Splitscreen-review Image de Bullets over summer de Wilson Yip

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Bullets over summer

Publié par - 23 juillet 2024

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Dans les années 1980, le polar hongkongais s’inspirait du film criminel occidental, principalement américain ou européen. Ce fut le début d’un âge d’or qui s’étendit jusqu’à la fin des années 1990. Quelques cinéastes cinéphiles (John Woo, Tsui Hark ou Johnnie To pour n’en citer que trois) produisirent alors des œuvres reconnues mondialement. Lorsqu’une nouvelle génération de cinéastes a commencé à émerger à la fin des années 1990, la question d’une identité ou d’un renouveau filmique s’est posée.

Pour ces jeunes individus, une piste narrative et un jeu formel basé sur la rythmique, donc sur le découpage, fut considéré comme une réponse possible à ces interrogations. Wilson Yip, réalisateur de Bullets over summer, le film qui nous préoccupe aujourd’hui, est l’un de ceux qui ont poussé la réflexion le plus loin. Comme en témoigne Bullets over summer, le film est un objet qui tente de répondre à la question de la définition d’une identité cinématographique. C’est-à-dire que le film devient le prétexte et le support  à une investigation menée sur les codes du film policier hongkongais et les singularités que le genre devrait développer pour se soustraire à ses influences occidentales.

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Ainsi, Bullets over summer n’hésite pas à entremêler des séquences qui se réclament d’une origine puisée dans le film policier américain revisité par les schémas narratifs qui furent par la suite chers à la Nouvelle Vague française et aux cinéastes qui ont pu nourrir cette dernière.

Bullets over summer part d’un postulat simple. Deux flics aux attitudes contraires donc complémentaires gèrent leurs interventions selon un principe qui repose sur une adaptabilité aux situations rencontrées. L’improvisation est reine et apporte son lot de satisfactions (personnelles pour les personnages et visuelles pour le spectateur). Seul ce type de péripéties rend leur vie moins terne. Ils n’ont pas besoin d’échafauder des plans, ils se connaissent, ils sont les deux faces d’une même médaille. L’action est essentielle à leur existence et le vecteur d’une communication tacite entre les deux hommes. Mike (Francis Ng) et Brian (Louis Koo) évoquent en ce point précis des duos célèbres d’enquêteurs au bord de la rupture morale et existentielle.

Et c’est cela qui intéresse Wilson Yip, la condition de ces deux flics qui sont aussi et avant tout des hommes, ce qu’ils ont visiblement oublié. Le film bifurque après quelques séquences d’introduction qui illustrent le savoir-faire des deux policiers. Un gang impitoyable sévit à Hong-Kong. Les casses sanglants se succèdent et les deux flics obtiennent un tuyau : un indicateur leur donne une adresse qu’il faut surveiller. Jusque-là, le film coche les cases du film criminel vitaminé : montage très rapide, alternance de gros plans et des plans plus larges pour dynamiser les scènes d’action, bref, rien que de très traditionnel. C’est efficace et ça ressemble à ce que nous imaginons connaître du film d’action.

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Puis, soudainement, alors que Mike et Brian cherchent à s’installer dans un immeuble situé en face de l’adresse fournie par l’indic, commence un autre film. Le rythme ralentit. Bullets over summer emprunte alors à d’autres registres ce qui va constituer pendant la plus grosse partie de sa durée l’essence de son contenu. C’est sur le ton de la comédie que le film entame sa mue. Les deux flics sonnent à toutes les portes pour investir la planque idéale. Mais toutes les portes se referment avec perte et fracas. On leur hurle dessus, on les injurie, bref, on se moque d’eux et on leur fait comprendre que la police… Ils entrent en terrain méconnu.

Et là, une vieille dame fait son apparition. Celle que l’on appellera affectueusement la grand-mère (Helena Law) ouvre sa porte et les deux hommes s’invitent chez elle. Plus ou moins récalcitrante, plutôt moins que plus, la grand-mère est isolée et projette rapidement sur les deux flics une image familiale puisqu’elle les nomme comme ses petits-enfants. Mike et Brian jouent le jeu. D’abord pour rester en place puis, assez vite, par affection, par respect. La faille est ouverte, reste à la fouiller.

Très vite, la surveillance n’est plus l’objet central du film. Ce qui importe désormais, c’est de voir comment s’humanise l’espace filmique. Mike et Brian, sous l’effet d’une considération de l’autre que ne laissaient pas imaginer les scènes d’ouverture du film, endossent un nouveau rôle : ils ne sont plus des flics en service, ils sont désormais deux individus qui prennent soin d’une grand-mère. Ils gèrent les relations avec le voisinage, discutent repas et nourriture… Pour un peu, ils pourraient s’inscrire définitivement dans le quartier.

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Le film a changé de cap. Ce changement de direction scénaristique induit un questionnement qui va au-delà de l’introduction d’une parenthèse narrative dans le décorum policier qui répondrait à un modèle aperçu dans Breaking News de Johnnie To,  par exemple. Les modifications agissent sur l’ensemble du film, c’est-à-dire autant sur le contenu que sur le contenant, autant sur le discours que sur la forme. Bullets over summer s’ouvre sur un nouveau film qui répond à une logique nouvelle, il devient presque un film à sketchs. Le polar a laissé place à la comédie qui elle-même a introduit une étude de mœurs qui n’est finalement pas autre chose qu’une réflexion sur le cinéma hongkongais.

Qu’apporte ce segment de film aux séquences d’ouverture et de fermeture et réciproquement ? La réponse tient en peu de mots : le récit s’humanise. Il ne serait donc pas inopportun de voir dans ces nouvelles orientations dramaturgiques et formelles la volonté de s’approprier les codes du polar hongkongais des années 1980/1990 en passant par une caractérisation culturelle du paysage humain du film (nourriture, jeux de séduction, rapport aux personnes âgées, considération de l’espace communautaire, etc.).

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Bien sûr, la parenthèse se refermera et le film, après avoir temporisé, reprendra un rythme plus en accord avec le polar hongkongais traditionnel. À quelques éléments près toutefois. Le surgissement du gang dans le périmètre de la comédie de mœurs propulse le film sur un autre registre. Cette fois, dans la dernière partie du film, les scènes d’action seront filmées avec plus de liberté. Souvent, les séquences se succèdent en laissant, héritage de la Nouvelle Vague française, un sentiment d’inconfort chez le spectateur. C’est que des raccords particuliers, souvent faux, ponctuent les séquences. Erreurs techniques ? Film bâclé ? Il n’en est rien. Il s’agit plutôt ici de traduire combien, après avoir vécu les émotions de la seconde partie du film, les policiers se voient désormais incapables de reprendre les rôles qui étaient les leurs au début du film. Ils improvisent, ils s’adaptent toujours mais cela sonne faux, cela ne colle plus. Ils deviennent donc friables. C’est que de nouveaux enjeux, affectifs principalement, guident leurs actes et leurs décisions. Alors les faux raccords nous racontent une disjonction, une discordance : impossible de redevenir ce qu’ils étaient. Les initiations émotionnelles de la seconde partie du film ont transformé Mike et Brian. Ce ne sont plus les mêmes flics, ce sont avant tout des hommes maintenant. Peu importe l’issue du film, ils ont accompli ce qu’il y avait de plus important, ils se sont intégrés à une communauté, ils se sont découvert une âme. Un peu à l’image du néo-polar hongkongais.

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Crédit photographique : Copyright D. R. / Carlotta Films

SUPPLÉMENTS

. PRÉSENTATION DU FILM PAR JEAN-PIERRE DIONNET
. BANDE-ANNONCE ORIGINALE

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