La belle de Gaza
Publié par Stéphane Charrière - 29 octobre 2024
Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres
La cinéaste, lucide, émet dans les compléments du disque édité par Pyramide Vidéo un jugement sur son œuvre qu’il est difficile de lui contester. Yolande Zauberman prétend produire un cinéma des marges. Si, dans son sujet, La belle de Gaza répond à cette qualification, nul doute que la forme s’en accommode également.
Le sujet est une histoire de frontières. D’abord celle des genres puisqu’il sera question de transidentité. Et puis le film évoque le franchissement d’autres frontières et non des moindres. D’abord, le film prend les allures d’une quête qui consiste à retrouver une personne qui aurait effectué le trajet Gaza – Tel Aviv à pied en outrepassant, bien sûr, les limites territoriales qui séparent Israël de Gaza. Et puis, dans un second temps, le film se positionne à la lisière entre le visible et l’indicible ou encore de celle qui distingue l’intimité du collectif.
À l’origine de La belle de Gaza, il y a tout d’abord deux autres documentaires qui, eux aussi, flirtaient avec les marges sociales et les marges de la morale : Would you have sex with an Arab ? (2011) et M (2018). Deux films qui exploraient déjà l’invisible et l’ineffable. Pendant le tournage de M, une nuit, Yolande Zauberman et son équipe de tournage (réduite au possible) font la rencontre d’une femme trans qui exprimera devant la caméra son exclusion sociale et familiale. S’en suivent des volontés de tournage et lors de quelques prises dans la rue Hatnufa à Tel Aviv, une des femmes croisées dira à Selim Nassib, le preneur de son et compagnon de Yolande Zauberman, qu’elle avait fui Gaza et qu’elle avait marché jusqu’à Tel Aviv. La cinéaste tient son prétexte, retrouver celle qu’elle surnomme La belle de Gaza.
Formellement, le travail de Yolande Zauberman s’affranchit de quelques règles techniques et syntaxiques. Ce qui compte, c’est la rencontre de l’autre et peu importe si les conditions de prise de vue sont idéalement réunies pour retranscrire l’événement. Le cinéma n’est pas une finalité, il est un moyen. Le cinéma, c’est la promesse de voir au-delà de l’apparence qui entoure les êtres et les choses. Filmé, le sujet s’exprime comme bon lui semble, il répond plus ou moins frontalement aux questions que lui pose Yolande Zauberman. Ce qui donne une tonalité particulière au film qui se nourrit d’une image floue ou d’un cadre fluctuant. Il en va de même pour le montage dont la logique est dictée par le rythme de l’élocution des femmes interviewées. Et, étrangement, ça marche. Étrangement car cela ne fonctionnerait pas avec n’importe quel interlocuteur ou n’importe quelle interlocutrice.
Si quelque chose se passe, c’est sans doute avant tout parce que Yolande Zauberman place son travail sous les auspices du naturel et d’une convergence des affects. Si ces femmes se livrent ainsi, c’est parce qu’une relation aux contours indistincts se noue entre elles et la cinéaste. Dans les trois documentaires réalisés par Yolande Zauberman, et sans doute avec plus d’insistance encore dans La Belle de Gaza, ce qui fait objet filmique, c’est l’urgence de la captation d’une rencontre essentielle. Une rencontre qui sert d’écrin à l’émanation concrète (ce que traduisent les images) d’intentions, d’obsessions, de sensations et de réflexions que seul le contact de l’autre peut révéler.
On comprend ainsi l’importance du film. Car ce qui se filme ici est rare, donc précieux, dans la mesure où il s’agit de nous raconter une histoire de notre temps qui curieusement nous permet d’étalonner notre rapport au monde. Sous l’angle de la chronique, Yolande Zauberman filme le télescopage de tous les questionnements identitaires. La cinéaste pense sa caméra comme un filtre capable d’isoler le vrai de l’artifice. Alors le cinéma de Yolande Zauberman formule une promesse, celle qui consiste à explorer l’évidence des êtres et la sincérité des mots avec le secret espoir de dévoiler et de contenir ce qui, jusque-là, restait inaccessible à la raison humaine.
Crédit photographique : © 2023 - UNITÉ - PHOBICS - ARTE FRANCE CINÉMA
Suppléments :
Entretien avec Yolande Zauberman (15’)