Splitscreen-review IMage de eXistenZ de David Cronenberg

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eXistenZ

Publié par - 17 mars 2025

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

La première question qui traverse l’esprit d’un critique qui revoit 25 ans plus tard un film découvert lors de sa sortie en salle porte assez souvent sur les effets que le temps a pu occasionner sur l’œuvre. La question est d’autant plus insistante lorsque le film revendique une action qui se déroule dans un futur plus ou moins lointain. C’est dans cet état d’esprit que nous avons approché eXistenZ, le remarquable film de David Cronenberg, qui nous parvient dans une superbe édition concoctée par L’Atelier d’Images.

Splitscreen-review IMage de eXistenZ de David Cronenberg

Le film a tout, au moins dans son sujet, pour paraître vieillot. eXistenZ s’ouvre sur une séquence étrange. Une assemblée réunie dans une église qui ne semble plus être un lieu de culte attend avec impatience d’expérimenter un nouveau jeu vidéo pensé et imaginé par Allegra Geller (Jennifer Jason Leigh), l’une des artistes stars du jeu vidéo. On ne sait pour quelle raison précise, cela ne tardera pas à être spécifié, une organisation nommée les Réalistes souhaite la mort d’Allegra Geller. La soirée débute. La créatrice est venue expérimenter son nouveau jeu avec les participants dont le comportement évoque quelque dérive sectaire (la nature du lieu agissant de manière sourde sur la perception de la séquence, cela va de soi). Soudain, de la foule émerge un jeune homme muni d’une arme étrange et passée inaperçue au détecteur de métaux. Il tire et blesse Allegra Geller contrainte de fuir avec le vigile de la soirée, Ted Pikul (Jude Law). Les deux fuyards prennent la route et tentent d’échapper à la menace qui pèse sur eux. Le film commence.

Splitscreen-review IMage de eXistenZ de David Cronenberg

Ce qui, en revoyant le film, est troublant, c’est la construction d’une œuvre qui, au-delà de son sujet, emprunte aux formes classiques du cinéma américain et plus particulièrement au film criminel. Nous retrouvons l’un des points de départ les plus intrigants du film criminel, le couple en fuite, sujet moult fois décliné, mais rarement dans un climat d’anticipation comme c’est le cas ici. L’ambiance nocturne se prête à des jeux de lumière qui ne cachent pas leur filiation avec le film policier. Les questions que se posent les personnages, et les spectateurs bien sûr, sont à peu près toujours les mêmes : qui en veut aux deux protagonistes ? Pourquoi ? Qui peut les aider à fuir ? Et puis la fuite, on le comprend assez vite, est pensée comme un trajet, comme une initiation qui révèle des aspects insoupçonnés sur la nature de chacun des personnages. Quant à la résolution de l’énigme principale… Mais quelle est-elle au juste ?

Splitscreen-review IMage de eXistenZ de David Cronenberg

Plusieurs éléments traités de manière particulièrement pertinente permettent au film de se soustraire aux outrages du temps. D’abord, eXistenZ ne prétend jamais décortiquer les fonctionnements du jeu vidéo. Il n’a pas pour ambition non plus de parcourir et de sonder ce que produit le jeu vidéo sur le joueur. Le sujet d’eXistenZ est ailleurs. Dans l’œuvre globale de Cronenberg, la question identitaire est essentielle. Pour définir l’identité et les motivations des personnages, Cronenberg invente des espaces autres où s’approchent en profondeur des questionnements sur notre monde et sur la manière dont l’individu habite ce monde. C’est donc l’autre qui compte : autre réalité, autre monde, autre nature, autre soi… Car si nous osons un jeu de mot assez facile, au jeu vidéo Cronenberg préfère le « Je » de ses créatures, pardon, de ses personnages.

Splitscreen-review IMage de eXistenZ de David Cronenberg

 

Les singularités identitaires se déclinent, se modifient et évoluent en fonction de ce que le spectateur est susceptible d’imaginer à partir des éléments qui nous sont fournis par le cinéaste. Dès la séquence d’ouverture, le film déraille, enfin livre des indices qui indiquent que tout fonctionne en décalé. Nous constatons la ferveur d’une assemblée dans un lieu de culte qui, dévolu originellement à une croyance, semble être désormais au service d’une autre forme de spiritualité, nous sommes en présence d’une technologie organique (les « Pods »), d’un monde désurbanisé (on pense à Lynch et ses villes situées en lisière de forêts aux profondeurs insondables), etc. Nous sommes plongés dans un monde « merveilleux » qui intègre de manière insolite à sa propre logique des éléments de vie courante qui appartiennent à une sorte d’intemporalité. L’habileté de Cronenberg tient donc ici dans sa manière de jouer avec le spectateur sur ce qu’il attend, sur ce qu’il spécule. Cronenberg nous livre, sans préambule, une réalité qui définit le cap que le film emprunte. Il s’agit de penser un monde futur, sans doute peu reluisant, qui crédibilise la théâtralité virtuelle du propos au point que des individus préfèrent quitter le réel pour se réfugier dans un monde parallèle. Et puis la fuite des deux protagonistes qui génère un suspens qui nous ferait presque rater l’essentiel, la mise en scène de la séquence. Cronenberg utilise une transparence (difficile à rater) pour toute cette séquence du trajet en voiture.

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L’usage de la transparence n’est pas anodine. Le procédé est utilisé dès les origines du cinéma (Méliès et ses « caches » et « contre-caches ») avant de se « moderniser » à la fin de la période muette pour adopter la forme qui fut la sienne jusqu’à l’apparition des fonds verts et du principe d’incrustation. La transparence, au-delà de son aspect économique, a pu être, ce sera le cas ici, utilisée à des fins utiles. C’est-à-dire que le procédé peut faire sens. Le principe est simple : des comédiens en studio interprètent leur rôle dans une séquence sensée se dérouler en extérieur. Pour créer l’illusion, on ajoute derrière eux un écran translucide sur lequel des images tournées au préalable en extérieur sont projetées. Le trucage demeure cependant visible. Un trouble naît chez le spectateur attentif. Pourquoi utiliser un procédé aussi repérable dans des films récents alors que l’amélioration des technologies permet justement de rendre invisible la transparence ? Ici, dans eXistenZ, nous l’avons dit, toute la séquence de la fuite en automobile d’Allegra Geller et de Ted Pikul est tournée à l’aide d’une transparence qui ne cache rien du factice qui l’accompagne. Qu’en déduire ? Simplement que deux réalités cohabitent dans la même image : une certaine forme de réalité en arrière-plan et la réalité subjective des deux protagonistes.

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Il revient alors au spectateur de repenser rétroactivement la scène d’ouverture et de questionner la réalité qui nous fut exposée. Et là, de se souvenir que les espaces sont réellement fragmentés, eux aussi, comme le sera l’image lors de l’usage de la transparence. Le spectateur se doit alors, s’il se prend au jeu du cinéaste, de questionner toutes les réalités, tous les espaces que le film va arpenter. Là se situe l’autre question fondamentale soulevée par le film, le rapport au réel. Et lorsque nous parlons d’un film, le rapport au réel est inévitablement remis en cause : le spectateur accepte pendant la durée d’un spectacle filmique d’abandonner le domaine du tangible (le quotidien de chacun) pour se laisser entraîner dans une réalité parallèle, celle du film regardé, et d’en accepter les règles quelles qu’elles soient, même au détriment du sens commun.

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Cet exemple témoigne de la subtilité dont fait preuve eXistenZ dans la relation qu’il établit avec le spectateur. Car la question identitaire soulevée en début de commentaire se rapporte également au spectateur : comment accepter les variations d’humeur des personnages au fil des séquences sans modifier notre rapport à ces derniers ? Alors que Cronenberg ne cherche jamais à atténuer le principe d’identification qui agit entre le spectateur et les personnages, comment expliquer que nous les suivons dans leur quête aussi futile soit-elle au moins en apparence ? Parce que dans le phénomène de représentation que Cronenberg élabore, le cinéaste nous laisse l’occasion de partir à la rencontre de soi. C’est même l’enjeu majeur du film. Un peu comme dans un film d’Hitchcock, le spectateur passe son temps à échafauder des hypothèses pour justifier les incohérences visuelles ou narratives (souhaitées et assumées) que le film développe (la transparence évoquée plus tôt par exemple ou les rimes visuelles qui existent ne serait-ce qu’à partir des vêtements ou de la forme des espaces ; l’église et le chalet, le restaurant et l’usine, etc.). Alors un sens subjectif, celui que chacun d’entre nous prête aux choses, irrigue le film d’interprétations qui renseignent autant sur les intentions de Cronenberg que sur ce que nous sommes capables d’interpréter à la lecture des situations filmées.

Revoir eXistenZ aujourd’hui confirme que le film appartient aux œuvres les plus abouties d’une filmographie à la cohérence remarquable. Mieux, revoir eXistenZ aujourd’hui permet de mesurer la profondeur de l’œuvre, véritable réflexion sur le rapport qui lie le cinéma au réel avec pour ambition de déterminer où se situe la ligne de partage entre les deux concepts et comment nous, spectateurs, vivons ces passages de frontières.

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Crédit photographique : Copyright L'Atelier Distribution

SUPPLÉMENTS :

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Le Commentaire audio par David Cronenberg
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