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Prince of Persia : The Lost Crown
Publié par Martin Jacob - 11 février 2024
Catégorie(s): Jeux vidéo
Le développeur-éditeur Ubisoft, porté depuis vingt ans par la série Assassin’s Creed, a réussi à concrétiser le retour de la licence l’ayant inspirée : Prince of Persia. Le format choisi est le “metroidvania”, un genre rétro bien interprété par le studio montpelliérain. L’aptitude technique de ses développeurs ayant été reconnue de toute part, il faut trouver ailleurs les raisons du succès mitigé de ce jeu qui suscitait beaucoup d’espoirs. Cet article en propose une, pensée sous l’angle du game design.
The Lost Crown nous présente Sargon, héros dont la témérité est figurée autant par son apparence que par le gameplay qu'il actionne. Il se jette contre des murs piégés, esquive gracilement les coups de massue et roule entre les jambes d’imposants ennemis pour leur taillader le dos de trois coups adroits. Sa légèreté de plume lui permet des manœuvres agressives que les ennemis le poussent à effectuer ; il est fragile et dextre, mais pas couard. En cela Sargon évoque la notion en game design de consonance ludo-narrative : il existe dans le design de ce personnage un rapport étroit entre l'esthétique produite par les graphismes et celle issue de l'interaction.
Un autre parallèle peut être trouvé entre le développeur du jeu et son pitch : en déterrant cette vieille licence dont le héros explore des ruines, Ubisoft se comporte lui-même en véritable pilleur de tombes. Dans le vaste désert de sa production récente, il parvient à produire l'image d'un oasis : on se rafraîchit l'âme en y parcourant un gameplay antique mais bien dépoussiéré. Le combat y est, dès le départ, "challengeant" et profond et le platforming, divers et serré, fait connaître des instants de grâce. The Lost Crown propose en général d'excellentes épreuves de timing - tout comme excelle le timing de sa sortie, autant pour l'entreprise que pour l’industrie vidéoludique entière.
Une telle excavation n’est pas sans rappeler celle qu’Ubisoft a organisée il y a une décennie, lorsque sortaient les très séduisants Rayman Origins et Rayman Legends, eux-mêmes ravivant une license culte par un retour à la 2D. Il semble que ce développeur-éditeur, qui peine à se renouveler depuis une quinzaine d’années, parvient encore à séduire les foules avec des fantômes relookés. À l’instar de Blizzard, de Peter Jackson ou des Rolling Stones, Ubisoft devient un “nostalgia band” de son art, faisant subir au public ses approximatives compositions récentes avant de ressortir - parce qu’il faut vivre - de vieux tubes remixés. Cela ne leur empêche pas d’en valoir le détour. Comme pour Rayman, de fortes valeurs de productions appliquées à la 2D aident Prince of Persia à se distinguer dans le paysage industriel où la 3D s’est imposée partout. La reprise de la direction artistique est réussie, semblant à la fois fidèle au contenu d’origine et plus légitime que lui car gagnant en cohérence et en pertinence thématique.
Enfin, les spécificités de la licence ont bien été saisies par un gameplay pourtant différent. Prince of Persia, dont l’essence est le combat et le platforming ponctués de quelques énigmes, voit cette essence respectée et sublimée. En effet, ce nouvel opus ajoute aux phases de combat et de platforming exclusives des phases où ces deux activités sont simultanées : on saute d’une plateforme tout en parant un projectile, on se rue sur un ennemi tout en fuyant un piège, autant d’activités issues d’une profonde interaction entre deux systèmes historiquement distincts.
The Lost Crown apparaît en premier lieu comme l’exemple d’un reboot bien réalisé ; fidèle, amusant et techniquement compétent. Et pourtant, tout dans ce jeu ne tient pas de l’heureux retour.
Par un attachement manifeste à la fidélité historique, chaque aspect du design macroscopique des “metroidvanias” y est repris, y compris le sempiternel étirement de l’expérience justifié par la composante d’exploration. On explique au joueur qu’il doit trouver son chemin dans un immense complexe de couloirs enchevêtrés et s’il échoue, il recommence auprès du dernier checkpoint validé.
Cette antique mécanique implique que dans l’entreprise de trouver le prochain moment de gameplay véritable, le joueur est contraint d’effectuer, encore et encore, les mêmes séquences de gameplay liminaires, dont la difficulté est rendue faible pour éviter que cette redondance ne s’accompagne de trop de frustration. Le joueur doit néanmoins accepter de consacrer une majeure partie de son temps à effectuer des challenges assez difficiles pour punir l’inattention mais pas assez pour être intéressants ; ils s’en retrouvent au mieux ennuyeux, au pire irritants. Des fonctionnalités sont produites pour tenter d’expliquer, voire de justifier, cette mécanique : de petits objets cachés, des éléments permettant de retracer son parcours en utilisant de nouvelles capacités, et même un appareil photo qui aide à constituer un album de points d’intérêts. Autant de tentatives de polir un gameplay macroscopique obsolète, auquel s’ajoutent d’insipides cinématiques, parmi les étirements superfétatoires - bien qu’annoncés comme nécessaires - de la durée de jeu.
Il est dommage qu’Ubisoft, ayant réussi à fabriquer cinq heures de gameplay jouissif, ait souhaité en faire une expérience de trente. Une telle édulcoration suffit à rendre fade la plus savoureuse des expériences. Et pour cause, malgré l’encensement des critiques pour ces cinq heures aux qualités indéniables, il semble que Prince of Persia : The Lost Crown n’attire que peu de joueurs, contribuant à l’accablement des forces vives du développeur-éditeur géant. À peine sa couronne déterrée qu’Ubisoft la perd, venant bientôt prendre sa place dans la tombe.
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