Splitscreen-review Image de la rétrospective Si Guitry m'était conté

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Si Guitry m'était conté

Publié par - 6 novembre 2025

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Après Le génie Guitry, une rétrospective composée de 11 films sortis en 2023, Les Acacias prolonge cet hommage avec la sortie en salle, le 5 novembre, de sept nouveaux films du cinéaste. Si Guitry m’était conté, la rétrospective qui nous occupe ici, se distingue par une attention particulière à l’un des axes majeurs de l’œuvre, celui de la fresque historique, assumée comme un plaisir coupable, tant ces films relèvent, presque tous, d’un goût revendiqué pour l’affabulation. S’il existe aujourd’hui un consensus critique autour des films de Sacha Guitry, il ne faut pas oublier que l’auteur a longtemps divisé la critique, voire le public. Il a fallu la ténacité de Jacques Lourcelles et quelques textes enflammés de François Truffaut pour que l’on commence à considérer Guitry autrement, c’est-à-dire hors du prisme politique et au-delà des idées reçues sur la supposée théâtralité de ses films.

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Remontons les Champs-Élysées ©Gaumont

Le politique, justement, se distingue dans la rétrospective qui nous est proposée aujourd’hui dans la mesure où l’absence de regard analytique sur les événements filmés, donc avant tout relatés comme des badinages de l’esprit, fut un premier point d’achoppement entre Guitry et l’amateur de cinéma. Ce qui intéresse Guitry, bien avant le cinéma, c’est l’art du récit et les possibilités narratives offertes par le langage parlé. Là se situe d’ailleurs un autre élément qui embarrasse les observateurs réticents à Guitry. Nous évoquons bien sûr ici des critiques qui ne considèrent l’art cinématographique que par le prisme d’une exploration syntaxique des techniques de filmage. Et pourtant. Prétendre que Guitry n’est pas un metteur en scène de cinéma relève plus d’un aveuglement dicté par la volonté de ranger Guitry dans une catégorie de cinéastes que d’une observation méthodique de l’œuvre. Revoir les films de Guitry aujourd’hui permet au contraire de mesurer combien il s’est amusé des résistances que le cinéma opposait à ses intentions.

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Les perles de la couronne ©Gaumont

S’il faut concéder aux détracteurs que le cinéma de Guitry repose avant tout sur le texte, sans doute est-il pertinent de s’interroger sur les raisons de ce postulat initial et de vérifier ensuite comment le cinéma s’accommode ou non de cette hypothèse. Car Guitry, en intellectuel appliqué, construit une œuvre fondée essentiellement sur le rapport qui existe entre le son et l’image. Le verbe, les mots, les sons règnent dans le cinéma d’un artiste élevé dans la certitude que le théâtre est un art suprême dans la mesure où il essentialise le réel. Fort de ses expériences théâtrales (début de metteur en scène au tout début du XXème siècle), réticent au cinéma, Guitry devra patienter jusqu’à l’enregistrement synchrone du son et de l’image pour trouver comment exploiter les possibilités offertes par le septième art.

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Quadrille ©Gaumont

Guitry comprend alors, il n’est pas le premier, que la caméra est une audience équivalente au public d’un théâtre. Alors il s’ingénie à imposer le son, le texte, le monologue ou le dialogue, le déplacement spatial du comédien comme motifs premiers de son œuvre. De fait, la mise en scène chez Guitry sera un support à la mise en évidence de la portée du texte et du jeu des comédiens. Et ce n’est pas parce que le texte prime que la mise en scène est absente, ce n’est pas parce que le verbe est relevé par la caméra et / ou le découpage que la réalisation est délaissée, bien au contraire. Car si les mots sont aussi prégnants dans le cinéma de Guitry, c’est parce qu’ils sont portés par une mise en scène discrète, donc d’autant plus maîtrisée.

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La Malibran ©PathéFilms

Ainsi, loin de réduire l’image à une fonction d’accompagnement, Guitry organise une véritable dynamique entre le visible et le verbal. L’un des traits les plus singuliers de son cinéma tient en effet à l’usage systématique d’une distanciation qui dissocie, parfois frontalement, ce que les mots énoncent de ce que l’image donne à percevoir. Il n’est pas rare que le commentaire contredise la scène ou que le plan déjoue les attentes suscitées par le discours.

Cette démarche ne relève ni d’une maladresse ni d’un effet de style gratuit. Elle procède d’une volonté délibérée d’éviter toute forme d’illustration mécanique. Guitry redoute un cinéma qui se contenterait de visualiser un texte. Son cinéma s’attache donc au contraire à mettre en œuvre une interaction dialectique entre parole et image. De cette disjonction naît une circulation du sens dans laquelle l’image ne confirme pas le discours mais en devient presque une mise à l’épreuve. Loin d’assujettir le film au théâtre, cette méthode témoigne au contraire d’une conscience aiguë, même si intuitive, du médium cinématographique et de ses capacités propres à révéler, déplacer ou fissurer la parole.

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Deburau ©PathéFilms

Revoir aujourd’hui l’œuvre filmée de Sacha Guitry, à l’occasion de cette nouvelle rétrospective, c’est mesurer la logique cohérente d’un artiste trop longtemps réduit à des procès d’intention ou à des approximations critiques. Loin d’un cinéma purement littéraire, Guitry explore, avec une inventivité constante, la manière dont l’image peut accueillir, détourner ou contredire la parole. Cette approche singulière révèle une pensée du cinéma attentive à ses moyens spécifiques mais aussi à sa capacité de faire du récit un espace de jeu, d’ambiguïté et de circulation du sens.
Ce nouveau cycle permet ainsi de redécouvrir un cinéaste qui ne se contente ni d’illustrer l’histoire ni d’adapter le théâtre mais qui élabore une poésie du langage filmé. Que l’on goûte sa malice ou que l’on s’étonne encore de ses libertés, l’expérience demeure salutaire : celle d’un regard singulier, libre et profondément conscient de ce que le cinéma peut faire aux mots et de ce que les mots font aux images. À ce titre, Guitry appartient pleinement au cinéma, non par défaut, mais par excès.

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Si Versailles m'était conté ©EditionsRenéChateau-Studio-TF1

 

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