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Soul Reaver

Publié par - 12 décembre 2024

Catégorie(s): Jeux vidéo

De nombreux jeux sont ressortis dans une version dite remasterisée ces dernières années. De la trilogie Mass Effect à Resident Evil 4 en passant par The Last of Us, il n’est pas surprenant que les studios cherchent à capitaliser sur des licences connues de tous. Une proposition surprenante se voit néanmoins faîte en cette fin d’année 2024 dans cette lignée. Après s’être chargé du remaster des trois premiers Tomb Raider, à l’origine conçus par Crystal Dynamics, le studio Aspyr ressort en version remasterisée une autre de ses créations : le diptyque Soul Reaver 1 & 2. Si proposer les volets d’origine de la série Tomb Raider se comprend au vu de la longévité et du succès commercial de celle-ci, ramener les second et troisième volets de la saga Legacy of Kain, sortis respectivement en 1999 et 2001, a de quoi intriguer. Bien que comparé dans son gameplay à la licence de la célèbre Lara Croft au moment de sa sortie, Legacy of Kain ne semble pas avoir connu un succès aussi retentissant. La communauté des fans répond malgré tout présent alors que le dernier volet remonte à 2003. Quelles particularités peuvent expliquer une telle loyauté et justifier un retour si tardif ?

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Celles-ci sont à chercher du côté de son récit en premier lieu. L'œuvre plonge le joueur dans le monde de Nosgoth, un univers de dark fantasy où les vampires dominent l’humanité sous la gouvernance du fameux Kain, le protagoniste de Blood Omen, premier épisode de la saga. Ce n’est cependant pas lui que l’on contrôle mais Raziel, le premier né de ses lieutenants, alors qu’il se voit condamner à mort pour avoir développé des ailes avant son maître. Plongé dans le lac des morts par ses propres frères, Raziel se verra alors ressuscité par un ancien dieu sous la forme d’une créature mort-vivante et dévoreuse d’âme. Le joueur entame ainsi à ses côtés une quête de vengeance.

Ce postulat de départ, introduit par un long monologue au langage soutenu, n’est pas sans rappeler les tragédies de vengeance élisabéthaines, dont certains codes essentiels sont le meurtre et les fantômes réclamant justice aux vivants. Des thèmes déjà présents dans le précédent volet de la saga. Dans la droite lignée de ce genre, le récit va ensuite se focaliser sur les réflexions de ses protagonistes sur les notions de destin et de libre-arbitre. La vengeance de Raziel se mue petit à petit en quête pour la compréhension de son propre destin dans le but de le changer. Une direction inhabituellement dramatique pour un jeu vidéo en 1999. Tout cela fait pourtant sens quand on se penche sur le parcours de la réalisatrice et auteur de Soul Reaver, Amy Hennig. D’abord assistante sur Blood Omen, cette conceptrice ayant étudié le cinéma et la littérature anglaise apporte avec elle une vision volontairement focalisée sur la narration au moment de prendre les rênes de la saga, dont elle se chargera jusqu’à sa conclusion en 2003.

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Sa philosophie auteuriste associée à son bagage culturel accentue la dimension tragique de la saga, soutenue par des dialogues et monologues théâtraux. En effet, Raziel est présenté comme seul détenteur du libre arbitre au sein de son univers, de par sa résurrection. Celui-ci entre en conflit avec le destin qui attend de lui des actions précises. S’il se voit capable de défier l’Histoire en refusant de tuer Kain dans Soul Reaver 2, sa quête de réponse l’amène malgré tout à une confrontation avec lui dans Legacy of Kain: Defiance, le dernier volet de la saga. L’aventure de Kain et Raziel reste ainsi une tragédie, une œuvre dont l’une des règles est l'inéluctabilité du destin, concrétisé par les machinations de l’ancien dieu, révélé par la quête de Raziel comme architecte des événements qui secouent Nosgoth depuis le départ.

La création de Hennig révèle alors sa seconde source d’inspiration assumée : la gnose chrétienne. L’auteur n’a après tout pas choisi le nom de son protagoniste au hasard. Kain est le nom du premier des meurtriers et Raziel, celui d’un archange. Le choix de l’ancien dieu comme antagoniste prend alors sens. Son statut de divinité moteur du cycle de la vie, de la mort et de la renaissance est remis en question par la quête de Raziel et est au diapason de la pensée gnostique dont le cœur spirituel est la délivrance de l’âme du cycle de la réincarnation imposée par le démiurge, un faux-Dieu. Combiné au choix de vampires comme protagonistes, en somme des sur-humains, l'œuvre se présente comme mythologique. En somme, non pas comme une simple aventure motif à accomplir des objectifs distrayants, mais une quête initiatique chargée en étapes symboliques.

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Le joueur est d’autant plus immergé dans celle-ci que le rapport au monde établi par le gameplay était atypique au moment de la sortie de Soul Reaver. L’un des éléments essentiels de la saga est que Raziel est incapable de mourir. Lorsque ce dernier n’a plus d’énergie vitale, il perd son enveloppe charnelle et est renvoyé dans le monde spectral, un reflet déformé du monde exploré. Il s’agit du même monde, le joueur est techniquement au même endroit, mais des éléments divergent telles des colonnes tordues, l’absence d’eau ou des plate-formes déplacées. En plus de remettre en question le principe de Game Over, une convention classique du jeu vidéo, l’univers possède un double level-design que le joueur doit observer et retenir pour naviguer entre les deux versions du monde afin d’atteindre ses objectifs, notamment la défaite des frères de Raziel.

En effet, si ceux-ci se présentent sous la forme de Boss à affronter, l'affrontement se veut moins un combat qu’une énigme. Lorsque Raziel doit défaire son frère Dumah, ce dernier se révèle invincible. Se battre est inutile. Le joueur doit utiliser le niveau pour attirer l’adversaire au seul élément repéré qui pourra l’éliminer. De même contre Rahab qui pousse à comprendre que briser des vitres est la seule solution car les vampires redoutent la lumière du soleil. Les vastes zones interconnectées que l’on explore, porteuses d’une narration environnementale, ne sont pas qu’une scène où le joueur manipule des mécaniques de jeu. Elles sont vecteur d’un univers avec ses propres règles à apprendre. Le joueur est d’autant plus impliqué dans la quête que la compréhension de l’univers lui est essentielle. En cela, il anticipe les logiques qui structureront des années plus tard les jeux d’Hidetaka Miyazaki tel Dark Souls ou Bloodborne.

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Bien que similaire dans ses contrôles à Tomb Raider, auquel il fut comparé en son temps, le diptyque Soul Reaver 1 & 2 se démarque donc fondamentalement de la création du studio Core Design en réalité. Là où les aventures de Lara Croft offrent un terrain de jeu linéaire où affronter des ennemis dans un objectif simple, à l’image d’un blockbuster hollywoodien, l’aventure de Raziel combine univers, gameplay et level design en un tout interconnecté. Les joueurs se rappellent ainsi de l’épopée de Raziel et Kain d’autant plus que leur monde forme un tout immersif à la structure narrative évocatrice d’une mythologie. La philosophie de conception d’Amy Hennig s’est ainsi voulue une proposition suffisamment forte pour marquer une communauté pour qui la saga Legacy of Kain se veut moins un simple jeu qu’une tragédie vidéoludique.

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Crédit Image : ©CrystalDynamics / ©AspyrMedia

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