Splitscreen-review Image du coffret 4 films de Véréna Paravel et de Lucien Castaing-Taylor

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Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor - Coffret 4 films

Publié par - 26 mai 2025

Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres

Avec l’édition de ce coffret consacré au travail documentaire de Véréna Paravel et de Lucien Castaing-Taylor, Potemkine Films nous permet, même si ce n’était pas la finalité de l’édition, de revenir sur certains principes qui ont soutenu l’invention originelle du Cinématographe. Les quatre films du coffret (Leviathan, Somniloquies, Caniba et De humani corporis fabrica) s’éloignent cependant de la traduction du grec ancien (écrire le mouvement) qui compose le nom déposé par Louis Lumière. Car, dans ces films, il ne s’agit pas uniquement pour Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor d’écrire du mouvement, de capter ou de restituer les soubresauts du monde, même si leurs films occupent le champ documentaire. Chaque présent ici se charge de déconstruire la posture d’un cinéaste tout en prolongeant certains de ses gestes. Le cinéma que nous propose Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor est une forme qui repose sur l’écoute et sur la sensation.

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Leviathan de Véréna Paravel et de Lucien Castaing-Taylor Copyright Arsenal Institut

Il apparaît ici que les deux auteurs reprennent au pied de la lettre une idée : le Cinématographe est le fruit d’une volonté scientifique soucieuse d’inventer un outil destiné à servir le savoir. De ce postulat naît une conception du film qui va nécessiter, chez le spectateur, de négliger les conventions et les acquis qui façonnent le cinéma. Il faut estimer les quatre films sous l’angle de la fonctionnalité de l’outil d’enregistrement et considérer le geste filmique non pas en fonction d’intentionnalités artistiques mais selon une méthodologie proche d’une démarche anthropologique. C’est-à-dire que les quatre films qui composent ce coffret sont à envisager comme des enquêtes livrées à la compréhension du spectateur sur les rapports qu’entretiennent des individus avec leur environnement au sens large du terme.

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Somniloquies de Véréna Paravel et de Lucien Castaing-Taylor Copyright Norte Distribution

L’image filmique ne répond donc pas ici à la volonté de représenter un monde revisité par une pensée mais plutôt au souhait de fournir nombre d’informations au spectateur chargé de réfléchir sur des événements de différentes natures. Pour y parvenir, faisant fi des divergences intentionnelles énoncées, les auteurs, comme dans une gestuelle artistique, convoquent un phénomène interprétatif qui s’active dès les premières images de chaque film. Mais ici le support analytique qui constitue le squelette de l’herméneutique qui donne accès à la profondeur des œuvres n’est pas celui auquel le cinéma nous a habitué. Il faut se défier du réflexe de s’en remettre à la sémantique pour adopter une autre gymnastique d’esprit. Celle qui consiste à réunir, compiler, condenser et synthétiser d’autres ingrédients que ceux appartenant à une syntaxe particulière pour que les images deviennent des signes qui intègrent une autre forme d’expression.

En l’occurrence, il s’agit d’envisager l’image sous l’angle de l’analogie ou, au contraire, sous l’angle de la dissemblance afin qu’une sorte de cheminement mental se déploie. Le spectateur est alors invité à repérer les fonctionnalités universelles de l’image (valeur de plan, durée des captations, rythme des images, montage, voire quelques mouvements d’appareil) et de les accorder à des indicateurs particuliers, souvent abscons pour le profane, pour créditer l’expérience filmique d’un sens que la subjectivité de chacun étoffera.

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De humani corporis fabrica de Véréna Paravel et de Lucien Castaing-Taylor Copyright Les Films du Losange

Caniba illustre à la fois la richesse et les limites de cette démarche. Au départ, un fait-divers. En 1981, un étudiant japonais établi à Paris, Issei Sagawa, viole, tue et mange en partie le corps d’une étudiante hollandaise. Deux ans plus tard, la justice française prononce un non-lieu à l’encontre du prévenu après avoir conclu à un acte de démence. Issei Sagawa, l’étudiant japonais décédé depuis la réalisation de ce documentaire, n’a jamais nié quoi que ce soit et sera d’abord interné en institution psychiatrique avant d’être extradé vers le Japon en 1984. Il sera remis en liberté quelques mois plus tard par les autorités japonaises.

Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor sont allés filmer Issei Sagawa au Japon. Des gros plans, figure stylistique la plus présente dans le film, structurent la rencontre entre Sagawa et la caméra des auteurs. Le choix du gros plan semble au départ pertinent. Guetter des signes, des attitudes qui seraient susceptibles d’éclairer notre réflexion et de répondre, espoir secret sans doute, à quelques questions sur le crime commis. Le gros plan, traditionnellement, si nous suivons les règles de sémantique, produit une rencontre entre l’affect et l’intellect. Le gros plan est le télescopage habile entre deux conditions contraires, la passion et la raison, qui a pour but d’en traduire les effets de réciprocité. Les limites du projet sont ici, dans l’impossibilité d’habiter le dispositif filmique. Et l’attente (des auteurs comme celle du spectateur) ne clarifie rien.

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Caniba de Véréna Paravel et de Lucien Castaing-Taylor Copyright Norte Distribution

Ce qui définit les limites de l’entreprise, c’est la présence du tabou ultime partagé par nos civilisations concernant l’acte de cannibalisme qui occulterait presque ce qui l’a précédé, le viol et le meurtre. Notre attention se heurte à l’approche filmique et à l’enregistrement de l’événement. Quelles grilles de lecture sont alors convoquées par notre subjectivité ? Des connaissances relatives en psychiatrie ? Toujours est-il que le sujet du film bute sur l’acte criminel commis par Sagawa. Il nous faudrait, nous spectateurs, parvenir à franchir cet écueil. Mais pour cela il nous faudrait aussi une matière filmique qui nous donne la possibilité de le faire, ce qui n’est pas le cas ici. Par exemple, pour surmonter la condition cannibale qui clôt l’acte de Sagawa, il nous faudrait accéder aux intentions des auteurs pour nous approprier la démarche filmique et nous livrer à un examen du sujet. Or, il n’en est rien. Le dispositif reste immuable et limité par son intention initiale.

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Caniba de Véréna Paravel et de Lucien Castaing-Taylor Copyright Norte Distribution

En revanche, les autres films du coffret, une fois passées nos éventuelles réticences liées à nos sensibilités respectives, répondent de manière évidente à une méthode anthropologique. Les images, dans ces trois films, rendent tangible la considération du film comme outil de diffusion de signes liés à des argumentaires en apparence abstraits et pourtant connus ou reconnus. Parmi ces films, De humani corporis fabrica se distingue par la manière dont il s’empare de son objet, le corps humain, pour en proposer une exploration à la fois clinique et poétique. Ce qui pourrait n’être qu’un exercice de visualisation anatomique devient, par le biais d’un usage intensif du très gros plan, un véritable voyage sensoriel qui repose sur une forme de dénaturation physique du corps humain. Ce procédé de détachement des êtres ne cède pourtant jamais à une altération de l’humanité : la question du patient, sa fragilité, sa dignité, traverse le film en sourdine, conférant à cette entreprise anatomique une profondeur éthique remarquable.

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De humani corporis fabrica de Véréna Paravel et de Lucien Castaing-Taylor Copyright Les Films du Losange

Ce qui est épatant dans le travail de Véréna Paravel et de Lucien Castaing-Taylor, c’est l’aptitude des auteurs à combiner des éléments disparates pour les soustraire à leur fonctionnalité intrinsèque afin de les charger de valeurs nouvelles au contact d’autres éléments présents dans le matériau filmique. Les films se nourrissent alors d’un sens qui se défini à partir de la structure globale des plans, des séquences voir des films dans leur entièreté.

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Leviathan de Véréna Paravel et de Lucien Castaing-Taylor Copyright Arsenal Institut

Suppléments :
1 livret

Leviathan
Présentation du film par Véréna Paravel (français) et Lucien Castaing-Taylor (anglais)
"Still Life", court-métrage de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor (2013, 28')
Somniloquies
Présentation du film par Véréna Paravel (français) et Lucien Castaing-Taylor (anglais)
"Rêves coupés" : Scènes coupées de "Somniloquies" (27')

Caniba
Présentation du film par Véréna Paravel (français) et Lucien Castaing-Taylor (anglais)
"8mm, archives des Sagawa, montées" de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor (2025, 54')

De humani corporis fabrica
Présentation du film par Véréna Paravel (français) et Lucien Castaing-Taylor (anglais)
Scènes coupées commentées par Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor (6')

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