Splitscreen-review Image de Dossier 137 de Dominik Moll

Accueil > Cinéma > Dossier 137

Dossier 137

Publié par - 19 novembre 2025

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Après La nuit du 12, Dominik Moll poursuit son exploration des rouages de l’institution policière avec Dossier 137, cette fois en se concentrant sur l’IGPN, la police des polices. Invisible mais redoutée, l'IGPN cristallise le jugement des collègues, de la population et des médias. Moll ne cherche pas à juger, mais à observer l’humain derrière la fonction. Il scrute les hésitations, les gestes, les silences, ces moments où la rigueur de la procédure masque la fragilité de ceux qui l’exécutent. Ainsi, le cinéaste ne dissimule rien de ses intentions : comprendre comment des membres des forces de l’ordre parviennent à naviguer dans cet équilibre instable en tentant d’exercer leur métier au mieux malgré l’hostilité ambiante.

Le récit s’articule autour d’événements survenus lors d’une manifestation des Gilets jaunes. Un jeune homme quitte sa province pour venir à Paris pour la première fois. Pour manifester, certes, mais aussi pour voir Paris. Lors de la manifestation, il sera gravement blessé au visage par un tir de LBD. Le film est une étude de cas qui contribue à révéler quelques motivations latentes du mouvement contestataire de l’époque : le lien entre les fractures sociales et les fractures géographiques du pays. Les rues où se déroulent les affrontements ne sont jamais neutres : ce sont des espaces étrangers aux individus qui s’y trouvent, les manifestants comme les policiers. Manifester, pour Moll, devient un acte de réappropriation spatiale et symbolique, un droit à occuper des espaces inconnus.

Splitscreen-review Image de Dossier 137 de Dominik Moll

Léa Drucker incarne Stéphanie, l’enquêtrice chargée de faire la lumière sur les circonstances du drame. Dans le jeu de la comédienne se matérialisent avec une intensité subtile toutes les tensions dramaturgiques. Le moindre tressaillement de son regard, chaque crispation corporelle compensent l’absence d’affect de sa parole procédurière et inspirent au spectateur la confiance que ses collègues lui refusent. À travers elle, Moll explore aussi le fonctionnement interne de l’IGPN : témoignages divergents, vidéos, contradictions des récits. Le suspense se construit méthodiquement, presque de manière irréfutable. Nous est ainsi donné à concevoir au fil des séquences que la résolution du dossier reposera autant sur l’observation humaine que sur la procédure.

Mais Dossier 137 ne se limite pas à un récit policier. Il pose des questions sociales et politiques avec pour objet central la violence, qu’elle soit légitime ou illégitime. Le film interroge ainsi notre rapport à la démocratie et le rôle de l’État dans le maintien de l’ordre public. Moll effleure, par touches impressionnistes, des questions essentielles : de quel danger parle-t-on alors que nous évoquons les manifestations ? Où commence la violence illégitime d’un état ? Comment mesurer ses limites dans la réalité ? Dossier 137 sort donc du cadre policier et rappelle Max Weber : si l’État peut user de la force pour protéger le bien commun, il reste soumis au regard critique de ceux qu’il prétend servir. Et c’est heureux.

Splitscreen-review Image de Dossier 137 de Dominik Moll

Le film souligne également la fragilité du système face à des événements répétés et mal anticipés. Les policiers, souvent peu, pas ou mal formés, affrontent des situations qui mettent en lumière l’inquiétude d’un pouvoir dépassé par un mouvement social d’ampleur et possiblement révolutionnaire comme celui des Gilets jaunes. Moll restitue cette tension avec précision : les faits sont là mais leur interprétation varie selon les individus et la hiérarchie. La vérité devient une construction fragile, mouvante, dépendante du contexte et toujours suspendue aux perceptions et aux choix des acteurs, quels qu’ils soient.

Finalement, Dossier 137 interroge notre regard sur les institutions et sur ceux qui les servent. Moll ne se contente pas d’observer la police : il questionne la légitimité de la violence, la responsabilité. Entre minutie du suspense et méditation sociale, le film devient un miroir tendu au spectateur : derrière chaque fonction, il y a un humain, parfois fragile, confronté aux limites de sa mission et aux paradoxes de la société. Moll rappelle que l’ordre n’est jamais neutre, qu’il se négocie, se mesure et qu’il exige autant d’attention que de lucidité.

Splitscreen-review Image de Dossier 137 de Dominik Moll

Crédit photographique : ©FannyDeGouville

Partager