L'armée des 12 singes
Publié par Stéphane Charrière - 7 décembre 2023
Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres
Après le remarquable travail éditorial consenti autour de JFK d’Oliver Stone, L’Atelier d’images se distingue à nouveau avec la très belle édition vidéo consacrée à L’armée des 12 singes de Terry Gilliam. L’image bénéficie d’un traitement HD des plus probants et le disque d’un important contenu éditorial. À ce titre, il est à noter la présence en complément de The Hamster Factor et autres histoires de Terry Gilliam et L’Armée des 12 singes, un making-of réalisé par Keith Fulton et Louis Pepe, les deux réalisateurs du célèbre Lost in La Mancha qui relate les déboires rencontrés lors de la production de L’homme qui tua Don Quichotte. Les acquéreurs de l’édition numérotée pourront également bénéficier de la présence d’autre suppléments au premier rang desquels figurent La Jetée de Chris Marker et deux entretiens accordés par Gilliam à plus de 25 ans d’intervalle.
Si L’Armée des 12 singes exerce encore aujourd’hui un charme certain sur le spectateur, c’est sans doute parce que le film aborde une question fondamentale de l’art cinématographique, celle de la représentation de la durée et d’une narration construite à partir de différentes formes de temporalités. Certes, L’Armée des 12 singes n’est pas la première œuvre de l’histoire du cinéma à se pencher sur ce type de questions avec brio mais rares sont les œuvres à avoir, comme c’est le cas ici, réussi à vulgariser des problématiques aussi complexes sans sombrer dans la facilité ou, au contraire, sans s’être laissé parasiter par des récits ampoulés.
Le film est une sorte de pari (comme tous les films de Gilliam). Il s’agit de concevoir un film qui s’inspire de deux œuvres fondamentales de l’histoire du cinéma sans les trahir (La Jetée de Chris Marker et, par effet concentrique, Vertigo d’Alfred Hitchcock). Pour être tout à fait exact, si le film est toujours attractif, c’est parce qu’il est également, au-delà du voyage d’un individu qui revient du futur pour rencontrer le présent, un voyage dans l’histoire du cinéma.
Si Gilliam emprunte des éléments thématiques divers aux films qui se sont interrogés sur la possibilité d’un corps de voyager dans le temps (voyage du futur dans le présent, métempsychose, itération et récurrence, etc.), c’est toujours pour mieux revenir à La Jetée de Marker donc aussi à Vertigo d’Hitchcock. Deux œuvres dans lesquelles des cinéastes contemporains ne cessent de puiser.
Il est d’ailleurs surprenant de constater combien Hitchcock est présent dans le film et pas seulement par des citations explicites de Vertigo (le film d’Hitchcock est celui qui est projeté dans le cinéma dans lequel se réfugient le Dr kathryn Railly (Madeleine Stowe) et James Cole (Bruce Willis), la perruque blonde revêtue par le Dr Railly pour échapper aux forces de l’ordre et aux envoyés du futur, la musique de Bernard Herrmann, etc.). Mais, par le son ou par la présence d’une iconographie propre à quelques autres œuvres hitchcockiennes, sont invités à participer au débat des films comme Les Oiseaux, Psychose, L’inconnu du Nord-Express, La mort aux trousses.
C’est donc aussi et peut-être surtout à un voyage dans le cinéma que le film de Gilliam nous convie (difficile de ne pas songer à Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman pour les séquences qui se déroulent dans l’asile psychiatrique). Le style très graphique du film prépare l’imaginaire du spectateur à formuler des hypothèses inconscientes qui œuvrent pendant la segmentation de plus en plus elliptique des séquences. Il s’agit de contraindre l’observateur à littéralement interpréter ce qui n’est pas vu et donc à s’impliquer dans le film (Hitchcock aurait certainement apprécié). Le sens induit par les voyages temporels de James Cole se nourrit systématiquement de la lecture et des connaissances du spectateur invité, lui, à voyager dans le temps filmique et recourir à son savoir cinéphilique (et même philosophique) des œuvres (essentiellement La Jetée et Vertigo) qui servent à structurer le récit de L’Armée des 12 singes.
Les hypothèses conçues de manière instinctive jalonnent un récit auquel parviendront tout de même à se raccrocher les esprits les plus fantasques. Car le film respecte une éventuelle lecture de La jetée : L’Armée des 12 singes, comme le film de Marker, pourraient être appréhendés comme des variations sur les thèmes de Vertigo d’Hitchcock. Aussi, des marqueurs, des repères existent pour décrypter le narratif : les retours de Cole dans le futur de 2035 ou la scène de l’aéroport qui, respectivement, ouvrent et closent les chapitres du film.
L’habileté de Gilliam se mesure à sa capacité à faire de James Cole un être conscient de l’inéluctable issue du film. Car L’Armée des 12 singes épouse une forme de récit qui relève de l’hélicoïdal. C’est-à-dire que les événements se répètent mais pas tout à fait à l’identique. À chaque révolution, James Cole, celui par qui les images nous arrivent, se nourrit d’une expérience qui modifie en profondeur son âme d’une charge émotionnelle qui redéfinit les contours de sa personnalité et de réflexions qui façonnent son identité. Comme chez Hitchcock, la dernière pièce du puzzle se révèle, sauf pour les spectateurs attentifs à la mise en forme, lors de l’ultime scène du film. Là où, à la fin de Vertigo, Scottie Ferguson faisait l’amer constat de la précarité de l’existence, de l’insignifiance de ses désirs et de son incapacité à changer le cours des choses, James Cole, lui, est associé à l’image du spectateur. Le personnage est à considérer comme une invitation à repérer puis à décoder des signes dispersés ici ou là dans les volutes du récit ou dans la mise en forme de ce dernier afin de parfaire l’accomplissement de la translation personnage/spectateur souhaitée par l’auteur. Au regard de la pandémie vécue depuis 2020, il serait sans doute judicieux de réinvestir le propos de L’Armée des 12 singes, histoire d’éviter que l’histoire ne se répète.
Crédit photographique : Copyright Universal pictures - Atlas entertainment - Collection ChristopheL - AFP
SUPPLÉMENTS :
The Hamster Factor et autres histoires de Terry Gilliam et L’Armée des 12 singes (1h37 environ)
Bande-annonce d’époque et Bande-annonce de 2023
CONTENU EXCLUSIF À L’ÉDITION CULTE NUMÉROTÉE À 1000 EXEMPLAIRES :
La Jetée, court-métrage de Chris Marker ayant inspiré le film (28 min- HD)
Master class de Terry Gilliam au London Film Festival (1996 – 24 min)
Interview Exclusive de Terry Gilliam au Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg (2023 – 28 min)
Un facsimilé du dossier de presse cinéma d’époque
Une affiche recto/verso du film