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Mostra de Venise 2025

Publié par - 15 septembre 2025

Catégorie(s): Cinéma, Expositions / Festivals

La 82e « Mostra » de Venise. 

Cette année, le plus prestigieux festival de cinéma d’Italie s’est ouvert sur un film italien : La grazia de Paolo Sorrentino, un drame centré sur le – fictif – président de la République italienne, Mariano de Santis, incarné par Toni Servillo, qui a d’ailleurs remporté la Coppa Volpi du Meilleur Acteur. Une récompense que l’on pourrait qualifier de tardive tant l’acteur avait déjà été honoré par ailleurs à maintes reprises – quatre prix de David di Donatello et deux Prix du Meilleur Acteur aux European Film Awards.

Parmi les autres films italiens en compétition, Duse de Pietro Marcello – un biopic co-produit par la France – n’aura pas suffi à offrir à Valeria Bruni Tedeschi de prix d’Interprétation Féminine.  Celui-ci est allé à l’actrice chinoise Xin Zhilei pour son rôle dans The Sun Rises on Us All de Cai Shangjun. Autre présence italienne remarquée, le documentaire en noir et blanc Pompei. Sotto le nuvole de Gianfranco Rosi, consacré à l’architecture napolitaine, qui a quant à lui remporté un Prix spécial du jury.

Splitscreen-review Image de Bugonia de Yorgos Lanthimos
BUGONIA de Yorgos Lanthimos ©Atsushi_Nishijima_FocusFeatures_2025

La sélection officielle a également rassemblé plusieurs maîtres absents de Cannes. C’est le cas de Yorgos Lanthimos avec Bugonia (Irlande, Corée du Sud, États-Unis), une fable absurde portée par Emma Stone dans le rôle de Michelle Fuller, PDG kidnappée par deux illuminés conspirationnistes persuadés qu’elle est une extraterrestre venue anéantir la planète. Le point de départ – une intrigue presque minimaliste – est habilement étoffé. Stone compose une Michelle Fuller perfectionniste, froide et brillante, face à deux ravisseurs caricaturaux : Teddy (Jesse Plemons), apiculteur rongé par un désir écologique et la vengeance pour le coma de sa mère – qu’il impute à l’entreprise pharmaceutique de Fuller – et Don (Aidan Delbis), benêt quasi mutique. Leur opération de kidnapping, frôlant par moments le burlesque, bascule rapidement dans une atmosphère plus sombre. Teddy est convaincu de l’imminence d’un complot extraterrestre visant l’extinction de l’humanité. Alors qu’il torture Michelle pour lui faire avouer sa véritable nature, celle-ci entre dans son jeu : elle accepte même de « télétransporter » Teddy sur sa planète d’origine. Et alors que le spectateur tente d’anticiper comment elle va se tirer de ce piège absurde, Lanthimos opère un virage narratif audacieux, transformant son film en parodie à la fois de science-fiction et de comédie de gangsters.

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Orphan de László Nemes Image fournie par La Biennale Cinema

En ouverture et en clôture du festival, telles des parenthèses, se tenaient deux films de réalisateurs hongrois : Orphan de László Nemes (Hongrie, France, Allemagne, Royaume-Uni) et Silent Friend d’Ildikó Enyedi (Allemagne, France, Hongrie). Les attentes étaient hautes pour le nouveau film de Nemes, mais les critiques se sont révélées mitigées. Situé en 1957, juste après l’écrasement de l’insurrection hongroise, Orphan suit Andor, un adolescent à qui sa mère fait croire que son père, juif, a péri dans les camps. Lorsqu’il découvre que cette version est fausse et qu’il rencontre son véritable père, Andor rejette cette nouvelle filiation et ne peut pas s’y confronter. Le film montre cette désillusion à travers les yeux de l’enfant, puis de l’adolescent, et laisse souvent le spectateur aussi désorienté qu’Andor lui-même. Le récit, subjectif, offre peu de recul et le contexte historique doit être reconstruit comme un puzzle à partir de fragments épars.

Splitscreen-review Image de Silent Friend de Ildiko Enyedi
SILENT FRIEND d’Ildikó Enyedi ©Lenke_Szilagyi

En revanche, Silent Friend a suscité une attention considérable et a reçu le prix FIPRESCI parmi les films en compétition. Le film se compose de trois récits entremêlés grâce à un montage virtuose signé Károly Szalai : les histoires ne se succèdent pas, mais se répondent par glissements associatifs, entre époques différentes et personnages distincts. La première histoire se déroule en 2020 : Wong (Tony Leung Chiu-wai), neuroscientifique singapourien, arrive à Marburg comme professeur invité juste avant que le confinement lié au Covid ne bouleverse tout. Il s’intéresse alors à un vieux ginkgo femelle dans le parc de l’université, un arbre dont il mesure les réactions (le titre allemand Stille Freundin souligne d’ailleurs son genre féminin). L’arbre semble aspirer à la compagnie — comme les humains durant le confinement — et à la fécondation. Avec l’aide d’Alice Sauvage (Léa Seydoux), une collègue française qu’il contacte via Zoom, Wong rend cela possible.

Un autre niveau temporel, filmé en 35 mm noir et blanc, nous plonge en 1908 : Grete (Luna Wedler), l’une des premières femmes admises au cours de biologie à Marburg, trouve à se loger chez un photographe qui lui apprend son art. Elle se spécialise dans la photographie botanique, capturant des images précises de plantes qui permettent leur classification.

Enfin, en 1972, un troisième récit — tourné en super 16 mm avec une texture granuleuse très marquée — suit les prémices d’une relation entre Hannes (Enzo Brumm), étudiant en littérature, et Gundula (Marlene Burow), étudiante en biologie. Gundula mène une expérience sur un géranium posé sur son rebord de fenêtre, observant ses réactions. Lorsqu’elle part en vacances avec un camarade, Hannes prend soin de la plante, s’y attache, et observe à son tour des réactions intenses. Enyedi explore ici la continuité du lien entre l’homme et le monde végétal, cette quête de communication et de relation avec les plantes. Le film interroge ce que celles-ci pourraient nous révéler à condition que nous soyons prêts à écouter. Une délicatesse subtile traverse les récits, y compris dans l’évolution du personnage de Hannes (le concierge universitaire), dont la posture bureaucratique initiale s’adoucit progressivement pour laisser place à un rapport enjoué avec la nature.

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FRANKENSTEIN de Guillermo Del Toro ©Netflix_2025

Parmi les titres américains très attendus figurait Frankenstein de Guillermo del Toro, produit pour Netflix. Le film revisite l’histoire de la création du “monstre” à travers plusieurs points de vue. La première scène nous plonge dans une atmosphère glaçante : une créature attaque un navire pris dans les glaces, à bord duquel se trouve Victor Frankenstein (Oscar Isaac) gravement blessé. Victor se lance alors dans le récit de son passé : une enfance marquée par un père autoritaire qu’il tient pour responsable de la mort de sa mère lors de l’accouchement de son frère cadet. Ce traumatisme fonde son obsession : dépasser les limites de la médecine paternelle, vaincre la mort, créer la vie. Le monstre (interprété par Jacob Elordi) possède des traits profondément humains. Il est animé d’une rage sourde, fruit de son impossibilité à vivre pleinement, tout comme à mourir. Tandis que Victor est dépeint comme un homme arrogant et dévoré d’ambition, c’est la créature qui incarne, paradoxalement, l’innocence et la beauté intérieure.

Dans la seconde partie, la parole est donnée au monstre qui livre sa propre version : celle d’un être condamné à l’immortalité, incapable de mourir, ni même d’exister véritablement. Un destin tragique, entre l’errance et l’exclusion. Une fois les deux récits déroulés, le film revient au début : à bord du navire figé dans la glace, Frankenstein se rend et se meurt. Le monstre, quant à lui, disparaît dans les neiges éternelles après avoir libéré le bateau de sa prison glacée. Visuellement saisissant, doté d’effets spéciaux impressionnants et de décors somptueux —d’un manoir campagnard à un château médiéval réaménagé en laboratoire scientifique —, le film impressionne aussi par son casting. Mia Goth y incarne la belle-sœur de Victor, l’un des rares personnages à établir un lien authentique avec la créature.

Parmi les projets Netflix très attendus fut présenté Jay Kelly de Noah Baumbach avec George Clooney dans le rôle d’une star capricieuse qui, sur un coup de tête, décide de suivre sa fille adolescente lors d’un voyage en Europe. Le film propose un portrait amusant et plein d’esprit — voire une parodie — des caprices de célébrités et du quotidien difficile des équipes qui les entourent. Clooney incarne à merveille cette vedette fantasque et il est brillamment entouré : Adam Sandler joue son agent désabusé, Laura Dern son attachée de presse toujours sur le qui-vive. Le casting regorge de caméos savoureux : Jim Broadbent et Greta Gerwig, Alba Rohrwacher et Lars Eidinger… autant de présences qui ponctuent cette comédie légère mais acérée où Baumbach mêle ironie hollywoodienne et tendresse paternelle.

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A HOUSE OF DYNAMITE de Kathryn Bigelow©Netflix 2025

Autre présentation marquante et attendue : A House of Dynamite de Kathryn Bigelow. Ce thriller haletant frappe fort avec un récit de fiction, mené trois fois de suite à travers différents points de vue, autour d’un événement unique : le lancement d’un missile nucléaire non identifié (ni chinois, ni russe, peut-être nord-coréen) en direction de Chicago. Il reste trente minutes avant l’impact. Les systèmes de défense les plus avancés échouent les uns après les autres tandis que les opérateurs sont confrontés à leurs propres drames personnels — un enfant malade, un élève en sortie scolaire, une fille adolescente en quête d’émancipation. Si ces préoccupations n’entravent jamais la réponse opérationnelle, elles pèsent sur l’atmosphère dans les salles de contrôle et sur la lucidité des décisions. Bigelow déploie un sens aigu de la tension dramatique alternant entre centres de commandement et déplacements sur le terrain. La structure en récits multiples renforce l’intensité. Chaque segment apporte un éclairage nouveau sur l’urgence et l’incertitude. Le Président (Idris Elba), privé de données fiables, doit prendre une décision alors que les systèmes à un milliard de dollars se révèlent inefficaces et que l’origine de l’attaque reste inconnue. Avec A House of Dynamite, Bigelow signe une œuvre puissante qui interroge l’absurdité des dispositifs nucléaires et la vulnérabilité d’un monde en équilibre instable.

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Le mage du Kremlin d'Olivier Assayas © Carole Bethuel - 2025 CURIOSA FILMS- GAUMONT - FRANCE 2 CINEMA

Le Mage du Kremlin d’Olivier Assayas (France, Royaume-Uni, États-Unis) est également un thriller politique qui, hélas, est très loin du niveau de celui de Bigelow. Il s’agit d’une adaptation politiquement orientée — coécrite par Assayas et Emmanuel Carrère — du roman de Giuliano da Empoli, qui s’inspire librement de la figure de Vadim Baranov, personnage calqué sur Vladislav Surkov, conseiller de longue date de Vladimir Poutine. Baranov, incarné par Paul Dano, apparaît à l’écran comme une figure plutôt terne et bien plus effacée que dans le livre. En revanche, Jude Law, dans le rôle de Poutine, livre une prestation irréprochable. L’acteur a minutieusement étudié la gestuelle et l’attitude du président russe sans jamais sombrer dans la caricature. Poutine demeure ainsi une figure impénétrable. Ce sont surtout sa démarche et ses gestes qui trahissent son caractère, plus que son visage. Le récit de Vadim, adressé à un chercheur étranger (comme dans le roman), met en lumière de nombreux aspects de l’ascension au pouvoir de Poutine. Mais le film opte pour un regard rétrospectif, faisant le choix du recul et de la connaissance de la suite des événements, ce qui transforme l’intrigue en un long flashback plus qu’en un thriller captivant. Le Mage du Kremlin doit sortir en salles en France en janvier 2026, distribué par Gaumont, et parcourt actuellement le circuit des festivals (Toronto, Busan, San Sebastián…).

Du côté français, en compétition, fut sélectionné À pied d'œuvre de Valérie Donzelli et Gilles Marchand. Le film raconte l’histoire d’un photographe devenu écrivain qui ne parvient pas à percer et enchaîne les petits boulots pour survivre. Le scénario a d’ailleurs valu aux réalisateurs un prix à Venise. Quant à L’Étranger de François Ozon, adaptation en noir et blanc du roman éponyme d’Albert Camus, elle offre une interprétation plutôt faible du récit sur Meursault (Benjamin Voisin) — son meurtre et le procès qui s’ensuit. Les motifs psychologiques, plutôt qu’une crise existentielle, jouent un rôle essentiel dans cette version assez plate : l’absence d’émotions lors des funérailles de la mère ou encore la liaison avec une collègue, la relation avec le voisin sont suggérées... Meursault apparaît davantage comme un étranger que comme un homme dénué de but, ce qui fait de ce film un ersatz pour la lecture scolaire.

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La voix de Hind Rajab de Kaouther Ben Hania © Jour2Fête

La Voix de Hind Rajab de Kaouther Ben Hania (Tunisie, France) est un œuvre extraordinaire qui mélange documents authentiques et reconstitutions des faits par des acteurs. Le film présente les enregistrements originaux de l’appel de Hind, une fillette de cinq ans, surnommée affectueusement Hanood, piégée dans une voiture à Gaza avec son oncle, sa tante et trois cousins, tous morts. Sa mère l’avait confiée à cette partie de la famille pour mettre la fillette à l’abri, restant elle-même à la maison avec son petit frère. Lors de leur trajet, la voiture est prise sous le feu et seul Hanood survit. Une ligne téléphonique est alors établie, maintenue plus de cinq heures, avec le Croissant-Rouge tandis que les secours tentent d’organiser une « safe route » pour une ambulance capable de sauver la fillette.

Basé sur les événements réels du 29 janvier 2024, le film utilise les enregistrements originaux. Les scènes dans le centre d’appel, où Omar (Motaz Malhees) et Rana (Saja Kilani) parlent avec la fillette, sont reconstituées ; ils sont assistés par leur collègue Nisreen (Clara Khoury) pendant que le chef d’opérations Mahdi (Amer Hlehel) tente de négocier le passage. Cette séquence de huit minutes prend plusieurs heures de négociations. Les accords sont retardés à plusieurs reprises par la nécessité d’un accord avec l’armée israélienne (IDF). Lorsque l’ambulance arrive enfin près de la voiture, le char que Hanood avait décrit comme stationné à côté de la voiture ouvre le feu. Les communications avec Hanood et les secouristes s’interrompent. Leurs corps seront retrouvés le 10 février.

Mahdi insiste pour que tout soit fait selon la règle : il ne veut pas perdre encore une équipe de secours — il a affiché les photos des secouristes déjà décédés sur un panneau. Rana et Omar craquent émotionnellement : Rana s’effondre, épuisée par plusieurs jours sans sommeil, et Omar appelle une ambassade, brisant le protocole. Ces tensions entre Omar et Mahdi, peut être exagérées dans le jeu des acteurs, dévoilent malgré tout l’aspect humain de la tragédie. Pendant ce temps, la voix authentique de Hanood continue de supplier qu’on vienne la chercher. Le film se conclut sur des photos de la fillette, fournies par un parent, ainsi qu’un court témoignage de sa mère, mêlant ainsi la fiction à la réalité documentaire.

La Voix de Hind Rajab était clairement le grand favori pour le Lion d’or mais il était évident pour le jury — composé d’Alexander Payne, Stéphane Brizé, Maura Delpero, Cristian Mungiu, Mohammad Rasoulof, Fernanda Torres et Zhao Tao — qu’une telle récompense aurait déclenché un scandale politique. Considérant que Brad Pitt, Joaquin Phoenix, Rooney Mara, Alfonso Cuarón et Jonathan Glazer se sont récemment engagés en tant que producteurs exécutifs, le film bénéficie déjà d’une influence considérable.

L’attribution du Lion d’argent – Grand prix du jury fut une solution diplomatique idéale, mais elle laissa planer le mystère autour du film lauréat. De nombreuses options étaient possibles, mais dans ce contexte, le film de Jim Jarmusch, Father Mother Sister Brother, s’est imposé comme un choix évident.

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PHOTOCALL WINNERS-Jim Jarmusch©Andrea Avezz_ La Biennale di Venezia-FotoASAC

 

Lion d’or : Father Mother Sister Brother de Jim Jarmusch
Grand Prix du Jury : The Voice of Hind Rajab de Kaouther Ben Hania
Prix spécial du Jury : Pompei. Sotto le nuvole de Gianfranco Rosi
Lion d’argent (Meilleur réalisateur) : Benny Safdie pour The Smashing Machine
Coupe Volpi de la meilleure actrice : Xin Zhilei dans The Sun Rises on Us All
Coupe Volpi du meilleur acteur : Toni Servillo dans La grazia
Meilleur scénario : Valérie Donzelli et Gilles Marchand pour À pied d’œuvre
Prix Marcello Mastroianni (meilleur jeune espoir) : Luna Wedler dans Silent Friend

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