Splitscreen-review Image de Adieu ma concubine de Chen Kaige

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Adieu ma concubine

Publié par - 6 juin 2024

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

D’abord, une fois n’est pas coutume, il convient de souligner combien l’objet proposé par Carlotta Films, nous parlons de l’édition prestige consacrée à Adieu ma concubine, est splendide. Pas une fausse note. De l’esthétique du packaging à la qualité de l’image filmique proposée sur les disques, tout est réussi : contenu du coffret (livret de 40 pages, photos du film, affiche) et contenu du disque même si les suppléments vidéo n’abondent pas (il faut dire que la longueur du film limite la place disponible sur le disque).

Revenir sur Adieu ma concubine aujourd’hui revêt nombre d’intérêts. D’abord, revoir ce film permet de mesurer l’audace de son auteur. Cela peut paraître anecdotique mais il n’est sans doute pas inopportun de rappeler qu’Adieu ma concubine fut l’un des premiers films à nous parvenir sur un sujet aussi sensible : les soubresauts historiques et politiques qui ont balisé l’histoire de la Chine au XXème siècle. Audace qui a coûté visiblement beaucoup au cinéaste comme le suggère Hubert Niogret dans un module en supplément à l’édition. Et puis, dans un second temps, l’édition rend tout simplement justice au film de Chen Kaige qui fut une palme d’or indiscutable (ex-aequo avec La leçon de piano de Jane Campion) pour son ambition et pour la poétique qui se dégage autant de la dramaturgie que de sa mise en forme.

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Le film porte le nom d’un célèbre opéra qui connut son heure de gloire au début du XXème siècle. En Chine, comme ailleurs en Asie, il est de coutume d’établir des liens entre l’art et l’histoire. Aussi en va-t-il de même avec cet opéra intitulé Adieu ma concubine qui a, dès sa création, transformé un événement historique en un récit épique teinté d’une histoire d’amour contrarié. Peu après la mort de l’empereur de Qin, premier unificateur de la Chine, différents seigneurs se disputent le royaume. Les deux principaux belligérants, Liu Bang et Xiang Yu, se livrent une guerre sans merci. Un soir, Liu Bang tente un coup de bluff et fait croire à Xiang Yu que l’armée de ce dernier a été défaite. Xiang Yu se prépare à la mort et ordonne aux êtres qui lui sont le plus chers de fuir. Mais, selon la légende, Yu Ji, sa concubine préférée, refuse de le quitter. Elle fait boire Xiang Yu et danse pour lui une dernière fois. Pendant la danse, la concubine s’empare de l’épée du guerrier et elle se tranche la gorge. L’histoire est devenue un modèle. La suite d’événements qui constituent le récit tel que représenté par l’opéra de Pékin s’est chargée, au fil du temps, de qualités qui furent érigées en valeurs morales par les milieux politiques et artistiques chinois avant de pénétrer la culture populaire.

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L’exemple est probant. Il est aisé de vérifier combien l’art a pu servir quelques élans politiques en se laissant imprégner par une histoire devenue, à force de représentations, une légende. Sur ce point, le film construit un récit habile où le réel et la fiction se confondent. Par exemple, les deux personnages fictionnels du film, Cheng Dieyi (Leslie Cheung) et Duan Xiaolou (Zhang Fengyi), empruntent nombre de leurs caractéristiques à deux figures légendaires de l’opéra de Pékin qui furent les interprètes réputés de cette œuvre en particulier : Mei Lanfang et Yang Xiaolou. À ce titre, le film abolit d’autres frontières que celles qui distinguent le simulacre du tangible. Le film manipule le temps. Si les événements apparaissent dans la discontinuité des années qui passent, ils s’inscrivent cependant dans une logique narrative qui s’indexe sur une continuité thématique. Ainsi, le film, s’il respecte une chronologie objective des faits, s’affranchit de leurs conditions d’existence et d’émergence. Ce que Adieu ma concubine tente alors de mesurer, ce sont les effets de l’histoire sur les personnages et la pratique de leur art. Ce qui finalement revient aussi à évoquer, de manière détournée, l’histoire de la Chine car c’est par le prisme des individus, par la chronique, que se raconte l’histoire d’une nation.

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Encore aujourd’hui, le film conserve sa puissance démonstrative. Les mouvements de caméra sont pensés de manière judicieuse et servent le propos global. L’utilisation du steady-cam est exemplaire du brio de l’entreprise. Utilisé avec parcimonie, le procédé s’inscrit dans le discours filmique avec justesse. Le plus souvent, Chen Kaige a recours au principe lorsque le récit pourrait basculer dans une fresque qui conduirait le public à observer l’évolution civilisationnelle de la Chine et non plus celle des personnages. La fluidité des mouvements associée aux déplacements des corps à travers les décors humanise le propos. Si l’histoire de la Chine est bien au cœur de la trame, celle-ci ne l’est que par un ajustement d’échelle qui passe par l’individu. Si, grâce à l’usage du steady-cam, l’espace filmique se charge d’une dimension organique, l’usage du grand-angle vérifie aussi la constitution d’un univers filmique où les personnages et le décor forment un tout indivisible dans un rapport du corps à l’espace (topographique ou temporel) qui devient le principal vecteur de sens dans le film.

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L’importance du corps se mesure aussi par l’importance dans le récit du personnage de Juxian (Gong Li), l’épouse de Duan Xiaolou. Le personnage répond aux besoins du film puisque Juxian, ancienne prostituée, ne pouvait figurer dans le répertoire de l’opéra de Pékin. Juxian, c’est la tierce personne qui, au-delà de l’ajout d’une touche féminine, interprète le rôle de celle qui voit au-delà des apparences. Elle est, choix étonnant pour l’époque, le personnage qui permet au spectateur d’avoir un coup d’avance sur les deux protagonistes masculins. Car ce qui relève de l’indicible, c’est-à-dire tout ce qui touche aux sentiments entre les deux hommes ou à leurs perceptions respectives du monde et de l’histoire de la Chine, se traduit par l’intermédiaire du regard du Juxian. Elle est la mise en scène. Elle est celle qui voit, elle est celle qui regarde, elle est celle qui analyse, elle est celle qui explicite. Juxian apporte de la matérialité à ce qui ne peut être dit. Le film se nourrit ainsi d’une présence qui, paradoxalement, substantifie l’inexprimable.

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Mais le personnage interprété par Gong Li est aussi en soi une forme de bouleversement formel. Le personnage de Juxian a été inventé pour les besoins du cinéma avec pour intention d’introduire les notions de variation et de changement. Juxian est, nous l’avons dit, l’incarnation même de la mise en scène. Mais nous pouvons lui prêter aussi d’autres qualités. Elle atteste des inévitables déformations que le temps imprime à la lecture des événements : un fait historique est devenu une épopée qui est devenue un spectacle d’une forme singulière (un opéra) avant de devenir un film. Juxian est à la fois la traduction d’une évolution d’un regard artistique sur les choses et, en même temps, elle est l’élément filmique qui porte la modernité à laquelle l’œuvre peut prétendre. Chen Kaige ne s’est pas trompé : si l’histoire s’enrichit au fil du temps (découvertes, précisions, etc.), il est une chose, au moins, qui relève de l’atemporalité, c’est l’humain et sa capacité à adapter son comportement aux événements qu’il rencontre. Adieu ma concubine est donc un film qui se visite en gardant à l’esprit que le spectre de sentiments qu’il explore aspire à une transcendance de toutes les formes d’expression.

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Crédit photographique : © 1993 TOMSON (HONG KONG) FILMS CO., LTD. TOUS DROITS RÉSERVÉS

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SUPPLÉMENTS :
. LA CINQUIÈME GÉNÉRATION (24 min – HD)
 Un entretien avec Hubert Niogret, historien du cinéma.
. MAKING-OF (24 min)
Retour sur l’aventure d’Adieu ma concubine en compagnie du réalisateur et des trois comédiens principaux.
. BANDE-ANNONCE TEASER (HD) . BANDE-ANNONCE 2023 (HD)

Suppléments spécifiques à l'Édition Prestige limitée n°27

LIVRET (40 PAGES)
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