Splitscreen-review Image de Sparta d'Ulrich Seidl

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Sparta / Wicked games

Publié par - 3 janvier 2024

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Sparta compose avec Rimini, film qui suivait les frasques érotico-musicales d’un chanteur/crooner autrichien sur le retour, un diptyque articulé autour de deux frères que tout semble opposer. Rimini était consacré au personnage de Richie (Michael Thomas), le chanteur évoqué, tandis que Sparta s’emploie à étudier (le mot n’est pas trop fort) Ewald (Georg Friedrich), le frère aperçu déjà dans Rimini. Deux frères aux caractères opposés comme le laisseraient penser les scènes qui les réunissent dans Rimini lorsqu’ils se croisent à l’occasion d’un bref retour au pays de Richie. Autant Richie apparaît extraverti, usant de son « pouvoir » de séduction sur une faune féminine et touristique d’un âge certain, conscient de ses actes et conscient d’être dans une situation morale où la dignité est un luxe, autant Ewald apparaît réservé et effacé. Pourtant, au bout du compte, tout rapproche les films et les protagonistes. Sparta et Rimini sont frères comme Richie et Ewald. Sparta contredit très vite la perception que le spectateur qui aura vu les deux films pouvait avoir d’Ewald. Les deux personnages partagent une filiation qui métastase leurs comportements. Les deux frères ont pour figure paternelle un individu qui ne laisse paraître, pour le peu qu’il nous est donné de l’observer, que deux traits de caractère bien particuliers.

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Le père, croisé au détour de séquences dans les deux films, vit en Ehpad et passe ses journées à pleurer son enfance perdue ou à fredonner des chansons nazies. C’est là sans doute que les dissemblances évidentes entre Richie et Ewald s’effacent au profit d’une complémentarité. Sparta s’ouvre sur une multitude d’échecs qui conduisent Ewald à perdre son emploi et à se séparer de sa conjointe. Il se retrouve alors seul, isolé, en Roumanie. Puis très vite Ewald se mélange à des groupes d’enfants pour partager des moments qui diffusent un doute sournois dans l’esprit du spectateur : Ewald est-il un être déboussolé en quête d’une identité incomplète ? D’une enfance perdue ou jamais pleinement vécue ? Ou bien est-il un prédateur ? Les réponses arriveront assez rapidement.

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Car chez Seidl tout est là, dans le cadre, dans le temps filmique qui saisit des moments de vie rattachés à une trivialité déconcertante, au mieux, et inconfortable la plupart du temps. Ewald imagine un camp retranché qui sert de base aux gamins désœuvrés d’un patelin perdu. Le plus souvent, les enfants sont livrés à eux-mêmes. Alors Ewald les invite à le rejoindre dans un camp nommé Sparta pour qu’il puisse leur enseigner les rudiments du judo. Une analogie s’impose. Le Sparta ressemble, au moins en deux points, aux camps imaginés pour éduquer les jeunesses hitlériennes : même exaltation et fascination pour les corps et même volonté de former des êtres différents. Le père n’est jamais très loin finalement. Ce qui prime dans le Sparta, c’est bien entendu la fascination de l’adulte, la caméra sera toujours assujettie au regard d’Ewald, pour le corps des préadolescents et pour celui d’Octavian en particulier.

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Les cadres choisis par Seidl pour montrer l’apprentissage d’Octavian, le plus discret, le plus fragile en apparence des gamins qui composent la bande du Sparta, troublent l’observateur. Si le point de vue adopté par la caméra s’accompagne généralement de plongées, Ewald est plus grand que tous les enfants, il se contente de ce rapport de taille sans jamais se charger d’insistance sur des détails corporels ou autres. Car il n’y a jamais de surinterprétation chez Seidl. Le cinéaste n’éprouve jamais le besoin d’être didactique, ce qui attise l’agacement de certains critiques. La caméra montre, capture ce qui est. On a beau savoir que nous sommes en présence d’un travail fictionnel, la démarche formelle choisie par Seidl, proche du documentaire, abolit la distance qu’une fiction aurait inévitablement introduite entre l’écran et le spectateur.

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La condition humaine que nous expose le cinéaste relève d’une monstruosité plus ou moins passive ou plus ou moins larvée qui émane de chaque personnage croisé et qui questionne ce que nous sommes, nous, spectateurs. Quel est le personnage le plus odieux présent à l’écran ? Le père de Richie et d’Ewald ? Ewald et ses évidentes attirances pour les enfants ou bien les parents de ces derniers qui, dans le doute, laissent leurs enfants se rendre malgré tout au Sparta ? L’inconséquence de cette attitude parentale aura bien entendu des répercussions sur chacun et les dommages occasionnés, on s’en doute, des effets irréversibles sur les trajectoires comportementales des uns et des autres. Avec Sparta, Seidl poursuit son travail d’observation de la nature humaine pour enrichir le débat sur une condition humaine qui, en Occident, perd un peu plus chaque jour de son humanité.

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Crédit photographique : Copyright Neue Visionen Filmverleih / Copyright Damned Films

Aucun supplément n'est présent sur ces éditions.

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