Inchallah un fils
Publié par Stéphane Charrière - 17 juillet 2024
Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres
Le premier long-métrage d’Amjad Al Rasheed arpente des questionnements qui s’exportent bien au-delà des frontières jordaniennes qui déterminent les limites géographiques du film. Inchallah un fils aborde un sujet universel : la question identitaire d’une femme soumise aux règles d’une société patriarcale.
Nawal, trentenaire dynamique, mariée et mère d’une petite fille, Nora, découvre au matin que son mari est mort pendant la nuit. La vie de Nawal bascule. La moitié des biens du couple appartient désormais à sa belle-famille : l’appartement, une voiture, etc. Débute alors un combat pour la reconnaissance de ce qu’elle est. Aux yeux de la société, c’est simple, elle n’est pas grand-chose. Et pourtant. Nawal a participé à l’achat de l’appartement et son salaire d’infirmière a permis à son couple de maintenir un certain cap. Nawal était une des composantes essentielles de cette famille si ce n’est le moteur du foyer. Mais rien n’y fait. Son mari n’a laissé aucun document officiel prouvant l’implication de la jeune femme dans le quotidien du couple. Alors Nawal entre en résistance. Pas tout de suite. Il va lui falloir se faire violence et oser contredire l’ordre établi.
La qualité du film réside essentiellement dans la capacité d’Amjad Al Rasheed à créer et à filmer des univers qui œuvrent à traduire la condition de Nawal. Où que Nawal se trouve, chez elle, sur son lieu de travail, dans la rue, dans un tribunal, etc. la jeune femme semble prisonnière d’un système qui contamine les espaces intimes et collectifs. Son appartement, par exemple, est à la fois un havre de paix, un espace où elle peut vivre en se soustrayant au regard de la société, mais l’appartement est aussi muni de barreaux, figure carcérale évidente, qui rappellent combien le poids du sociétal pèse sur la jeune femme. D’ailleurs l’intimité de Nawal est assujettie à une omniprésence du collectif, ce que confirmeront les multiples plans où les rideaux sont tirés pour se libérer de l’emprise extérieure.
Les cadrages et la machinerie corroborent cette idée de la claustration. Chez elle, Nawal sera filmée, lorsqu’elle est seule ou en compagnie de sa seule fille, en plans plus ou moins serrés (plans rapprochés, quelques gros plans). Repli sur soi, moments d’intimité qui échappent à l’ingérence du collectif. En revanche, dès lors qu’un tiers s’invite dans l’espace de l’appartement, les cadres s’élargissent afin d’inscrire le personnage dans une réalité objective qui souligne combien Nawal est soumise aux règles sociétales. La dépossession de ses biens, et d’une certaine manière de soi, agit dès lors que l’autre intervient ou interfère dans ce qui anime Nawal. De la même manière, l’usage d’une caméra portée induit de légers mouvements de caméra qui, en permanence, traduisent l’inconfort et les craintes de la jeune femme.
Nawal pourrait pourtant aisément solutionner le principal problème qu’elle rencontre : le paiement des dettes contractées par son mari auprès de son beau-frère. Il suffirait à Nawal de vendre le véhicule de son mari. Mais Nawal s’y refuse avec une obstination qui agace son entourage y compris son propre frère. La raison en est simple : la voiture c’est la liberté. C’est pouvoir conduire, autrement dit, pouvoir décider du chemin qu’elle peut ou veut emprunter. Nawal lutte. Quelque chose la pousse à ne pas se résigner. Des signes apparaissent dans le film pour relever ces instants qui la font passer de victime d’un système à une femme qui vit un cheminement émancipateur qui a valeur d’acte révolutionnaire. Choisir et assumer de se comporter comme elle l’entend et non comme la société impose de le faire. Apprendre à conduire, rencontrer son collègue de travail, aider la fille de sa patronne à commettre un acte répréhensible qui consiste à se réapproprier son existence, oser contredire sa patronne, oser accuser des hommes en présence d’un juge, s’opposer à du harcèlement de rue… Nawal est un modèle de courage et d’intelligence. Et pas seulement à l’échelle jordanienne. Nawal est un modèle tout court.
Crédit Image : Copyright Pyramide Distribution
Suppléments :
Entretien avec l’équipe du film
Entretien exclusif avec Amjad Al Rasheed