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Vice

Publié par - 18 février 2019

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

Quand on découvre que le titre du dernier film d’Adam McKay se nomme Vice, on peut s’estimer heureux que la langue française partage un lexique conséquent avec l’anglais ainsi que certaines subtilités langagières. « Vice », au regard du sujet de l’œuvre, peut être le préfixe de « vice-président », la fonction occupée par Dick Cheney, sujet principal du film, sous la présidence George W. Bush de 2000 à 2008. Mais lorsqu’il est un terme autonome, « vice » signifie la disposition d’une personne au mal. Sans conclusion hâtive, on peut vite supposer que le film jouera de cette ambiguïté entre ce qui est montré, ce qui est révélé et ce qui est suggéré.

 

Vice s’ouvre sur deux séquences mises en parallèle. Se juxtaposent deux temps, deux images du personnage. Il y a, d’un côté, une peinture de Dick Cheney, en 1963, vivant au fin fond du Wyoming sans jamais s’intéresser à la politique et qui passe son temps à boire et à se bagarrer. Puis, de l’autre côté, il y a Dick Cheney, en 2001, vice-président des États-Unis qui descend dans la Situation Room à la suite des attentats du 11 Septembre. Bien que très différents, ces deux événements furent un tournant dans la carrière de Cheney. Vice se construit sur ces deux grandes parties : l’ascension, puis le règne.

 

Dans la première partie, Cheney est un homme silencieux. Il est très loin d’être un technocrate mais il sait exécuter les ordres sans poser de questions. Il sait suivre les bonnes personnes comme, par exemple, Donald Rumsfeld (Steve Carell). Plutôt que les idéaux, c’est rapidement le goût du pouvoir qui devient la motivation et le moteur de Cheney. Une scène est éloquente en la matière. Cheney et Rumsfeld contemplent la porte d’un bureau derrière laquelle Nixon et Kissinger discutent de l’opération « Menu ». La séquence alterne entre des plans de civils cambodgiens qui se font bombarder et des plans sur Cheney littéralement en extase lorsqu’il réalise ce qu’est réellement le pouvoir exécutif. À la suite du scandale du Watergate, on peut suivre, au travers de Cheney, la mutation du parti Républicain. D’abord il y a cette inclinaison pour le libéralisme des « Reaganomics ». Puis viendra la vague émergente néoconservatrice des années 90 qui s’érige en parallèle de l’administration Clinton. L’apogée de cette tendance se matérialisera avec l’élection de George W. Bush à la présidence et de Cheney à la vice-présidence. Nous sommes alors dans la seconde partie du film, celle où les États-Unis entrent en guerre contre le terrorisme et prennent des mesures encore controversées à ce jour (Irak, Guantanamo…). Ces actes, attribués pour la plupart à Bush, la figure de proue de l’administration en place, relevaient en réalité, ce que nous expose Vice, d’une stratégie dictée par le véritable cerveau du pouvoir américain de l’époque.

 

Adam McKay, avec Vice, apporte un nouveau chapitre à sa trilogie du “What the holy hell is going on”, (démarrée en 2015 avec The Big Short). Il s’agit de conduire une réflexion sur un état du monde d'aujourd'hui. Avec ce travail, McKay, à la manière d’Eastwood, initie une étude en profondeur des maux qui régissent nos sociétés contemporaines. Pour cela, il s’évertue à interroger le passé pour tenter de mieux saisir les origines du Mal, pour comprendre ce qui n’a pas fonctionné. Ce principe d’investigation sur les travers de nos sociétés occidentales est sans doute lié aux motivations professionnelles premières de McKay. Avant d’être le réalisateur fétiche du Saturday Night Live, McKay a commencé sa carrière aux côtés de Michael Moore, réalisateur reconnu pour son cinéma militant. À la différence de ce dernier, McKay préfère l’usage du biopic-fiction au documentaire et favorise un discours plus périphérique aux interventions frontales : la satire.

Comme une synthèse des précédentes productions de McKay, Vice porte à la fois un regard tragique sur le cours de l’Histoire (« comment en sommes-nous arrivés là ? ») et use d’un humour corrosif pour caractériser nos sociétés. Michael Moore ausculte les faits officiels, tels que présentés à l’Américain moyen par la télévision. Mc Kay, lui, se propose de visiter les coulisses du pouvoir, là où tout se joue, comme en témoigne la discussion déjà évoquée entre Nixon et Kissinger. McKay fait le pari de filmer ce qui reste protégé par les murs de la Maison Blanche. Il rejoint, avec Vice, l’idée qu’une fiction peut bien mieux éclairer le public sur les réalités du monde qu’un document emprunté à une réalité qui, lui, ne sera qu’un fragment du réel montré.

 

Si les faits politiques relatés sont argumentés par des images d’archives qui contribuent à leur conférer une certaine véracité (on pense notamment aux discours de certains politiciens quant à l’intervention en Irak à la suite de suspicions de fabrication et de détention d’armes chimiques), il en est tout autrement de l’approche des personnalités. George W. Bush (Sam Rockwell) est peint comme un imbécile qui ne cherche qu’à impressionner son père. Le portrait « caricatural » (sens littéral du terme) fait de l’ancien Président sert à souligner non seulement son incompétence en période de crise, mais, surtout, insiste sur le pouvoir exceptionnel que Cheney eut au sein de l’exécutif. Cheney est présenté comme un homme de l’ombre qui a su s’entourer des bons interlocuteurs au bon moment pour placer sous son influence toutes les institutions du pays. Les digressions narratives du film, présentes sous la forme d’un narrateur extérieur ou d’inserts relatifs à la pêche, traduisent ce qui demeure inconnu de la personnalité de Cheney et de son ascension vers le pouvoir. On prendra pour exemple la scène (présente dans la bande-annonce) de Cheney qui négocie avec Bush sa candidature à la vice-présidence. La discussion entre les deux hommes est agrémentée d’inserts sous forme de gros plans sur des hameçons en attente d’être happés par leur proie. Le montage est efficace et il participe à une certaine dynamisation intellectuelle que n’aurait pas reniée Eisenstein.

On notera, pour conclure, l’excellence de la distribution. Christian Bale, dans le rôle principal, métamorphose une fois de plus son corps pour ressembler au politicien, tout en travaillant un certain nombre d’expressions faciales propres à l’original. À noter également la prestation d’Amy Adams dans le rôle de Lynn Cheney, première et éternelle alliée de son mari. Vice révèle d’ailleurs le rôle crucial qu’elle a tenu dans l’avènement politique de son époux et dans les choix de carrière de ce dernier. Quand on compare le couple Cheney au couple des Underwood dans House of Cards, on constate que la fiction et la réalité coïncident. Il convient de se souvenir cependant que le couple Cheney n’a rien de fictionnel et fut, un temps, au firmament de la scène politique…

 

© Annapurna Pictures ©Universum Film

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