Disney n'en finit plus de revisiter ses classiques (Cendrillon, La belle et la Bête, Le livre de la jungle...). C'est désormais au tour de Dumbo, film d’animation sorti en 1941, de bénéficier d'une relecture qui associe différentes techniques filmiques. Pour conduire le projet, Tim Burton, qui avait déjà signé l’adaptation d’Alice au pays des merveilles en 2010, a été choisi. Le cinéaste avait éprouvé les pires difficultés, en 2010, à conjuguer son univers avec le cahier des charges fixé par Disney. Aussi étions-nous curieux de voir si la greffe, cette fois, prendrait ou non.
Le choix de Burton à la réalisation du projet est assez cohérent. Dumbo, petit éléphant à la fois exclu et acclamé, est un personnage qui coïncide avec les problématiques habituelles du réalisateur. La marginalisation du personnage principal est voisine de celle observée dans Edward aux mains d’argent, Ed Wood ou encore avec celle de Willy Wonka dans Charlie et la Chocolaterie. Dumbo, comme les personnages des films évoqués ci-avant, n'est accepté par la microsociété qui l'accueille que s'il se plie au rôle que l'on veut bien lui confier. Ici, Dumbo est un bouffon, un phénomène, une anomalie de la nature qui, dans son développement, rappelle John Merrick, célèbre pour ses difformités qui lui octroyèrent le surnom d'Elephant Man. Dumbo, lui, est né dans un cirque et il est munie de trop grandes oreilles. Cette disproportion grotesque le confine dans un rôle particulier : on le grime en clown et le public le ridiculise.
Autre thématique convergente entre l'histoire de cet éléphanteau et le cinéma de Burton : l'enfance. Pas n'importe laquelle puisque dans nombre de films de Burton, l'enfance est un état de l'évolution identitaire qui demeure incompris (Vincent, Frankenweenie) ou bien victimisée, dans une approche à la Dickens, par une société gagnée par d'autres préoccupations (Charlie et la Chocolaterie, Miss Peregrine et les enfants particuliers).
Dumbo réunit ces deux qualités puisque l’éléphant a été séparé de sa mère à des fins lucratives. Il trouve un certain réconfort affectif auprès de deux enfants, Joe et Milly Farrier, tous deux également orphelins de mère. Ils travaillent dans le cirque avec leur père et ce sont eux qui découvrent que Dumbo peut voler grâce à ses grandes oreilles. Les deux enfants et leur père vont tenter d'agir pour permettre à Dumbo de réaliser ce qui leur est impossible : retrouver sa mère.
Comme souvent chez Tim Burton, le bonheur n'est accessible que si les protagonistes se laissent glisser dans un univers imaginaire afin que ce dernier puisse contaminer le réel. Le processus à l’œuvre ici était déjà celui qui irriguait Big Fish ou même Sweeney Todd. La mise en scène se nourrit d'ailleurs des mêmes artifices : la musique de Danny Elfman (sauf bien sûr dans le cas de Sweeney Todd puisque le film réinterprète la comédie musicale de Steven Sondheim), utilisation de couleurs hautement saturées présentes dans un halo de lumière vaporeuse pour coller à la fois à une dimension fantasque et, en même temps, pour permettre de naviguer entre passé et présent ou entre réel et imaginaire.
Esthétiquement, le film convoque quelques singularités chères à Tim Burton. C'est le cas par exemple pour les rayures et les spirales noires qui font irruption dans la 2ème partie du film lorsque Dumbo est envoyé dans Dreamland, un parc d’attraction créé par VA Vandevere (Michael Keaton), où le ton devient beaucoup plus sombre. Vandevere est un magnat du spectacle qui souhaite faire de Dumbo la star de son parc. Le lieu ressemble étrangement à un parc Disney peuplé de ses danseurs synchronisés et des hordes de spectateurs faisant la queue pour assister aux différents spectacles proposés.
Tim Burton ajoute au propos initial des questions contemporaines quant à la souffrance animale ou encore à la condition féminine : est-il encore possible d’exploiter les animaux pour nous divertir ? Dumbo s’oppose ici très clairement à la captivité des animaux dans les cirques.
Burton suit le même cheminement intentionnel que pour Alice au pays des merveilles. Le cinéaste décide de rompre avec le modèle original dicté par le film d’animation de Walt Disney pour moderniser le récit et actualiser le propos. Le film est plus ténébreux, plus tragique. Dumbo se concentre sur l'humain et plus particulièrement sur des enfants contrairement au film de 1941 qui, lui, organisait sa narration autour de figures animales qui étaient "humanisées". Dumbo n'est sans doute pas le plus grand film du monde mais il a au moins deux mérites notoires : d'abord prolonger le dialogue entre l'auteur et ses obsessions esthétiques et thématiques et, ensuite, réussir l'intégration au récit d'éléments représentatifs d'inquiétudes qui habitent (qu'on le veuille ou non) l'enfance depuis toujours (disparition des parents, peur de grandir, constat de la différence, etc.).
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