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Rockstar et l'utilisation de la représentation cinématographique du criminel
Publié par Simon Chatelus - 29 avril 2019
Catégorie(s): Jeux vidéo
Rockstar n'a de cesse d'emprunter à l'imagerie cinématographique et à sa manière de représenter la figure du criminel américain pour caractériser ses personnages tant dans les jeux que le studio développe que dans ceux qu'il décide d'éditer. Il en ressort une vision fantasmée et fabriquée de la société américaine et des gangsters qui la peuplent. Ce type de représentations structure, dès le début, l’œuvre du studio BMG Intractive devenu Rockstar à la suite de son rachat par l'éditeur Take Two.
Les développeurs explorent, dans chacun de leurs jeux, une histoire chimérique des États-Unis. L'un des matériaux de base de cette relecture historique se matérialise avec la figure du hors-la-loi qui habitait le Far West. En 2010, le studio signe Red Dead Redemption. Il s'agissait d'une suite à Red Dead Revolver qui avait été récupéré à la fin de son développement après que Capcom a abandonné le titre.
Red Dead Redemption, premier du nom, représente un nouveau défi pour le studio. Car il était ici question d'adapter la mythologie du western (le fondement mythologique de la culture américaine) au médium vidéoludique. Rockstar décide cependant de proposer une histoire qui se situe au crépuscule de la conquête de l'Ouest à une époque où la révolution industrielle a déjà commencé son œuvre (l'une des premières cinématiques du jeu emprunte largement à un célèbre plan de La porte du Paradis de Michael Cimino alors que le jeu dans son ensemble parcourt l'histoire du western en citant explicitement nombre de films et de cinéastes incontournables). Nous savons d'emblée que l'utopie d'une civilisation nouvelle et pure n'est plus d'actualité. Les cow-boys comme les shérifs sont en voie d'extinction et laissent place petit à petit aux gangsters et aux agents fédéraux. Ce postulat est à contre-courant du reste de la production de westerns vidéoludiques jusqu'alors et notamment de la série Call of Juarez qui gardait comme moteur de l'intrigue cette idée de voyage utopique vers l'Ouest...
Red Dead Redemption nous conte l'histoire d'un bandit repenti obligé de traquer ses anciens camarades de basses besognes sous l'autorité du FBI. Le personnage de John Martson s'inscrit dans un schéma qui s'indexe sur une ascension morale synonyme de sociabilisation : il suit les ordres du FBI (la loi) et prend du temps pour prendre soin de sa famille. Mais les fantômes du passé finiront par le rattraper. Sa mort semble alors inévitable s'il veut préserver sa famille de la violence du monde et des gangsters. Le cow-boy épouse ainsi une trajectoire proche des personnages des films de Martin Scorsese. En effet, par son désir de retrouver une vie simple, en famille loin du banditisme, il tente de se soustraire au Mal qui habite le monde et suit un cheminement qui s'apparente à une élévation morale (selon les codes américains). Celle-ci est cependant très vite remise en question par ses obligations pour le FBI. On assiste alors à une altération de la morale que le personnage semblait adopter. Le rachat de sa personne passera par l'effacement de soi, par l'acceptation d'une rédemption. Cette trajectoire forme alors la destinée d'une société où règne la loi du Talion et où, par conséquence, le bandit est roi. Il devient une icône, un modèle à suivre pour survivre. Tout est permis, même pour rendre la justice. Ainsi John Martson, bien que du bon côté de la barrière, est et restera un criminel, obligé de tuer ses adversaires, quels qu'ils soient. Ce schéma narratif est une figure récurrente du western post-années 1980 et nous en trouvons une des traces les plus éclatantes dans Impitoyable de Clint Eastwood.
Les règles qui régissent l'univers de Red Dead Redemption sont directement héritées de la série emblématique de Rockstar, Grand Theft Auto. Une suite de jeux qui n'est pas en reste quant aux inspirations cinématographiques. Ainsi le quatrième épisode des GTA's est une réécriture du rêve américain. Le joueur incarne Niko Bellic, émigrant serbe qui s'est vu promettre monts et merveilles par son cousin Roman. La désillusion est grande quand Niko s'aperçoit des mensonges de son cousin. Mais c'est aussi une histoire de vengeance, celle de Niko contre un ancien camarade d'armée. Le personnage se fond dans les rues de Liberty City, ville fictive singeant New-York jusqu'à parodier la statue de la Liberté (dans le jeu elle se transforme en statue de l'hilarité). Bellic rejoint la mafia : violence, drogue, trahison... constituent son quotidien. Il gravit les échelons de l'organisation avant de chuter brutalement, trahi par une partie de son entourage. On retrouve une fois encore un schéma d'ascension et de déclin scorsesien. Niko Bellic croit au rêve américain, son émigration est, pour lui, la garantie d'une élévation (au moins sociale). Mais celle-ci est contredite par deux facteurs : son envie de vengeance et l'obligation de faire partie de la pègre pour avoir l'illusion d'accéder au rêve américain. À noter cependant que le choix de la rédemption est, ici, laissé au joueur ; celui-ci aura à décider s'il emprunte ou non la voie de la vengeance.
Scorsese n'est pas le seul cinéaste dont l’œuvre transparaît dans la mise en image de la criminalité par Rockstar. En effet, GTA Vice City s'inspire très largement de Scarface de Brian De Palma. Le jeu reprend l'imagerie du gangstérisme et du trafic de drogue développée par le film. Le jeu se passe en 1986 dans Vice City, ville calquée sur celle de Miami où se déroule l'action de Scarface. Tommy Vercetti, personnage du jeu, sort de 15 ans de prison et reprend du service au sein de la mafia locale. Celui-ci, par ses vêtements, rappelle Tony Montana. Tous deux portent des costumes et des chemises extravagants, colorés, typiques des années 80's. Le jeu va jusqu'à mettre en scène un manoir similaire à celui du film, en particulier la salle de vidéosurveillance. Mais De Palma n'est pas le seul réalisateur dont l'influence se fait sentir. Le jeu s'ouvre sur une scène où trois mafieux discutent autour d'une table qui rappelle le début de Reservoir Dogs de Tarantino. Le jeu présente alors une vision d'un criminel américain sûr de lui, aspirant à devenir le maître du monde à l'instar de ceux des films de De Palma et de Tarantino.
Ces trois jeux ne sont que trois exemples de la réutilisation du matériel filmique par Rockstar mais ils mettent en lumière la virtuosité en la matière du studio. Celui-ci s'évertue à donner une vision panoramique et intemporelle de la figure du criminel. On aurait pu citer de nombreux autres jeux comme GTA San Andreas ou The Warrior (adaptation du film éponyme) qui traitent, entre autres, de la question des gangs. Nous aurions pu évoquer également l'édition de L.A. Noire qui fait la part belle au Film Noir, à Manhunt qui reprend à son compte la figure du psychopathe des Slashers...
La "ludographie" du studio des frères Houser offre l'occasion aux joueurs d'expérimenter les différents visages du gangster mythifié par le cinéma américain. Le joueur incarne et embrasse alors les multiples traumatismes perceptibles dans la société américaine et cultivés par son cinéma. Les jeux Rockstar, tous à leur façon, permettent aux gangsters qu'ils mettent en scène d'épouser des modèles comportements puisés dans l'histoire du cinéma américain. Cela se vérifie de la martyrologie développée dans les films des années vingt/ trente (Les nuits de Chicago de Joseph Von Sternberg, Public Enemy de William Wellman) aux pathologies plus complexes qui se déploient dans des œuvres plus récentes. Le media vidéoludique offre alors tout le nuancier de représentation du bandit américain et de la société dans laquelle il évolue.
Crédits Images :©Rockstar Games