence. Une apothéose qui, lorsque l’on s’intéresse à l’homme en question,  était bien la dernière chose que désirait Howard Phillips Lovecraft, trop occupé à songer à sa terreur existentielle. Sans doute jusqu’à la dernière seconde de sa vie.

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Crédit image : Copyright 2023/Giulivo/Rebelka/404éditions

 

 

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