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Frostpunk

Publié par - 7 octobre 2024

Catégorie(s): Jeux vidéo

Quel est le principe inhérent au jeu vidéo ? Qu’est-ce qui en fait sa spécificité ? Pour le célèbre game designer Sid Meier, concepteur de la série Civilization, la réponse est claire : les jeux sont une série de décisions intéressantes, disait-il. C’est la possibilité du choix qui produit l’interactivité après tout. Il ne faut néanmoins pas oublier le principe d’intérêt qui est évoqué. En effet, nombres d'œuvres vidéoludiques se sont vendu sur la promesse d’offrir une histoire où les décisions du joueur ont diverses conséquences sur le déroulé du récit, souvent en mettant l’emphase sur la dimension morale du choix offert. Une manière d’impliquer le joueur, en individualisant l’épopée, qui se traduisait souvent par la sélection d’une ligne de dialogue plutôt qu’une autre. Cette méthode du récit à embranchement, courante dans les jeux de rôle, à néanmoins certaines limites. Certains créatifs ont alors cherché de nouveaux moyens d’impliquer le joueur pour lui faire questionner sa moralité. Si l’on pense bien sûr au Darkest Dungeon de Red Hook Studios, un autre jeu inscrit dans cette tendance a beaucoup fait parlé de lui ces dernières années : Frostpunk. Au moment où est publié cet article, sa suite directe vient de sortir. Il est donc temps de se demander ce qui a amené un large public à suivre cette série.

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Réalisé par Michał Drozdowski et son équipe de 11 bit studio, ce jeu présente un 1886 alternatif où des éruptions volcaniques massives ont plongé le monde dans une nouvelle ère glaciaire. La neige recouvre tout, l’empire britannique lui-même s’est effondré et la température ne fait que baisser. Le joueur incarne alors le Capitaine de la Nouvelle-Londres, une ville à bâtir autour d’un immense générateur afin de protéger les gens du froid mortel. L’objectif est alors clair. Il faut faire survivre la population à ce climat hostile et pour cela, il faut bâtir des maisons et infirmeries, envoyer des explorateurs dans les contrées glacées, gérer les stocks de charbon et de nourriture… Tout ceci afin de leur faire garder espoir.

La catégorisation de Frostpunk comme un City-builder et un jeu de survie se justifient donc, mais elle avait de quoi surprendre. Si ce dernier genre semble logique au vu du contexte apocalyptique proposé, l’association avec le City-builder n’était pas chose courante au moment de la sortie de ce jeu. Cette catégorie, popularisé par le SimCity de Will Wright, propose aux joueurs de construire et gérer une ville. Si la réussite n’est pas assurée, la notion d’échec y a toujours été flottante. En effet, SimCity se vendait plus comme un jouet, un bac à sable, qu’un jeu de gestion rigoureux. Le joueur pouvait distribuer l’eau et l'électricité, établir les taxes et bâtir des commissariats pour tenter de s’approcher d’une ville fonctionnelle, mais cela allait de pair avec des capacités divines comme libérer un robot géant ou invoquer des tornades pour détruire la ville d’un regard amusé. Le joueur, être omniscient et tout puissant, fait littéralement la pluie et le beau temps dans une ville colorée. Il reste l’enfant qui manipule et casse ses jouets quand bon lui chante.

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Michał Drozdowski prit toutes ces règles à contre-pied en plaçant une condition d’échec et un élément au-dessus du pouvoir de construction et manipulation du joueur. Le nom du jeu est en cela explicite. Tout comme le steampunk met la vapeur au cœur de son univers et le cyberpunk, l’informatique, l’élément central est ici le froid. Les chutes de température influencent la variable déterminant la réussite du joueur, c'est-à-dire sa population. La température rend les gens malades. Il faut de la chaleur pour que les infirmeries fonctionnent, tout comme les bâtiments qui produisent la nourriture ou exploitent le charbon, essentiel au bon fonctionnement du générateur. Le capitaine doit donc établir sa stratégie en tenant compte des besoins de sa population et des ressources limitées à disposition, influencés par les caprices de la météo. La rigueur est de mise, car si la population souffre trop de la mauvaise gestion du joueur, si son niveau d’espoir est trop bas, elle peut le bannir de la cité. Loin du cadre multicolore et du cartoonesque Dr. Wright de SimCity, la Nouvelle-Londre est un lieu délabré aux habitants présentés avec réalisme. En cela, Frostpunk se présente comme un anti-SimCity.

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Le cadre narratif de fin du monde, qui implique la destruction de la société, a toujours été le terrain des questionnements sur les limites de l’éthique humaine. Les choix du joueur ont ici des conséquences à l’échelle d’une société. La survie des habitants de la Nouvelle Londres dépend de comment le joueur va utiliser ses ressources après tout. En particulier lorsque lui est annoncée l’arrivée d’une terrible tempête qui oblige à préparer des réserves. Le temps limité pousse le joueur à prendre conscience d’un fait troublant, déjà central dans le Darkest Dungeon de Red Hook Studios. Les gens sont une variable parmi d'autres. Parfois même une gêne. Des factions peuvent se former et faire perdre espoir aux gens. Pour gérer cela, le capitaine peut alors édicter des lois. Le joueur va-t-il bannir les éléments perturbateurs pour ramener le calme, au risque de perdre des hommes ? Va-t-il rétablir le travail des enfants pour avoir un peu plus de main d’œuvre, au risque de les blesser ou pire ? Va-t-il s’autoproclamer dictateur pour stabiliser son pouvoir ?

Les choix du joueur ne sont jamais des moments figés qui poursuivent le récit dans une direction précise. La moralité du joueur s’exprime à travers une interaction constante avec le système dans le cadre d’une stratégie à long-terme susceptible de changer selon des réalités imprévisibles. Il est difficile de juger la moralité de quelqu’un, mais le jeu nécessite par nature une condition de victoire. Raison pour laquelle Frostpunk oppose le joueur à la grande tempête finale dans une logique semblable à celle des boss que l’on trouve dans de nombreux jeux et qui ont pour vocation de bloquer le joueur tant que sa maîtrise du système n’a pas atteint un certain niveau. Si la cité n’a pas été suffisamment bien gérée, la tempête anéantira la population. La survie de la Nouvelle-Londres repose dans une anticipation des besoins. En cas de réussite, le sentiment de victoire du joueur reste néanmoins proportionné au ressenti qu’il aura individuellement vis-à-vis des compromis faits pour atteindre cet objectif factuel et au doute qu’il a face à la possibilité d’autres stratégies.

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Ainsi, le questionnement éthique du joueur est une chose constante inscrite dans un contexte concret. Une approche déjà présente dans le précédent jeu de Michał Drozdowski, This war of Mine, où le joueur devait prendre des décisions complexes pour assurer la survie de civils piégés dans une ville en guerre. Dans un cas comme dans l’autre, le questionnement moral naît avec l’aspect de gestion du jeu. Une logique similaire se retrouve dans des jeux tels que Ixion de Bulwark Studios, où la survie d’un équipage de vaisseau spatial dépend de la gestion de ses ressources. Le city-builder de survie propose ainsi au joueur une approche du jeu de gestion porteuse d’une réflexion qui lui est propre. Un dilemme moral, ce n’est en réalité qu’un moment où l’éthique entre en conflit avec la raison. De ce fait, les jeux comme Frostpunk et sa suite insinuent de manière formelle que le jeu de gestion est un genre pertinent pour interroger le joueur sur l’éthique, puisqu’au final c’est celui qui réduit le plus l’individu à une donnée purement mathématique.

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Crédit image : ©11bitStudio ©DeepSilver

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