Splitscreen-review Image de Kontinental '25 de Radu Jude

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Kontinental '25

Publié par - 25 septembre 2025

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Le nouveau film de Radu Jude, Kontinental ’25, s’inscrit dans la continuité d’une œuvre qui interroge régulièrement les conditions politiques et sociales de la Roumanie contemporaine. Bien que le cinéaste refuse d’être associé exclusivement à un cinéma dit politique, il est difficile de ne pas envisager ce nouveau film comme une extension réflexive de propositions déjà formulées dans Aferim ! (2015), Peu m’importe si l’Histoire nous considère comme des barbares (2018) ou encore Bad Luck Banging or Loony Porn (2021). En s’attachant à un fait divers, Jude met en place un dispositif narratif qui flirte avec différents phénomènes fictionnels pour explorer la manière dont le réel, dans ce qu’il a de plus trivial, peut se charger d’une dimension tragique et ainsi ouvrir sur une réflexion critique portant sur les contradictions systémiques de nos sociétés contemporaines.

Le film s’ouvre sur une succession de séquences qui suivent la déambulation d’un homme collectant du plastique afin de survivre. Réfugié dans un immeuble promis à la destruction dans le cadre d’un programme immobilier destiné à « moderniser » la ville de Cluj (autrement dit, à enrichir une poignée de promoteurs), l’homme est confronté à une procédure d’expulsion conduite par Orsolya (Eszter Tompa), une huissière de justice accompagnée de gendarmes pour l’occasion. L’intrusion dans les lieux provoque le suicide de l’occupant. Cette entrée en matière radicale installe la tension constitutive du film : derrière la neutralité bureaucratique d’un acte administratif se cache la violence structurelle d’un système socio-économique.

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Le changement narratif qui survient alors est significatif. Le récit, qui semblait emprunt de codes du naturalisme, se déplace vers l’exploration de la psyché d’Orsolya, soudainement envahie par un sentiment de culpabilité. Cette bascule traduit le choix du cinéaste de substituer à la logique descriptive une perspective plus métaphorique, celle de la fable ou du conte puisque la trajectoire individuelle d’Orsolya fonctionne comme une parabole. Orsolya, loin d’être présentée comme une criminelle, se découvre complice d’une mécanique qui banalise les inégalités et qui la place, malgré elle, du côté des bourreaux. Le film met en scène la difficulté de « vivre avec » ou de « composer avec » : avec sa conscience, avec sa perception du réel, avec les arrangements qu’impose la survie morale, etc. La culpabilité devient ainsi le support d’un discours par lequel s’expriment les contradictions d’une classe moyenne sommée de servir les puissants sans jamais bénéficier de la prospérité produite.

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Le personnage d’Orsolya se construit dès lors comme une figure archétypale. Elle incarne ces agents intermédiaires sans lesquels aucun pouvoir ne pourrait durablement s’exercer. Dans cette perspective, Kontinental ’25 ne propose pas une thèse idéologique explicite mais privilégie l’observation d’un cas singulier où l’expérience subjective devient un moyen pour questionner la structure sociale. Radu Jude choisit d’examiner la manière dont un individu en vient à percevoir son rôle dans l’installation et le maintien d’un ordre inégalitaire.

Enfin, l’économie de moyens revendiquée participe pleinement de l’esthétique du film. Tourné en très peu de temps (une dizaine de jours), sans machinerie ni dispositif lumineux, et s’appuyant exclusivement sur les décors naturels et la parole, Kontinental ’25 s’inscrit dans une tradition néoréaliste où la pauvreté matérielle s’indexe au sujet traité. Le caractère brut de l’image entre en cohérence avec le propos : rendre visible la réalité sociale dans son âpreté, sans fard ni embellissement. Ce choix formalise l’idée que la dimension politique du cinéma peut résider moins dans le discours que dans la relation de stricte adéquation entre sujet et forme.

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Ainsi, loin de délivrer une dénonciation frontale, Radu Jude met en scène la contradiction elle-même. Kontinental ’25 invite le spectateur à réfléchir à sa propre position de témoin, face à l’ambivalence d’une culpabilité à la fois individuelle et systémique. Le film s’affirme alors comme une parabole contemporaine, où l’expérience intime devient le révélateur des structures collectives et où le cinéma, par sa pauvreté assumée de moyens, atteint une densité réflexive singulière.

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Crédit photographique : © Météore Films

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