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Lethal Company

Publié par - 5 mai 2024

Catégorie(s): Jeux vidéo

Depuis quelques années, le jeu vidéo d’horreur a subi de nombreux bouleversements. Les œuvres indépendantes se sont multipliées et une catégorie inattendue s’est démocratisée : celle du multijoueur en ligne. De Phasmophobia à Enter the Backrooms en passant par The forest, de nombreux joueurs semblent apprécier de vivre la peur en groupe et bien plus de spectateurs aiment assister à leurs mésaventures diffusées sur les sites de streaming. Cependant, une sorte de paradoxe se dégage à l’observation de ce phénomène à l’auditoire étrangement large. Plutôt qu’être effrayés, beaucoup semblent rire à gorge déployée. Comment une expérience pensée pour susciter la terreur peut-elle provoquer l’hilarité ? Le dernier représentant notable du genre, une création indépendante au succès inattendu intitulé Lethal Company, semble pouvoir apporter un début de réponse.

Son créateur anonyme, connu simplement sous son pseudo de Zeekerss, propose à des groupes de quatre joueurs d’incarner des personnages en combinaisons Hazmat chargés d’explorer des labyrinthes remplis de monstres. Ceci afin de récolter des trésors pour une mystérieuse compagnie qui exige que nous atteignions un quota sous peine de mort. La récolte des objets permet l’achat d’outils qui simplifient l’exploration d’environnements de plus en plus dangereux pour un gain plus grand. Une boucle de Gameplay simple qui définit un objectif aussi clair pour le groupe que pour son auditoire.

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Reste qu’explorer les niveaux relève de l’épreuve de bravoure. Le labyrinthe est par nature un environnement qui suscite l’appréhension par sa capacité à faire perdre ses repères à son explorateur. Ceux de Lethal Company ne sont de plus jamais les mêmes grâce à la génération procédurale. Associé à l’obscurité et la simplicité répétitive des environnements, le joueur n’a que peu de moyens de se repérer. Les monstres qui peuplent ces dédales sont par ailleurs variés, mortels et imprévisibles. La répétition de l’expérience apporte à la longue des réflexes utiles mais aucune certitude. L’angoisse de la plongée dans l’inconnu est ainsi renouvelée à chaque itération et accentuée par une spatialisation sonore réaliste.

Contrairement à une majorité de jeux en ligne, Lethal Company ne permet pas d’établir un chat vocal omniprésent. Pour que les camarades s’entendent, il doivent être proches dans l’espace et leur voix se fait de plus en plus indistincte à mesure qu’ils s’éloignent. L’absence de musique accentue par conséquent la solitude et la crainte suscitée par le moindre son qui finit par occuper tout l’espace jusqu’à devenir écrasant pour le joueur, qu'il s'agisse de ses propres bruits de pas ou de ceux d’une créature. L’obscurité des labyrinthes ajoute à cette crainte par l’usage limité de la lampe torche, un outil optionnel à la batterie limité qui oblige souvent à prendre le risque d’avancer dans le noir de temps à autre. Zeekerss propose ainsi une expérience horrifique qui incite les joueurs à coopérer et à prendre des décisions désagréables, mais pragmatiques. Une approche qui floute la frontière entre l’avatar et le joueur, en accord avec les intentions premières du genre survival-horror, allant d’Alone in the Dark à Amnesia.

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Si la peur reste présente, Lethal Company suscite malgré tout le rire. Une contradiction que la narration explique. Les joueurs n’incarnent pas des héros, mais les employés d’une compagnie dirigée par un monstre mystérieux. Ces personnages démarrent avec le titre de stagiaire et peuvent gagner en expérience pour devenir employé à temps partiel, puis un employé reconnu par cette entité inconnue, agressive et qui mettra fin à leur existence s’ils n’atteignent pas leur quota. L’univers simule les mécanismes du monde de l’entreprise pour en présenter une caricature parlant à nombre de joueurs.

La direction artistique ajoute à cette atmosphère humoristique. Le monde est dépeint avec des couleurs parfois vives et des formes simples, voire grotesques, aux contours épaissis par le procédé du cel-shading. Ce dernier a pour objectif d’apporter au jeu qui l’utilise un rendu proche du dessin. Le tout pour illustrer des personnages dont la mécanique gestuelle est proprement exagérée. Ainsi, le jeu inscrit son univers dans une logique visuelle proche de celle d’un autre genre en apparence parallèle : le cartoon.

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En effet, plusieurs éléments confirment cette filiation. La plupart des objets ont une vocation humoristique derrière leur utilité. On pense aux panneaux de signalisation pour se défendre ou aux klaxons et coussins péteurs pour attirer l’attention des monstres. D’autres encore peuvent mettre le joueur dans une situation grotesque malgré lui. Notamment le téléporteur qui peut faire apparaître son utilisateur au-dessus du vide. Des éléments qui ne sont pas sans rappeler certains codes du cartoon et qui finissent de transformer le jeu en comédie à la vue de certains ennemis comme une boîte à musique qui marche, un monstrueux bobblehead ou un casse-noisette géant.

Tout cela participe à une métamorphose de l’expérience du joueur. Dans ce cadre humoristique, la tension ne se change pas forcément en cri de détresse. L’hilarité dépasse parfois la crainte à la vue d’un camarade pourchassé par une boîte à musique ou qui klaxonne de désespoir devant une araignée géante. Les membres du groupe ne sont alors plus les survivants d’un film d’horreur mais les protagonistes d’un cartoon. Raison pour laquelle autant de spectateurs en ligne apprécient d’assister à leurs parties. Une fascination qui n’est finalement que l’aboutissement d’un phénomène lancé par certains influenceurs à la sortie du jeu Five Night at Freddy’s.

La création de Scott Cawthon associait déjà des mécaniques de survie, avec la gestion de son énergie, à un univers horrifique en apparence enfantin, par la présence d’animatronics animaliers, pour faire exploser la tension sous l’effet de jumpscares efficaces. La terreur reste l’émotion dominante des joueurs de Five Night at Freddy’s de par la dimension fondamentalement solitaire de la licence. Le public en revanche, grâce à la distance naturelle entre le spectateur et l’action, se délecte des sursauts et cris d’effroi du joueur. Le jeu n’étant pas une dangereuse réalité, ces réflexes de survie semblent disproportionnés et ridiculisent leur émetteur.

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À la différence de Scott Cawthon, qui enlaidit un cadre innocent pour accroître l’horreur de son monde, Zeekerss a préféré changer un univers affreux en comédie qui puise autant chez Henri Bergson que les looney tunes. Suivant les théories du philosophe français, l’humour de Lethal Company vient d’une mise entre parenthèses de l’affect et mise en avant de la mécanique des choses. L’horrible est masqué par l’esthétique cartoonesque pour ne laisser que le ridicule et ainsi évoquer l’idée qu’entre l’affreux et le drôle, la seule différence est la présentation. Logique ! Dans le cartoon comme dans le slasher movie par exemple, les protagonistes sont souvent mûs par la survie face à une menace toute puissante. Les adolescents effrayés qui tentent d’échapper au tueur au masque de hockey des Vendredi 13, invincible et apparaissant là où on ne l’attend jamais, sont-ils si différents du loup pourchassé par un Droopy tout-puissant et omniscient dans les dessins animés de Tex Avery ?

Le succès récent de ce jeu indépendant, œuvre d’une seule personne, devient tout de suite plus compréhensible. L’ajout d’une dimension multijoueur devrait en théorie minimiser l’intérêt de l’expérience horrifique. La peur naît de l’impuissance et la force réside dans le nombre après tout. Mais en réalité, ce que rappelle les jeux comme Lethal Company, c’est que l’expérience sociale apportée par le multijoueur est parallèle mais souvent prédominante au genre auquel il s’accole. Le ridicule partagé rapproche autant que la terreur commune. Ainsi, Zeekerss, en associant les deux, propose un jeu qui rappelle davantage une simulation de dessin animé que l'exploration d'une maison hantée. Une expérience, au final, aussi satisfaisante à vivre qu’à regarder et qui parvient donc à rassembler.

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Crédit image : ©Zeekerss

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