Splitscreen-review Image de Le Golem de Paul Wegener et Carl Boese

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Le Golem

Publié par - 23 septembre 2024

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

La difficulté des éditions vidéo à se renouveler se vérifie souvent à travers l’utilisation d’un surcroît d’éléments de langage qui visent à doper les effets d’un marketing souvent à court d’argument pour promouvoir les œuvres concernées. Certains éditeurs formulent une autre proposition et concentrent leur travail sur la volonté d’apporter aux films la lumière qu’ils méritent par d’autres moyens : multiplicité des supports, copies neuves et restaurées et, le plus souvent, compléments en accord avec la contemporanéité de l’édition, que ce soit sous forme de livre et/ou de bonus vidéo. Dans cette catégorie, Potemkine Films est l’un des éditeurs les plus précieux. Systématiquement ou presque, Potemkine Films imagine un accompagnement des œuvres qui sied au temps qui est le nôtre : intervenants nouveaux (critiques, chercheurs) et spécialistes de sujets connexes (historiens, philosophes) sont fréquemment invités à exprimer leurs réflexions. Ces choix éditoriaux font une nouvelle fois merveille dans cette édition du film de Paul Wegener et de Carl Boese réalisé en 1920, Le Golem : copie formidable, bonus particulièrement attractifs et instructifs (mentions à la réflexion de Michel Faucheux et à la clarté du propos d’Ada Ackerman).

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Avant d’évoquer la légende praguoise qui sert de support à l’œuvre qui nous concerne ici, évoquons brièvement l’intérêt que Paul Wegener nourrissait pour cette légende. À ce titre, il convient de rappeler que Paul Wegener, séduit par les possibilités narratives et expressives du cinéma au début des années 1910, notamment après avoir interprété le rôle-titre de L’étudiant de Prague de Stellan Rye (1913), envisagea une première version du Golem (1914) aujourd’hui perdue. L’ambition première de Wegener était d’approcher ce qu’il considérait comme l’essence du cinéma, art en devenir selon lui. C’est-à-dire que le cinéaste voyait sans doute dans le sujet la possibilité d’explorer les possibilités expressives d’un langage nouveau qui repose principalement sur le traitement réservé à l’image. Wegener reviendra une troisième fois sur la figure du Golem puisqu’avant la version de 1920 que nous connaissons, il a réalisé en 1917 Le Golem et la danseuse, une œuvre également disparue.

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Wegener n’est pas n’importe qui. Il compte parmi les visages connus du public allemand de l’époque. Il fait partie de cette intelligentsia nouvelle qui s’empare définitivement de la scène artistique allemande au sortir de la Guerre de 1914/1918. Membre de la troupe de Max Reinhardt, Wegener va intégrer à sa vision du cinéma nombre de procédés utilisés par Reinhardt pour moderniser le théâtre dès 1906/1907. Pour Reinhardt, le théâtre se doit d’être un art total qui allie sonorités, musique, gestuelle, danse et texte. Pour unifier l’ensemble de ces éléments, Reinhardt a recourt aux progrès technologiques afin d’impulser une nouvelle dynamique scénique qui agit principalement au niveau des décors et des lumières. Or, Wegener le sait, le décor et la lumière sont des éléments clés de l’art cinématographique. Si on ajoute à cela l’assimilation d’un concept cher à Reinhardt qui consiste à casser les limites du cadre scénique du théâtre traditionnel en imaginant par exemple des scènes circulaires et mobiles, on comprend que Wegener avait en main tous les atouts pour réussir une greffe parfaite entre les deux formes d’expression. Jouer sur la profondeur, jouer avec les déambulations autorisées ou suggérées, jouer avec les espaces communicants, Wegener sait ce dont il s’agit et c’est ce qu’il va, en compagnie de Carl Boese, s’appliquer à mettre en place dans la version du Golem qui fait l’objet de cette édition.

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En ce qui concerne le narratif, Le Golem est une légende qui, comme tout récit de ce type, s’est enrichie au fil du temps. La légende du Golem habite la tradition hébraïque depuis l’époque médiévale. Dès le début, le terme Golem désigne une créature artificielle, faite d’argile, à forme humaine qui s’anime au contact d’une formule magique, un mot le plus souvent, ce qui est en tout cas effectif dans la version choisie par Wegener et Boese. Initialement, dans la légende, le Golem fut animé par le Rabbi Loew soucieux de protéger la communauté juive du ghetto de Prague. Mais se substituer à Dieu est une entreprise dangereuse et la créature n’est pas aussi simple à contrôler que ne le laisse supposer la légende ainsi résumée. C’est que la formule qui lui donne vie, « emet », est ambiguë puisqu’elle comporte deux significations : vérité et mort.

Contrairement à la première version de 1914, tournée dans le quartier médiéval de la ville de Prague, la version de 1920 a été tournée en studio, ce qui a permis un modelage des espaces afin de les faire coller à une vision romantique de l’âme allemande. Souvent associé à l’expressionnisme, Le Golem est sans doute plus proche d’une démarche que Murnau portera à sa quintessence avec Faust en 1926. Car il nous apparaît que Le Golem est plus habité par la volonté de traduire les inquiétudes existentielles soulevées et vantées par le romantisme que par les expériences intellectuelles expressionnistes.

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Observons quelques éléments qui sont habituellement utilisés pour associer Le Golem à l’expressionnisme. Commençons par l’usage du clair-obscur dans le film. Notons déjà que les mondes de la lumière et des ombres n’ont pas attendu l’émergence de l’avant-garde expressionniste pour entretenir un débat basé sur des contradictions visuelles et plastiques. Un simple regard rapide sur l’histoire de l’art nous permet de vérifier que le dialogue est initié depuis longtemps. Il est donc bien hasardeux d’estimer que ce seul élément puisse servir à associer une œuvre aux intentions expressionnistes. À ce compte, pour ne considérer que la peinture, Rembrandt, de La Tour ou encore le Caravage seraient expressionnistes. Or nous savons qu’il n’en est rien puisque le mouvement expressionniste naît au tout début du XXième siècle. Il en va de même avec d’autres éléments présents dans le film et généralement utilisés pour qualifier à la hâte une œuvre d’expressionniste : la transformation des lignes architecturales rectilignes en formes anarchiques ne répond pas à la seule préoccupation expressionniste, idem pour le jeu des acteurs qui se doit, quelle que soit l’origine des films de la période muette, d’insister sur des mimiques ou sur une gestuelle précise et codifiée pour être saisie par le public guère accoutumé encore aux spéculations intellectuelles qui se répandent dans la conception des films. Ce qu’on oublie généralement, et qui induit en erreur un public peu scrupuleux, c’est la notion du tout. Pour qu’une œuvre soit considérée comme expressionniste, elle se doit de répondre en tous points aux caractéristiques esthétiques, morales et intellectuelles qui définissent cette avant-garde. Le tout indivisible qui constitue l’œuvre et qui veut que l’idée prenne forme à partir de l’adjonction des éléments qui composent la production artistique examinée.

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Envisageons le décor du Golem, donnée filmique à l’importance indéniable ici et matériau visuel explicite de la représentation du monde expressionniste. Comme le démontre admirablement Lotte Eisner dans L’écran Démoniaque, les décors pensés pour Le Golem ne correspondent qu’en superficie à ceux du modèle expressionniste incarné par Le Cabinet du Docteur Caligari. Car dans le travail de Hans Poelzig, le décorateur du Golem, seules les façades des maisons coïncident avec les critères expressionnistes. Les intérieurs, dans Le Golem, contrairement à ceux de Caligari qui rejoignent, eux, une même idée, un même discours, une même conception du monde, ont tendance à s’accommoder de l’évolution des états d’âme des personnages centraux gagnés par des intérêts différents : Loew (Albert Steinrück) et sa crainte pour la communauté juive du ghetto et les amours de Myriam (Lyda Salmonova) et de Florian (Lothar Müthel) contrariés par la jalousie de Famulus (Ernst Deutsch). En soi, Wegener et Boese distinguent les préoccupations collectives des intérêts individuels sans pour autant privilégier une strate narrative plutôt qu’une autre.

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De ce point de vue, le film reflète l’expression d’un ressenti qui trouve son origine dans une mélancolie romantique. Ce qu’illustre parfaitement la figure du Golem. La trajectoire de la créature, proche de celle de Frankenstein, se charge d’une dimension humaniste au fil de l’histoire. Le Rabbi Loew agit de la même manière que le docteur Frankenstein. Tous deux animent au sens étymologique du terme une créature qui n’a d’humain qu’une enveloppe formelle. Tous deux introduisent dans l’inerte (la glaise pour Loew) un souffle vital et une âme. La créature se charge alors d’une conscience qui établira qu’il lui est impossible, du fait de sa nature, de se soustraire à la fin qui lui est promise. Le Golem, conçu et pensé par calcul comme un outil au service des hommes, se doit de retrouver son état initial, celui de l’inanimé. Il n’en demeure pas moins que, par analogie, la destinée de la créature relève d’une réflexion, là encore romantique et existentialiste, qui interroge l’homme sur son rôle, sur sa fonction et sur son devenir.

Le Golem, comme nombre de films produits à cette époque, qui plus est en Allemagne, est un archétype filmique. Un film qui est à la fois la synthèse de différents courants de pensée, de préoccupations artistiques diverses (du romantisme au symbolisme en passant par quelques qualités impressionnistes) mais aussi le témoignage de recherches esthétiques que certains créateurs expérimentaient. Le Golem revêt donc une importance capitale puisque le film s’inscrit dans une logique adoptée par des artistes soucieux de s’approprier un art nouveau encore et toujours en développement.

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Crédit photographique : ©MK2Films / ©Potemkine Films / © Universum Film (UFA)

Suppléments :
- Trois accompagnements musicaux :
. Admir Shkurtaj & mesimer Ensemble : musique composée pour un orchestre de chambre, jouée lors de la présentation de la restauration à Venise, puis enregistrée en studio.
. Wudec : bande-son électronique composée par l'artiste polonais
. Stephen Horne : solo de piano interprété par l'un des accompagnants de films muets les plus connus en Angleterre

"Les Légendes du Golem" par Ada Ackerman, chercheuse au CNRS et commissaire d'expositions (2024, 21')
"Le Golem au cinéma" par Ada Ackerman (2024, 28')
"Du Golem à l'Homme-Machine" par Michel Faucheux, historien des idées (2024, 37')
Vidéo comparative entre le négatif allemand et le négatif dédié à l'export (22')

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