Splitscreen-review Image de La fille de son père de Erwan Le Duc

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La fille de son père

Publié par - 1 mai 2024

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

La découverte de films par hasard ou par curiosité, ce qui revient à peu près au même, est, de nos jours, de plus en plus rare. La communication s’empare des objets et diffuse des idées, des images ou hélas des poncifs par l’intermédiaire de bandes-annonces ou d’images surinterprétées. Mais, dans cette ère du marketing, des films passent au travers et s’offrent à nous un peu contre toute attente. Parfois, la surprise est agréable et le film, d’emblée, gagne votre sympathie. C’est très exactement ce sentiment qui nous habite après le visionnage de La fille de son père de Erwan Le Duc. Habile et bien construit, le film, du traitement de son sujet au choix des interprètes, déploie un charme qui ne se dément pas au fil des minutes. D’autant que la mise en scène n’est pas en reste.

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Pour preuve, la séquence inaugurale, brillante. En 8 minutes sont résumés 17 ans de vie. Une rencontre, un coup de foudre, un accident magnifique, un départ et une vie qui s’organise à deux entre un homme, Étienne (Nahuel Pérez Biscayart), et sa fille Rosa (Céleste Brunnquell). Les ellipses, forcément nombreuses, ne nuisent pas à la compréhension. La très belle musique présente à cet instant pourrait nous laisser entendre que nous sommes en présence d’un montage en épisodes. Il n’en est rien mais l’effet escompté est le même. La bande-son nappe le film de sensations ou de sentiments qui traduisent l’essentiel. Le vécu, les doutes, les troubles, les peurs, les peines mais aussi les bonheurs s’exposent devant nos yeux. Rosa grandit et elle contraint son père à faire le deuil de son histoire. Rosa parle, pose des questions. Les réponses formulées par le père commandent à certains choix et disent beaucoup. Alors le père et la fille avancent. Le plus important est là. Et puis le début du film se place sous le signe de la douceur. Cela grâce à la voix off (celle de Youssef, le petit ami de Rosa) qui accompagne les premiers plans du film et qui, avec bienveillance, énonce certaines étapes de l’histoire. La voix off instaure par ailleurs deux principes narratifs qui resteront au centre du propos filmique. D’abord la présence du tiers qui observe plus ou moins à distance les événements et, par ailleurs, la voix off souligne l’importance du passé dans le déroulement des faits que nous allons voir.

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Le film repose sur une idée travaillée avec subtilité : parcourir le spectre des affects qui unissent ou désunissent un père et sa fille âgée de 17 ans. Surtout que les sentiments de l’une pour l’autre et réciproquement arrivent à un point de rupture a priori inévitable : Rosa est désormais en âge de suivre des études supérieures et, pour cela, risque de devoir partir vivre dans une autre ville. Alors il faut changer les choses pour rendre cette très probable séparation supportable. À commencer par la vente de la maison familiale. Et là, alors qu’un couple vient la visiter, Étienne et Rosa traînent, ils ne libèrent pas les lieux aussi vite que prévu. Étrange attitude du père et de la fille qui clament par ailleurs ne pas vouloir assister à la visite. Un indice narratif. Dans les hésitations des personnages et plus particulièrement de Rosa, se trouve une suite de péripéties (qui n’en sont pas réellement) qui étirent le temps du départ et qui racontent avec subtilité le sentiment qui habite la redoutable matérialisation de la séparation et de l’inquiétude sourde qui naît en raison de la prise de conscience des difficultés à venir.

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C’est là que le regard extérieur, celui du tiers, de Youssef, jeune homme brillant porté par un goût immodéré pour les lettres, révèle des failles jamais suturées. Dans les discussions, Youssef verbalise ce qui ne l’a jamais été, ni par le père, ni par la fille, ou alors de manière laconique. Or la situation aurait exigé d’être fouillée par les protagonistes pour être digérée et acceptée. Cette irrésolution des événements qui jalonnent toute existence, ici, prend une autre dimension. La mise en scène insiste parfois sur des moments qui traduisent les ravages occasionnés par les brisures vécues frontalement par le père et, par effet concentrique, par sa fille. La mise en scène joue sur la traduction discrète d’une instabilité latente avec laquelle les personnages ont composé sans pour autant résoudre les problèmes de leur existence. Le principe surgit plusieurs fois. Dans un plan, sans coupe donc, le cinéaste passe d’un état instable à une parfaite assise de l’image ou inversement, d’un état stationnaire et équilibré à une image chancelante. Il est question ici de révéler les fragilités de chacun, de donner à ressentir ce qui relève de l’indicible et qui, pourtant, est constitutif de l’identité de chacun. À ce titre, les peintures produites par Rosa résument les sentiments de la jeune fille, bien sûr, mais également le ressenti global qui étreint le spectateur. Les toiles de Rosa sont le reflet d’un mélange assumé d’un regard singulier sur le monde et, en même temps, elles témoignent des maux qui hantent Rosa sans pour autant qu’elle ne soit en mesure d’exprimer ses sentiments les plus enfouis.

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La fille de son père élabore un discours subtil sur une séparation qui permet finalement de faire le deuil, ou pas, d’une histoire passée qui a conditionné la cohabitation d’un père avec sa fille. Le film se construit autour d’une trame qui incite la mise en scène à prendre en compte les particularités du cadre de vie des personnages et leur appréhension respective de ce cadre. Étienne est un éducateur sportif qui passe son temps à inculquer des règles à de jeunes individus qui ont, tous, peu ou prou l’âge de sa fille (voir les séquences hilarantes des entraînements qui débutent tous par une citation philosophique ou autre prononcée par Étienne devant les joueurs). Un cadre donc. Au cadre de vie du père, espace rassurant de la domestication des problèmes rencontrés (l’entraînement sportif permet de « contrôler » et d’améliorer le plus possible une pratique donc de minimiser l’effet des aléas à venir face à un adversaire), répond le cadre des toiles de Rosa. Deux espaces dans lesquels s’extériorise finalement le besoin de dompter les peurs, de contenir les incertitudes et d’en modérer les effets. À ces cadres (le terrain de sport et les toiles) s’ajoute le cadre filmique qui balise les territoires, qui permet l’intrusion dans le récit d’éléments extérieurs et émancipateurs tels que Youssef (Mohammed Louridi) ou encore Hélène (Maud Wyler), la compagne d’Étienne.

C’est cette faculté de naviguer entre plusieurs registres ou plusieurs tonalités qui rend La fille de son père si attachant. Car le film n’est jamais là où on l’attend, il bifurque au gré d’envies narratives qui sont autant de propositions émotionnelles soumises aux spectateurs. Alors, de la banalité première du postulat de départ, La fille de son père est à considérer comme un voyage filmique qui sait toujours étonner. Et c’est ce qui rend le film précieux.

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Crédit photographique : Copyright Pyramide Distribution

Suppléments :
Entretien avec Erwan Le Duc par Brefcinema (9’)
3 courts métrages d’Erwan Le Duc :
« Jamais jamais » (2014, 29’)
« Miaou Miaou fourrure » (2015, 23’)
« Le Soldat vierge » (2016, 38’)

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