Splitscreen-review Image de la trilogie de Sam Barlow

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La trilogie Sam Barlow

Publié par - 23 février 2024

Catégorie(s): Jeux vidéo

Nombreux sont ceux qui font un parallèle entre le Cinéma et le Jeu vidéo. Si cette comparaison est toujours le sujet de débats complexes, un consensus semble s’être dégagé sur l’existence d'un point commun : l’apparition au cours du temps de créateurs que l’on peut étiqueter comme auteurs ; en un sens, des personnalités qui s’emparent d’un médium et en manipulent les codes pour apporter une réflexion sur des sujets variés. Dans le domaine du jeu vidéo, certains Game designers se sont interrogés sur les éléments qui lui sont spécifiques pour porter un récit et des idées. On pense à Hideo Kojima avec son Metal Gear Solid ou à Ken Levine et sa série des Bioshock. Ces dernières années, Sam Barlow s’est inscrit dans cette lignée réflexive avec un trio de jeux atypiques et audacieux par son usage d’un procédé considéré par certains comme démodé.

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Lorsque sort Her Story, son premier jeu en indépendant, Barlow propose en effet une expérience particulière fondée sur l’usage de la Full Motion Video, ou FMV. Le principe est simple : placer des vidéos en prise de vue réelle dans un jeu vidéo. Né dans les années 90 avec l’arrivée du support CD, le procédé tomba vite en désuétude et ne fut que rarement utilisé par la suite. La faute, sans doute, à une dichotomie entre l’interactivité nécessaire au principe de jeu et l’usage régulier de ces cinématiques qui met celle-ci en suspens. En a résulté l’image d’une technique ostentatoire et contraignante. Ce n’est pourtant pas le ressenti que les joueurs eurent en découvrant le jeu de Barlow.

Her Story place le joueur face à un ancien écran d’ordinateur. Le format d’affichage et les imperfections digitales plongent le joueur dans les années 90, l’époque d’origine du FMV. Aucun objectif clair n’est présenté, mais une archive est à disposition à l’aide d’une barre de recherche. Celle-ci permet d’entrer des mots clés pour accéder aux enregistrements, en prise de vue réel, des sept interrogatoires d’une certaine Hannah suite au décès de son mari. Le joueur est donc dans la posture d’un enquêteur. Cependant, à l’inverse d’autres jeux du même genre, tel L.A. Noire, la linéarité narrative est absente.

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Le joueur peut analyser les vidéos dans n’importe quel ordre selon les mot-clés qui lui viennent en tête. La contrainte de ne pouvoir visionner que les premiers résultats d’une recherche accroît par ailleurs le besoin de réflexion. L’expérience de l’enquêteur qui découvre les indices selon les murmures de sa propre intuition est amplifiée par la possibilité de mettre les vidéos en pause à tout moment. Le principal écueil du FMV semble réglé. La vidéo n’est plus utilisée pour présenter un moment d’exposition à un spectateur attentiste. La persistance de l’interactivité maintient l’engagement du joueur, nécessairement observateur concentré pour réformer le récit. Le FMV devient vecteur d’une expérience complète et ainsi d’une réflexion que le joueur vit.

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En effet, à travers les différents jeux de Sam Barlow, l’implication du joueur lui permet de se questionner sur son rapport à l’image. Cela se confirme dès son second jeu, Telling Lies, qui repose sur un principe similaire à son prédécesseur avec des vidéos volées à une agence gouvernementale. L’avatar du joueur, dont on voit le visage se refléter sur notre écran, découvre les enregistrements de webcams parfois mobiles devant lesquels parlent des inconnus. Barlow troque le cadrage statique de la salle d’interrogatoire pour une forme de réalisme proche du voyeurisme. Le tout avec une interactivité plus forte car il est possible de rembobiner les vidéos, les accélérer et même interagir avec les sous-titres. La formule s’affine et l’implication s’accentue.

Tout comme dans Her Story, le joueur part avec certaines idées reçues sur les personnages enregistrés. Hannah semble de prime abord être une veuve éplorée, mais les recherches révèlent des secrets qui font douter de sa sincérité, de l’image qu’elle renvoie. De même, dans Telling Lies, les personnes épiées, comme David Smith, évoquent certaines idées parfois contradictoires qui entrent vite en collision. Est-il un producteur de musique raté, comme il le dit dans une première vidéo ? Ou plutôt un policier comme évoqué dans une conversation avec une camgirl aux airs de femme fatale ? À moins qu’il ne soit un agent fédéral infiltré. Difficile à dire car les vidéos ne livrent toujours qu’un aspect de la conversation. Cette logique étant la même pour chaque personnage, la vérité semble difficile à trouver malgré les vastes archives disponibles.

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Les inspirations cinématographiques de Barlow deviennent indubitables avec son dernier jeu en date : Immortality. Le joueur doit cette fois-ci résoudre le mystère de la disparition de l’actrice Marissa Marcel. Celle-ci a joué dans trois films de genres très différents, mais dont aucun n’est jamais sorti en salle. Pour trouver des réponses, le joueur doit visionner des extraits de ces fameux films. La découverte de l’histoire de Marissa commence donc avec les personnages qu’elle incarnait, souvent des femmes fatales à la sexualité manifeste. Cette première approche suggère au joueur l’idée que ce qu’il voit relève du factice et que la vérité demande une recherche plus approfondie.

En effet, interagir avec les extraits filmiques révèle d’autres vidéos prises souvent en dehors des tournages. L’image renvoyée par les films se confronte avec une certaine réalité révélée par des interviews et des enregistrements privés. Le format documentaire, proche du making-of, forme une mise en abyme qui dévoile une vérité cachée par l’artificialité cinématographique. Pourtant, la personnalité de l’actrice reste étrangement difficile à saisir. D’abord jeune et innocente, Marissa entretient un rapport de plus en plus trouble aux hommes d'autant qu’elle ne se révèle pas sincère en interview. Le documentaire, garant d’une proximité plus forte avec le réel, n'apparaît pas si fiable que cela.

Au final, une fois les extraits disséqués, un troisième niveau de lecture se matérialise. Des conversations sibyllines entre deux êtres étranges se superposent aux extraits déjà visionnés, rejouant littéralement les mêmes scènes que Marissa avec leurs propres mots. La troisième dimension d’Immortality se rapproche alors des films de David Lynch. Dans la continuité thématique dudit réalisateur, cette lecture surréaliste superpose réalité et imaginaire pour révéler les intentions dissimulées, parfois inconscientes, des personnages présentés. La réutilisation des scènes explicitant le lien entre Marissa et son double. Le niveau de lecture le plus fantasmagorique est paradoxalement le plus proche de la vérité.

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On peut en déduire, à travers cette trilogie vidéoludique, certains thèmes au cœur des réflexions de Sam Barlow. Réinjecter de l’interactivité dans le genre du FMV au sein d’une narration à reconstruire permet au joueur de s’impliquer et de se lier aux images présentées. À travers la succession de ses hypothèses induites puis détruites par les vidéos les unes à la suite des autres, celui-ci est poussé à se questionner sur ce rapport. Avec l’annonce d’un prochain jeu utilisant à nouveau le FMV, Sam Barlow se présente ainsi comme un auteur vidéoludique intéressé par un potentiel du genre manqué en son temps ; celui d’interroger l’observateur sur le rapport complexe et intemporel entre l’image, et la représentation visuelle en général, et la vérité portée par celle-ci. Un dicton connu prétend qu’une image vaut mieux qu’un long discours. Sam Barlow, avec ses récits filmés dans divers genres qui souvent dupent le joueur, contredit celui-ci pour prouver qu’au contraire, il n’y a rien de plus trompeur qu’une image.

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Crédits image  :
Her Story : ©SamBarlow
Telling lies : ©AnnapurnaInteractive
Immortality : ©HalfMermaidProductions

 

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