
Festival de Cannes 2025 : La première semaine
Publié par Birgit Beumers - 22 mai 2025
Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals
Un thème : le pouvoir
La première semaine de cette 78e édition du Festival de Cannes a attiré son lot de stars sur la Croisette, avec, en tête d’affiche, Tom Cruise dans Mission : Impossible – The Final Reckoning. Mais c’est du côté de la sélection officielle en général et de la compétition en particulier que se trouvent, comme toujours, à la fois des déceptions et des surprises. De cette compétition, une thématique commune se dégage : celle du pouvoir, des systèmes corrompus et des individus intègres qui luttent pour une forme de justice. Ce fil conducteur se vérifie dans plusieurs films, chacun offrant une réflexion profonde sur l’éthique et la moralité dans un monde en pleine turbulence. Raccords sont-ils avec la cérémonie d'ouverture où certains sujets brûlants furent évoqués.

Ainsi, Dossier 137 de Dominic Moll se distingue par une narration d'une grande intensité. Le film suit Stéphanie, une enquêtrice interne incarnée par Léa Drucker dont la performance calme et profonde porte le récit. Elle cherche à documenter l'abus de pouvoir des forces de l'ordre pendant les manifestations des Gilets Jaunes en décembre 2018 à Paris. L’affaire concerne un jeune homme de banlieue gravement blessé lors de ces protestations. Stéphanie construit un dossier irréprochable pour identifier les policiers responsables – des membres d’une unité spéciale habituellement en charge de la lutte contre le terrorisme. Mais ces policiers sont protégés par l’État et le gouvernement, un obstacle qui ne fait qu’ajouter à la complexité du combat livré par Stéphanie pour que la vérité éclate.

Le thème de la trahison et de la confiance est également au cœur de L’Agent Secret de Kleber Mendonça Filho. Dans ce film, Wagner Moura interprète Marcel/Armando, un homme en fuite après avoir été pris pour cible par un homme d’affaires milliardaire dans les années 70. Ce dernier souhaitait exploiter la recherche universitaire, particulièrement celle du département dont Armando était le chef. Le film explore la corruption au sein de la police avec des épisodes souvent grotesques à l'image d'une scène de "jambe zombie" qui s'attaque à l’exploitation sexuelle. Le récit, ancré dans un double contexte temporel entre les années 1970 et aujourd'hui, examine les liens familiaux, les réseaux sociaux et la lutte contre un système policier corrompu avec une portée universelle sur le désir d'oubli et de rédemption.

La corruption, encore et toujours, façonne aussi The Phoenician Scheme de Wes Anderson avec Benicio del Toro dans le rôle du billionaire Zsa-Zsa Korda. Ce film pourrait être qualifié de road movie mais l’action se déroule à bord d’un avion (qui connaît plusieurs crashs). À l’image de son réalisateur, le film est avant tout une farce brillante qui se développe à partir d’une série d’anecdotes filmées avec le style habituel d’Anderson assorties d’un commentaire voice-over. Le film, comme souvent chez Anderson, exploite la présence de vedettes du cinéma contemporain grâce à sa fragmentation du récit. Apparaissent cependant dans le monde de Wes Anderson de nouvelles figures telles que Mia Threapleton, fille de Kate Winslet, qui interprète l’un des rôles clés.

Ari Aster s’inscrit également dans cette problématique de l’abus de pouvoir et de la corruption avec Eddington. Le film se déroule dans la ville d’Eddington où une élection pour la mairie doit avoir lieu. Le maire corrompu s’oppose au shérif pendant que la ville se vide de ses habitants pendant le confinement du Covid. La tension monte alors qu’une puissante entreprise cherche à s’imposer dans la région avec l’aval du maire. Mélange de thriller et de satire sociale, le film interroge notre relation à l’autorité, à la politique et à l'avenir. Et la dernière partie de la trilogie de Tarik Saleh, Les Aigles de la République, s’inscrit également dans la lignée des films centrés sur l’individu (en l’occurrence un acteur, interprété par Fares Fares), manipulé et écrasé par le système.

Dans un registre plus tragique, Sergei Loznitsa dépeint la brutalité du système soviétique avec Deux procureurs, film qui a contenté l’essentiel de la critique au point de faire, pour l’instant, figure de favori dans la course aux prix. L’histoire suit un jeune procureur qui, dans sa naïveté, tente de dénoncer la mauvaise gestion d’une prison, espérant que la vérité puisse renverser les injustices du régime. Loznitsa livre ici une réflexion acérée sur le totalitarisme et les sacrifices personnels au nom de la vérité.
De la perte et de la mort
Parmi les œuvres qui s’éloignent de cette thématique de la corruption, plusieurs films se distinguent par leur originalité et par l’émotion qui s’en dégage. Sound of Falling de la réalisatrice allemande Masha Schilinski, par exemple, s’étend sur quatre générations d’individus vivant sur un immense domaine en Allemagne du Nord. Le film tisse habilement des liens entre les époques, explorant les traumatismes et les répercussions familiales à travers des éléments visuels symboliques comme l’eau, les miroirs et des cadres photographiques.

Visuellement captivant, Sîrat d’Oliver Laxe prend la forme d’un road movie (sans véritable route) où un père, interprété par Sergi Lopez, et son fils cadet Esteban traversent un désert montagneux au Maroc à la recherche d’une disparue, la fille de l’un qui est aussi la sœur de l’autre. Le film se distingue par sa capacité à capter la solitude et la désolation d’un voyage aussi physique que psychique, menant à une conclusion aussi poignante qu’inattendue dans une image finale qui lie le désespoir au déracinement.

Enfin, une découverte touchante, Renoir de la japonaise Hayakawa Chie. Le film raconte l’histoire de Fuki, une fillette de 11 ans, confrontée à la maladie de son père et à l’indifférence de sa mère. À travers son regard, le film nous plonge dans un univers où la frontière entre le rêve et la réalité, entre la vie et la mort, est floue. L’émotion de Fuki se reflète dans des paysages magnifiques, des scènes de peinture et dans ses relations avec les proches qui l’entourent.

Cette première semaine du Festival de Cannes, riche en films forts et en récits poignants, montre à quel point le cinéma reste un moyen puissant de questionner et de confronter les réalités sociales, politiques et humaines de notre époque. Les thèmes de la corruption, du pouvoir et de la rédemption se retrouvent au centre de nombreux films, mais c'est à travers les nuances et les choix stylistiques des réalisateurs que l’on trouve les véritables révélations de cette édition.
