Splitscreen-review Image de La ferme des Bertrand de Gilles Perret

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La ferme des Bertrand

Publié par - 10 juin 2024

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Si nous faisons abstraction de certaines comédies françaises, pour s’en tenir à notre cinématographie, le monde paysan a toujours été approché par le cinéma avec respect, voire avec fascination. Souvent, les cinéastes qui ont réalisé les meilleures œuvres sur le monde rural étaient ou sont des individus concernés directement par cet univers, Raymond Depardon et Georges Rouquier en tête. Toute proportion gardée, il en va de même avec Gilles Perret, réalisateur de La ferme des Bertrand qui filme à nouveau ses voisins agriculteurs depuis plusieurs générations.

Il en ressort un film attachant qui, avec humilité, pointe l’irrésolution de la problématique qui occupe les pensées du monde rural au sens large. Comment vivre dignement d’un travail que chacun s’accorde à estimer indispensable mais qui souffre d’une reconnaissance sociale ? Le plus troublant dans le film, c’est que cette question habite visiblement les pensées de la famille Bertrand, agriculteurs et éleveurs depuis plusieurs générations. Au regard des images qui nous sont présentées ici, la réflexion existe au moins depuis que leur avis leur fut demandé sur la question au début des années 1970.

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Nous pouvons le vérifier puisque La ferme des Bertrand réunit des images associées à des temporalités différentes. Se mêlent des plans et des propos glanés en plusieurs temps. On y trouve des images d’un reportage tourné en 1972 par Maurice Trillat qui enregistrait à cette occasion les propos des frères Bertrand sur leur vision du monde agricole. On y trouve également des scènes empruntées à Trois frères pour une vie (Gilles Perret, 1999) et, bien sûr, les images tournées par Gilles Perret en 2022 pour les besoins de La ferme des Bertrand.

Ce qui se dit ici aussi, en trois temps donc, c’est une histoire de la terre et de la famille qui y est attachée. Par extrapolation, il n’est pas interdit, loin de là, de voir à travers la famille Bertrand une histoire exemplaire du quotidien du monde paysan. Chez les Bertrand, il y a d’abord un amour inconditionnel pour ce qu’ils produisent, pour leurs animaux. Et ce ne sont pas les nombreuses difficultés rencontrées (décisions politiques parfois absconses, réchauffement climatique, etc.) qui affectent la volonté ou le goût du travail bien fait des Bertrand. Il faut s’adapter, sans cesse, ils le savent et cela fait partie du pacte passé avec la nature. Les vérités d’une année ne le seront plus l’année suivante. Quant au futur de la ferme… On ne se projette plus aussi loin chez les Bertrand. On espère certes que la génération à venir s’appropriera l’exploitation et continuera de la rendre prospère comme l’ont fait les anciens. Mais rien n’est sûr.

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L’adaptabilité est le maître mot des Bertrand. Continuer de travailler en optimisant les méthodes de travail. Le futur des Bertrand, pour l’instant, se traduit par l’investissement dans des robots de traite pour remplacer Hélène (en charge de l’exploitation depuis 1997) qui s’apprêtait à partir en retraite au moment du tournage. Le film est donc un témoignage à hauteur d’hommes et de femmes qui vouent un amour inconditionnel à leur métier qui, finalement, et les Bertrand en ont conscience, leur a donné autant qu’il leur a pris. Les Bertrand sont ce qu’ils sont parce qu’ils inscrivent leur activité dans une appartenance réciproque au territoire qui leur permet de vivre. Chez les Bertrand, il n’y a pas de quête effrénée aux subventions, d’investissement inconsidéré, il y a une juste connaissance des besoins, des nécessités et du présent.

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La ferme des Bertrand, sans le savoir, anticipe et rencontre les sujets soulevés par le Mouvement des agriculteurs initié début 2024. Les questions sont là. Les problèmes aussi. Loin des discours dominants (FNSEA) qui furent relayés par les médias, l’attitude et les réflexions des Bertrand ouvrent sur un monde agricole différent. Dans le film, il ne sera jamais question de rentabilité, ou alors indirectement, de législation contraignante ou de fiscalité dévorante. Rien de cela. Par contre, il sera question de travail. Un mot qui n’est plus jamais au cœur des débats, hélas. La beauté du film réside dans l’espace de liberté que son auteur octroie aux protagonistes. Ils s’expriment comme bon leur semble, au rythme qui est le leur et ils évoquent que ce qu’ils souhaitent évoquer. Gilles Perret, nous le savions déjà au regard de sa filmographie, crée un espace d’échanges où, en creux, se raconte la complexité d’une réalité. À n’en pas douter, s’il était besoin de gonfler le capital sympathie du monde paysan, c’est La ferme des Bertrand qu’il faut montrer à toutes et à tous.

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Crédit photographique : © 2024, JOUR2FÊTE • LA FERME DES BERTRAND © 2023, ELZÉVIR FILMS, VUES DE QUINCY, AUVERGNE-RHÔNE-ALPES CINÉMA, JOUR2FÊTE PRODUCTION, LES 400 CLOUS - TOUS DROITS RÉSERVÉS / LA FERME DES BERTRAND Copyright Laurent Cousin

Supplément(s)
• Entretien avec Gilles Perret (réalisateur) et Marion Richoux (coscénariste) – 22 min
• Poster : livret d’accompagnement / affiche du film


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