Splitscreen-review Image de Portier de nuit de Liliana Cavani

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Portier de nuit

Publié par - 1 juillet 2024

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Le film fit scandale à sa sortie. On le comprend. Le sujet dérange et il continuera de le faire. Contextualisons : Portier de nuit débute en 1957. À Vienne, en Autriche, nous suivons le cheminement de Max (Dirk Bogarde) qui se rend à son travail. Il est portier de nuit dans un hôtel du quartier de l’opéra. Si les troupes alliées ne sont plus présentes à Vienne, le passé n’est jamais très loin. Max est un ancien médecin nazi qui officiait dans un camp de concentration. En dehors de son travail, il passe le plus clair de son temps avec d’autres nazis à mettre en place des stratégies pour échapper à la justice. Peu de témoins ont survécu mais sait-on jamais. Un jour débarque Lucia (Charlotte Rampling) en compagnie de son époux chef d’orchestre venu se produire à Vienne. Lucia et Max ont un passé en commun, ils ont vécu une relation sado masochiste alors que Lucia était prisonnière. Bien sûr, aux yeux des amis de Max, elle est un témoin donc un danger.

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Surprise pour le spectateur, Lucia et Max sont à nouveau immédiatement attirés l’un vers l’autre. Il y aurait donc des sentiments entre cette femme et cet homme ? Commence alors une situation nouvelle qui reprend, formulée différemment, et pour cause, la situation de la rencontre initiale entre Max et Lucia. Les premiers flash-backs glacent le sang. Dans une salle, des individus des deux sexes, nus, affrontent le regard des tortionnaires. Parmi ces derniers, Max qui, muni d’une caméra, filme les déportés et Lucia en particulier. Le procédé qui vise à alterner entre des plans supposément tournés par Max, donc subjectifs, et des plans « objectifs » tendent à établir une distance que la suite du film tendra à abolir. Ce qui souligne combien Cavani était consciente de la problématique qui allait être la sienne : peut-on et doit-on crédibiliser la possibilité de voir naître une histoire d’amour au cœur de l’horreur absolu ? Il n’est plus ici question de vraisemblance mais de morale. Le pari est osé.

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Alors cette distance évoquée. Le montage alterné entre plans subjectifs (ceux tournés par Max) et les plans objectifs de la cinéaste tendent à souligner combien il faut dissocier le sujet de sa représentation. Jamais les plans de Cavani ne sont intrusifs lors de cette scène de la rencontre. Au contraire, ceux de Max ne sont que ça. Ils accomplissent déjà ce que l’homme s’autorisera plus tard, c’est-à-dire s’approprier le corps de l’autre sans que cet autre ne puisse émettre une opinion.

De toute manière, Lucia n’a pas le choix. L’exposition contrainte de sa nudité la dépossède de son humanité première (ce que montrent les plans de Cavani) pour devenir l’objet de différentes spéculations : possible sujet expérimental, objet de désir (le corps de Rampling tranche par sa jeunesse et sa singularité avec ceux des autres détenus) et puis elle est aussi un objet filmique, donc de projections fantasmagoriques, celles de Max.

Le contexte initial de la première rencontre, le camp de concentration, éradique d’emblée toute rationalité. Alors l’idée filmique que devient le corps de Rampling soulève quelques questions auxquelles le film va tenter de répondre : d’abord la question de la représentation (comment montrer un corps après le camp de concentration ?) et bien sûr la question de la passion amoureuse qui, nous le savons, appartient à l’irrationnel (l’actualité de Carlotta Films nous ramènera d’ailleurs très vite sur ce terrain prochainement).

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Ce qui dérangera aussi, c’est que ce qui se déroule à Vienne en 1957 est une sorte de réplique de ce qui a pu se passer, nous allons le découvrir assez vite, dans le camp. C’est parce que Lucia est devenue l’objet central des expérimentations sexuelles et amoureuses de Max qu’elle a sans doute survécu. Protégée par Max, Lucia s’en est sortie. Le film de Cavani soulève alors une question qui fera débat encore longtemps, celle de la culpabilité qui semble échapper à la conscience de Lucia. À moins que ce ne soit de l’incompréhension. Revivre alors les conditions de la claustration qui conditionnaient leur relation initiale ouvre sur la possibilité de revisiter les sentiments, les impressions pour tenter de les comprendre. Ce que les amants ne parviendront pas à faire, bien sûr. Ils se replient dans l’appartement de Max pour se protéger de l’extérieur (la justice et les compagnons de Max). Mais la scission avec le monde ne peut tout résoudre et tout expliquer.

Portier de nuit reste et restera ce mystère, à l’image de ce qui unit les deux personnages. Il n’y a rien à comprendre, il n’y a qu’à accepter, ou pas, de voir deux êtres vivre une relation sentimentale qui, du fait d’une contextualisation impensable pour le commun des mortels, insiste sur l’irrationalité des sentiments qui nous gouvernent.

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Crédit photographique : © 1973 LOTAR FILM S.r.l. TOUS DROITS RÉSERVÉS

SUPPLÉMENTS

. LE PORTIER DE NUIT : ENTRETIEN AVEC LILIANA CAVANI (37 mn – HD)
La réalisatrice Liliana Cavani revient sur la genèse de son film et insiste sur l’importance de témoigner de cette période sombre de l’histoire européenne par le biais du cinéma. Un entretien produit et réalisé par Roberta Licurgo.

. LA RÉALITÉ DES ÉMOTIONS : ENTRETIEN AVEC CHARLOTTE RAMPLING (30 mn – HD)
L’actrice Charlotte Rampling se confie sur son goût pour les rôles sombres, parle de sa complicité avec Dirk Bogarde et évoque la difficile réception de Portier de nuit. Un entretien produit et réalisé par Roberta Licurgo.

. BANDE-ANNONCE ORIGINALE

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