Splitscreen-review Image de Mémoires d'un escargot d'Adam Elliot

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Mémoires d'un escargot

Publié par - 14 janvier 2025

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Il aura donc fallu attendre 15 ans pour découvrir le second long-métrage d’Adam Elliot, figure essentielle du cinéma d’animation australien. De la même manière que pour Mary et Max en 2009, Adam Elliot a reçu le Cristal, principale récompense du festival international du film d’animation d’Annecy, pour son nouveau film, celui qui nous intéresse aujourd’hui, Mémoires d’un escargot (2024).

Si la recette adoptée pour ses deux longs-métrages diffère quelque peu d’un film à l’autre, les ingrédients restent les mêmes : univers en accord avec le quotidien décalé de ses personnages, humour né du contraste entre deux formes d’absurde (la marche du monde et la subjectivité des personnages), aptitude à faire cohabiter le drame et le comique dans une même séquence, etc. Il convient d’abord de souligner avec quelle aisance le cinéaste parvient à donner une certaine forme de concrétude à l’animation, ce qui lui permet de crédibiliser, de filtrer et de constater les effets du réel sur l’individu dans nos sociétés contemporaines. L’intention est simple, il s’agit de pointer les déviances aveugles d’un collectif obnubilé par la volonté de soumettre l’ensemble des populations à différentes normes érigées en modèles (représentatives, canons de beauté, réflexions, sociales, politiques, imaginaire, etc.).

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Les personnages d’Adam Elliot, nous le savons depuis ses premiers courts-métrages, se soustraient au diktat du social en s’imposant un exil moral et physique qui, seul, peut leur permettre de survivre tant bien que mal dans un monde qui les rejette. Le cinéma d’Adam Elliot, une fois n’est pas coutume, fait donc l’apologie des autres, de ceux qui ne comptent pas ou, plutôt, de ceux que l’on ne souhaite pas voir compter. Et pourtant, ceux-là sont nombreux. Déjà dans Mary et Max l’auteur nous rappelait sans y paraître qu’il n’était pas compliqué de trouver des individus qui vivent en marge du normatif. Le hasard poussait la jeune Mary, âgée de 8 ans, à écrire à un quadragénaire newyorkais pour partager en sa compagnie tout un pan de son existence en devenir, et réciproquement. Mais ce hasard qui semblait bien faire les choses en connectant Mary à Max relevait-il réellement de l’improbable ou de l’impensable ? L’enchaînement des situations qui conduisent Mary à déchirer une infime partie de l’annuaire téléphonique de New York présent de manière improbable dans le bureau de poste de Mount Waverley en Australie est à envisager comme un ensemble de causes imprévisibles. Il revient au spectateur de se livrer à une interprétation des phénomènes en action, ce qui devrait le conduire, le découpage y contribue grandement, à identifier ici une forme de déterminisme ou bien la consécution de faits à l’intentionnalité inconsciente.

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Et si le hasard, tel que traité par Elliot, n’était que le fruit d’une logique qui permet à l’auteur de soulever une question fondamentale, celle de la nature profonde de chacun ? Il y a dans le cinéma d’Adam Elliot cette évidence du jeu, du faux, du superficiel, autant de principes que les films démolissent puisqu’ils s’opposent aux univers dans lesquels nous invite le cinéaste. Car finalement, Mary, Max ou, ici dans Mémoires d’un escargot, Grace Pudel, son frère Gilbert ou leur père Percy ne sont que des personnages qui refusent de jouer le jeu que la société tente de leur imposer. Certes ils n’ont pas le choix. Le physique disgracieux de Grace lui impose, pense-t-elle, une retenue et une distance. Elle pourrait donc se contenter de ce que lui octroie la société. Or il n’en est rien.

Dans la dynamique qui est la leur, les personnages, ici Grace et Gilbert, ne se soumettent jamais totalement. Ce sont des résistants. Ils vivent pleinement, parfois au détriment de leur intégrité physique ou psychique, leur différence. Ils construisent des univers, ou tentent de le faire dans le cas de Gilbert, qui répondent à leurs attentes tout en contredisant le reste du monde. Ils existent dans un monde que le contenu des cadrages se plaît à restituer par la charge d’éléments décoratifs à la portée symbolique plus ou moins évidente. Grace collectionne tout ce qui se rapproche de près ou de loin aux escargots. Au-delà de l’hermaphrodisme qui le caractérise, l’escargot est aussi représentatif d’une certaine forme d’habitat ou de refuge. L’escargot est aussi, puisque l’édifice est mouvant, représentatif d’une idée qui ne lâche jamais le spectateur : la construction de Grace est en cours et, de ses échecs à ses joies, tout ce que le film montre contribue à entrevoir comment le personnage se structure.

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Grace est enfermée, voir les cadrages pour s’en convaincre, dans un schéma de vie qui semble inamovible. Puis intervient une rencontre qui va être déterminante avec le personnage de Pinky, une octogénaire qui est l’inverse de Grace. La vie, par l’intermédiaire de Pinky, fait irruption sous la forme d’un désordre qui révèle et ouvre de nouveaux horizons à Grace. Alors, les drames peuvent se succéder, le principe de régénérescence associé à la symbolique de l’escargot est là, présent. Grace apprend à composer avec une adversité manifeste. Une fois les différents deuils effectués, Grace reprend le cours de son existence tout en adaptant son comportement en fonction des absences ou des manques. Grace possède toutes les ressources en elle, comme chacun d’entre nous, pour surmonter ce que la vie lui réserve.

Les tonalités de l’image évoluent, les cadres se libèrent de leur surcharge, la caméra indexe sa position sur l’évolution parfois imperceptible de Grace. La trajectoire ascensionnelle du personnage, inimaginable de prime abord, s’effectue à un rythme régulier qui, là aussi, se distingue des habituels cheminements initiatiques auxquels le cinéma nous a habitués. Chacun son rythme, nous rappelle Adam Elliot. Le principal est d’avancer, sereinement, de se projeter en avant quand bien même au rythme d’un escargot car l’essentiel est bien d’être dans le mouvement, dans la vie.

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Crédit image : © Arenamedia Pty Ltd

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