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Indika

Publié par - 16 juillet 2024

Catégorie(s): Jeux vidéo

Lorsqu’un jeu vidéo a vocation à transmettre un récit, il s’inscrit dans des logiques similaires à celles du cinéma. Emprunter au septième art pour perfectionner la narration d’un jeu est à présent chose courante. Si certains créatifs sont tombés dans l’impasse du film interactif en faisant de leur œuvre une série de cinématiques au cadrage travaillé, d’autres préfèrent expérimenter en associant les outils de mise en scène du cinéma avec l’interactivité, caractéristique essentielle du jeu vidéo. C’est ainsi, par exemple, qu’en utilisant une esthétique proche de L’échelle de Jacob d’Adrian Lyne dans un cadre interactif, la saga Silent Hill a permis aux joueurs d’expérimenter les tourments psychologiques de ses protagonistes. Avec Indika, les créatifs du studio russe Odd Meter proposent une approche plus expérimentale. Ceux-ci se tournent vers des influences littéraires plus que cinématographiques et s’intéressent aux domaines, peu explorés dans le jeu vidéo, de la religion et de la foi à travers le regard de la protagoniste du même nom.

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L’aventure proposée est celle d’une nonne, Indika, cloîtrée dans un couvent orthodoxe en Russie, vers la fin du XIXème siècle. En plus de ne pas être très apprécié de ses consœurs, la jeune femme est tourmentée par des visions étranges et une voix amusée qui serait celle du diable lui-même. Ce postulat de départ arrive après une introduction atypique. L’histoire démarre de suite avec un mini-jeu en pixel art, style propre au jeu vidéo, suivi sans transition par une cinématique en vue à la première personne dans des graphismes réalistes. Des yeux d’Indika, l’on passe alors à une caméra collée à son visage et synchronisée avec la gestuelle de sa tête. Les intentions de l'œuvre sont ainsi présentées. Nous sommes face à un pure produit vidéoludique qui nous fera voir le monde à travers le regard de cette nonne russe.

Dès lors, les bizarreries qui emplissent le monde trouvent une justification. Le monastère semble disproportionné, tout comme les mécanismes qui sortent de son puits. C’est que l’esthétique du jeu, dans une logique proche des Syberia de Benoît Sokal entre autres, n’est pas représentative du monde tel qu’il est, mais tel qu’Indika le ressent. Le couvent est une prison et les machines sont des bizarreries trop discordantes avec l’architecture ancestrale russe pour passer inaperçu. L’exagération et l’étrange mettent le réel objectif entre parenthèses et permettent aux sentiments du joueur d’être en adéquation avec ceux de la protagoniste grâce à un langage visuel évocateur. Raison pour laquelle, par exemple, les souvenirs de la jeune femme sont en pixel art. Un style propre aux années 90 qui sucite chez nombre de joueurs une nostalgie semblable à celle de la jeune femme.

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La réutilisation d’éléments interactifs propres à ces jeux du passé nourrit également le propos de cette aventure. Lorsqu’Indika accomplit ses tâches, elle remporte des points qui permettent de gagner des niveaux. Une logique qui se poursuit lorsque la jeune femme quitte le monastère pour accomplir une mission. En explorant le monde, comme dans nombre d’autres jeux, il est possible de récupérer des objets collectables, ici à caractère religieux, et accomplir des prières pour gagner plus de points. Seulement, là où ces systèmes ont pour principe de représenter une progression de l’avatar, ici, les points collectés n’apportent rien. Les niveaux permettent d’en gagner toujours plus mais aucune compétence n’est débloquée. Ce que l'œuvre met en avant, c’est l’aspect mécanique des rituels religieux, finalement poursuivis pour une raison simple : le joueur est depuis longtemps conditionné à gagner des points dans l’espoir que leur accumulation apportera une récompense. Par ce parallèle, le comportement religieux est présenté comme un conditionnement basé sur la foi, mais sans finalité concrète. Une absurdité que le Diable se plaît à rappeler.

Ce message prend corps par le croisement d’influences littéraires qui s’ajoutent à des références de structures vidéoludiques qui se nourrissent l’une l’autre. L’épopée d’Indika démarrant au moment où elle quitte un lieu familier pour l’inconnu rappelle la structure du conte, genre qui s’ancre dans l’exploration psychologique grâce au symbolisme. On pense en particulier au Petit Chaperon rouge lorsque la nonne rencontre un énorme chien noir affamé durant sa mission consistant à livrer quelque chose. Ce dernier ressort narratif étant très utilisé dans le domaine du jeu vidéo, l’association se fait d’une manière naturelle dans l’esprit du joueur.

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De plus, la nonne va vivre son épopée au côté d’un prisonnier en cavale avec lequel, en plus du Diable, elle s’interrogera sur des sujets aussi complexes que le libre-arbitre et l’existence de l’âme à mesure que son aventure lui rappelle un passé qui la culpabilise. Placée dans cette Russie aux décors souvent miséreux, représentatifs d’un empire en déliquescence, la narration du jeu est évocatrice de l'œuvre de Dostoïevski, en particulier Crime et châtiment. Celle-ci se combine alors au principe vidéoludique de level design quand les interrogations de la nonne et du prisonnier s'expriment dans une usine labyrinthique, reflet de leur perdition psychologique, que le joueur doit faire parcourir à l’avatar avec son clavier ou sa manette. Le jeu associe donc les outils de son médium et des influences diverses pour créer un lien et faire vivre de façon concrète les questionnements spirituels d’Indika.

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L'œuvre de Dmitry Svetlow et ses associés se veut cohérente avec leur intention de faire “un conte de fée sous acide” évocateur des livres de Bulgakov, auteur russe mêlant fantastique et réel pour que l’un et l’autre se confondent. Leur création se veut une fusion globale d’influences littéraires diverses avec les éléments structurels du jeu vidéo pour que l’un et l’autre se nourrissent mutuellement au service d’une expérience à vivre. Beaucoup de concepteurs ont utilisé le jeu vidéo comme simple vecteur d’un récit, mais Indika se veut avant tout un jeu vidéo, car l’interactivité est partie intégrante de l’expérience. Le joueur ne se contente pas d’observer les tourments d’Indika, il les vit, les contextualise et peut ainsi réfléchir sur les thèmes évoqués avec un regard empathique plutôt qu’un jugement strictement intellectuel. Par une symbiose des codes vidéoludique et littéraire, la foi ébranlée de la jeune nonne russe devient celle du joueur.

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Crédit Image : ©11 bit studios / ©Odd Meter

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