Splitscreen-review Image de La voie royale de Frédéric Mermoud

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La voie royale

Publié par - 21 février 2024

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Repéré grâce à ses courts-métrages (notamment L’escalier réalisé en 2003 qui figure parmi les bonus de cette édition vidéo), Frédéric Mermoud navigue entre différents formats filmiques (court, long, série TV) avec la même aisance. C’est ce que tend à prouver son troisième long-métrage, La voie royale, édité par Pyramide Vidéo sur support DVD. Comme toujours, les films du cinéaste suisse gagnent assez rapidement l’adhésion du spectateur. Que ce soient pour les sujets, pour les interprètes ou pour un dispositif toujours savamment orchestré, il est difficile de rester indifférent aux œuvres de Frédéric Mermoud.

Accroches multiples que le spectateur vérifiera une nouvelle fois avec La voie royale, film habile et équilibré. Envisageons le sujet : La voie royale nous propose de suivre le parcours d’une jeune et visiblement brillante lycéenne, Sophie Vasseur, remarquablement interprétée par Suzanne Jouannet. Sophie intègre sans trop savoir pourquoi une classe préparatoire lyonnaise, ce qui l’éloigne de la ruralité qui fut toujours la sienne. Peu filmé, ce cursus d’études reste assez fermé et obscur au plus grand nombre. Sur ce point, nul mystère : Frédéric Mermoud a su en capter l’essence et les particularités. Après avoir dit cela, que nous reste-t-il de plus en la matière ?

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Mermoud vise juste lorsque Suzanne, sortie de la ferme d’élevage de ses parents, débarque à Lyon ne sachant que faire pour exister dans ce nouveau monde qui s’ouvre devant elle. La voie royale transforme habilement l’espace des classes préparatoires en lutte des classes : Sophie vient d’un monde agricole en souffrance alors que tous ses compagnons de promo, ceux que nous verrons, appartiennent à une classe bourgeoise rompue et préparée à l’expérience de ce type d’études. Une conscience se forme sans céder au moindre manichéisme. Il n’y a pas les bons et les mauvais, il est constaté un état de fait. Rien de plus. Ce qui questionne tout de même les principes d’une éducation souhaitée être la même pour tous, ce qui semble bien utopique désormais. Pour autant, de ce strict point de vue, le film soulève une problématique que l’école, le collège et le lycée ne semblent plus en mesure de résoudre : l’excellence ne s’acquiert pas ou plus par les apprentissages scolaires sauf en de rares cas comme en témoigne le personnage central de Sophie, exception qui fait la règle.

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Après le sujet, considérons le film selon l’interprétation et plus particulièrement celle du personnage de Sophie. Suzanne Jouannet compose un personnage qui se nourrit de ses propres expériences. La voie royale est aussi cela, un film d’apprentissage. La comédienne couvre un spectre d’affects suffisamment vaste pour que le spectateur mesure les conséquences des épreuves, au sens littéral comme au figuré, traversées. Chez Sophie, il y a, même dans les moments de faiblesse, de doute ou de souffrance toujours quelque chose qui apparaît de son héritage social et familial. La dureté du monde rural, du labeur, de la rigueur, c’est là, en elle. Elle sait encaisser. Une fois évacué le syndrome de l’imposteur, Sophie avance, se construit, parfois dans la douleur, parfois en vivant quelques rechutes mais elle se découvre des ressources et des pensées inconnues. Sophie traversera la « prépa » comme n’importe quel lycéen travailleur et plus ou moins brillant y parvient à force de pugnacité. Le chemin est chaotique et seuls les plus persévérants s’en sortent. Mais, pour Sophie, ce qui a été consolidé ici ne relève pas uniquement de l’aptitude « scolaire ». L’étymologie du prénom Sophie nous le rappelle ; Sophie vient du mot grec sophia qui est associé à deux significations précises, sagesse et savoir. Et c’est aussi et surtout de cette éducation-là dont il est question ici : se définir en fonction de ce que les parcours humains et scolaires auront réservé. Ce qui importe Frédéric Mermoud, c’est de voir comment son personnage se transforme pour devenir la jeune femme qu’elle sera peut-être. En tout cas, le film laisse des indices et nul doute, nous voulons le croire, que Sophie sera une belle personne.

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Enfin, il serait sans doute inopportun de ne pas considérer la mise en scène. Car Frédéric Mermoud, s’il ne recherche jamais la virtuosité technique de crainte, sans doute, qu’elle ne masque l’importance du récit et des idées qu’il transmet, n’en dédaigne pas pour autant la mise en forme de son propos. Pour preuve, le spectateur attentif sera surpris, peut-être, par le format. Le schéma narratif initial indique que l’essentiel du film risque de se dérouler en lieux clos et pourtant le cinéaste choisit un format large, le cinémascope. Le format des épopées, de l’aventure, du trajet vers l’inconnu, le format du Western, aussi, autre récit initiatique s’il en est. Car le cinémascope a le pouvoir de toujours souligner l’intégration ou non d’un personnage au décor. Même si le ou la protagoniste demeure en plan serré, voire en gros plan, l’arrière-plan constituera toujours un ensemble de données objectives qui renseignera le spectateur sur une façon d’être au monde et dans le monde. Frédéric Mermoud ose donc le « scope ». Dès lors, filmée en plans serrés la plupart du temps, sa comédienne devient un paysage à part entière. Sophie est le monde. Ou son futur. Le cadre, aidé par le format, devient discours, il s’accorde aux sentiments de la jeune femme ou à ses pensées. De plus en plus serrés, les plans s’ingénient à enfermer Sophie dans des réseaux de lignes définies par un décor qui raconte les blocages, les sensations claustrophobiques vécues par Sophie, l’angoisse de l’échec, sensations si éloignées de son vécu dans sa vie de lycéenne, dans la vie d’avant. Et puis les cadres laissent parfois respirer Sophie. Et le spectateur avec car l’habileté du cinéaste consiste, par un découpage qui alterne entre plans serrés et plans plus larges, à nous donner à éprouver ce que vit Sophie sans pour autant la victimiser. D’ailleurs, intérieurement, secrètement, intuitivement, Sophie le sait, il faut en passer par là. L’émancipation n’en sera sans doute que plus solide à défaut d’être belle.

La voie royale, derrière l’évidence de son propos, affiche nombre de subtilités et d’interrogations sur le devenir d’une jeune femme qui accède, contre toute attente, à un monde où, n’en doutons surtout pas, son regard, sa finesse, son charme et son intelligence seront bienvenus. Car ce que La voie royale, sans trop forcer le trait, nous rappelle, c’est qu’il serait temps d’appréhender notre époque en considérant le point de vue d’une jeunesse qu’il serait bon d’entendre.

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Crédit photographique : Copyright Pyramide Films / Copyright lavoieroyale-emmanuelle-firman / Copyright la-voie-royale-jean-claude-lother

Suppléments :
Entretien avec Frédéric Mermoud (20 min)
Courts-métrages :
L'escalier (2003, 21 min)
Rachel (2006, 15 min)
Pas vu, pas pris (2016, 14 min)

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