Splitscreen-review Image de Va savoir + de Jacques Rivette

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Va savoir +

Publié par - 3 avril 2024

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Lorsqu’en 2001 sort sur les écrans Va savoir, peu de spectateurs savent que la version de 154 minutes qu’ils découvrent n’est pas la version initialement pensée par Rivette. Une information fuite : Rivette aurait imaginé une version plus longue qui porterait la durée du film à 224 minutes. C’est cette dernière, identifiée par le titre Va savoir +, que nous propose ici Potemkine Films dans une édition vidéo aussi riche (voir détails de l’édition sous l’article) que celle consacrée à L’amour fou que nous avons chroniquée il y a peu.

Le ludique est constitutif de l’œuvre de Rivette et peu importe s’il s’invite de manière frontale ou par petites touches. Va savoir respecte cette logique et revendique un récit « léger » que certaines ellipses peinaient cependant à soutenir dans la version sortie en 2001. La première curiosité, pour ceux qui ne connaissent pas déjà Va savoir +, consiste justement à vérifier si les ellipses (parfois déroutantes) de la version « courte » disparaissent au profit d’un récit plus fluide. Avec cette version longue, le spectateur est amené à confirmer ou pas si l’humour dont le film témoigne s’inscrit dans la logique d’une temporalité matériellement moins évanescente et plus concrète.

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Va savoir + est une œuvre plus linéaire que la version connue du grand public. Mais une des questions essentielles soulevées par le discours filmique d’origine se développe avec plus d’insistance dans Va savoir +. Comme souvent chez Rivette, le hasard et le jeu des possibles qu’il soutient s’invitent de différentes manières dans la dramaturgie. L’un des procédés les plus utilisés par le cinéaste consiste à construire un narratif autour du monde du théâtre. Nourri par de glorieux prédécesseurs (Renoir ou Bergman par exemple), Rivette à très vite compris que la présence du théâtral dans le cinéma permettait de développer des intrigues secondaires qui venaient renseigner le discours principal ou bien reformuler quelques idées qui traversent l’intrigue. Mais, contrairement à Renoir ou à Bergman, pour comparer le travail de Rivette aux cinéastes précédemment cités, la présence du théâtre joue ici sur un autre registre.

Chez Renoir ou chez Bergman, la scène théâtrale est source d’une démultiplication de l’espace représentatif. Dans l’espace du théâtre, sur la scène ou dans les coulisses, les sujets qui touchent les protagonistes se rejouent conformément à ce qui conditionne la vie de chacun. Le théâtre permet de reproduire et de propager les problématiques rencontrées dans la réalité des personnages sur un autre territoire. S’il s’agit ainsi de transformer ces questionnements, les œuvres respectent cependant un principe d’analogie qui structure l’ensemble de la mise en scène. Or, Va savoir + apporte quelques idées nouvelles qui modifient cette considération du procédé.

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Dans le film, lorsque les représentations théâtrales s’invitent dans le découpage, elles n’apparaissent pas comme des duplications du réel. Ces scènes ne réécrivent pas ce qui s’est déroulé dans la réalité des personnages sous un angle différent mais elles en prolongent les effets afin de laisser entrevoir quelques variations subtiles dans le comportement des deux personnages principaux, Camille (Jeanne Balibar) et Hugo (Sergio Castellitto). Il s’agit ici d’estimer le réel à la lumière de l’artifice scénique.

La pièce qui se joue dans Va savoir + n’est pas anodine. Il s’agit de Comme tu me veux de Luigi Pirandello. Une pièce sur la vérité, sur le faux, la duperie, le mensonge, la supercherie. Rivette utilise la pièce comme un révélateur. C’est au contact du texte et de la mise en scène que Camille et Hugo changent, évoluent et ainsi parviennent à substantifier leur existence. Le théâtre souligne des éléments constitutifs de leur personnalité et demeurés jusque-là inconsidérés.

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Les personnages doivent alors accepter leur propre condition, faire le tri dans les sentiments qui les envahissent et accompagner ceux-ci de mots et d’actes afin d’en déterminer les contours. Va savoir + est donc l’histoire d’une réconciliation possible avec soi. À ce titre, l’évolution du rapport entre la scène et le réel apporte son lot d’informations. Le film s’ouvre sur une scène qui abolit les frontières entre le théâtre et la vie, l’intérieur et l’extérieur, l’espace public et l’espace intime. Camille sort de scène pour rejoindre sa loge. Depuis la scène, elle initie un monologue qui, dans l’ordinaire du quotidien, ne serait que pensée intérieure. Mais nous sommes au théâtre. Alors le monologue se prononce à voix haute. Camille parle et nous livre ses réflexions. Le monologue se prolonge en dehors de la scène, dans les coulisses, dans sa loge. Il se confond même avec de rapides propos échangés avec d’autres comédiens ou des membres de la production. À ce moment, tout fusionne. Le réel et le théâtre ne font qu’un. Puis, au fil du temps, les univers se séparent, le théâtre reste le théâtre et le réel suis indépendamment son cours. S’en suit une dissociation totale qui régira, en apparence de manière arbitraire, les imbrications entre le réel et la scène. En fin de film, alors que les problématiques semblent loin d’être résolues dans la vie, soudainement, le réel et le théâtre se confondront à nouveau dans le décor de la pièce de Pirandello. Il appartient alors au spectateur de revenir mentalement en arrière pour repérer ce qui a pu changer, ce qui a été modifié par rapport au début. Car, à ce moment, le film retrouve son unité initiale. La boucle est bouclée ? Oui et non. Parce que le film n’est pas une accumulation d’échos sur un même thème, il est tout en variations. Autrement dit, il ne s’agit pas d’une boucle mais d’une spirale. Et le spectateur de comprendre qu’il a été emporté pendant 3h44 dans un formidable et envoûtant tourbillon. De la vie ? Allez savoir.

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Crédit photographique : Copyright Les Films du Losange / Copyright Potemkine Films

Suppléments :
Sur les éditions DVD et BLU-RAY :
- Tempus fugit, manet amor, Interview de Jacques Rivette par Angelika Wittich ( 19min - 2001)
- Analyse du film par Pacôme Thiellement ( 53 min - 2024)
- Interview de Jacques Rivette par Frédéric Bonnaud ( 5min - 2002)

Uniquement le BLU-RAY:
Va savoir, la version courte du film (154 min)

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