Splitscreen-review Image de L'Invasion de Sergei Loznitsa

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L'Invasion

Publié par - 30 mai 2024

Catégorie(s): Cinéma, Critiques, Expositions / Festivals

Pendant ces dix dernières années, Sergei Loznitsa, grand réalisateur de documentaires, a travaillé principalement sur l'édition d'images d'archives de la Seconde Guerre mondiale. Parmi les exemples récents, on trouve Le procès de Kiev et L'histoire naturelle de la destruction (les deux de 2022). Avec son nouveau film, L'Invasion, présenté à Cannes dans la section « projections spéciales », Loznitsa revient au format de son film Maidan (2014), présenté aussi à Cannes, où il se livre à un montage d’images spécialement tournées pour le projet concerné. Et, comme d'habitude, Loznitsa ne fournit ni commentaire ni lieu ni date qui pourraient renseigner sur les plans filmés. Les images ont été tournées pendant deux ans, à partir d’août 2022, en différents lieux en Ukraine. Le film suit et traque ce qui reste de la vie quotidienne dans un pays en guerre en sélectionnant des scènes souvent associées à un rituel collectif : naissance, mariage ou funérailles.

Au début et à la fin du film, on voit des scènes filmées pendant un service orthodoxe consacré à l'enterrement de soldats morts après l'invasion russe. La scène d'ouverture, précédant les titres, dure presque 15 minutes. Dans celle-ci, la caméra s'attarde sur le processus qui se déroule à l'intérieur de l'église, sur les participants du service qui entrent et qui sortent et sur l’arrivée d'un autre groupe à la fin du service : les funérailles s’enchaînent et ne semblent pas avoir de fin. On commence par la mort, on reste avec elle et on y revient lorsqu'on la pense éloignée.

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Au fur et à mesure que les équipes du film voyagent à travers le pays, les lieux changent, tout comme les saisons. Ce qui ne change jamais, c'est la routine quotidienne qui suit son cours, peu importe où et quand, sans être apparemment affectée par les raids et la guerre. Ce maintien du rythme de la vie quotidienne, malgré la guerre, devient le signe de la résilience du peuple. Les gens continuent à vivre leur vie, à aller à l'école, à se marier et à avoir des enfants. Un épisode montre le mariage d'un jeune soldat, un autre raconte l’apprentissage d’une jeune recrue. Une autre scène surprend : une journée de classe dans une école. Soudain, un raid aérien. Alors la classe se déplace, elle se réfugie au sous-sol pour continuer à recevoir les enseignements scolaires. On voit aussi la visite d'un soldat en permission qui retrouve sa femme et son fils, nouveau-né, dans une clinique. Le film redéfinit une normalité qui prend acte de la guerre qui sévit au dehors et qui questionne le futur des enfants, des nouveaux mariés, de la population dans son ensemble.

Loznitsa s'attarde sur une situation à la fois. Le plus souvent avec une caméra statique. Principe habité par la volonté de prêter à sa caméra une position contemplative afin d’enregistrer les événements qui s’étendent sur un temps plus ou moins long. Le but est simple et efficace : souligner encore la force morale et physique de la population qui s’efforcent de préserver la continuité de son existence et de s’inscrire dans un fonctionnement social nouveau et sans doute durable. Il y a même un épisode où des aides fournissent des cadeaux aux enfants dans une crèche, tous en costumes de Père Noël. La vie continue, stoïquement. Les fêtes aussi.

Loznitsa garde une certaine distance. Au propre comme au figuré. Le montage a été réalisé dans un autre pays, la Lituanie. Les équipes de tournage aussi se contentent d'observer. Donc L'Invasion diffère de l'implication directe de son auteur inhérente aux prises de vue à la première personne qui firent le succès de 20 Jours à Marioupol, par exemple, qui a gagné l’Oscar. Alors que ce dernier s'intéresse à la souffrance et aux atrocités, faisant des gens des victimes (ils le sont, bien sûr), le film de Loznitsa met plutôt en évidence leur résilience et leur résistance, leur refus de se voir eux-mêmes comme des victimes.

L'Invasion s'attarde sur la banalité d’un quotidien qui ne l’est pas du tout pour nous mais qui, hélas, l’est devenu pour les Ukrainiens depuis plus de deux ans. La profonde admiration du cinéaste pour le peuple est palpable dans toutes les séquences qui, toutes, apportent leur lot d’informations quant à l’expression d’une force intérieure que les gens parviennent à trouver.

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Crédit photographique : Copyright ATOMS & VOID

 

 

 

 

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