L’édition 2019 du Festival de Cannes s’ouvre avec le nouveau film de Jim Jarmusch, un habitué de la Croisette. The Dead Don’t Die raconte l’histoire d’une bourgade reculée des États-Unis, Centerville, dans laquelle les habitants sont témoins d’une apocalypse zombie qui fait suite à un dérèglement climatique qui a modifié l’axe de rotation de la Terre.
Dans la continuité de Dead Man, avec le western, et d’Only Lovers Left Alive, avec les vampires, The Dead Don’t Die explore un genre populaire tout en y apportant la touche personnelle du cinéaste. Sans surprise, ce sont des personnages marginaux, désabusés, qui découvrent sans grande panique la catastrophe à laquelle ils sont confrontés. On pourra, par exemple, noter l’usage du comique de répétition qui irrigue les scènes dans lesquelles les policiers réagissent de la même manière à la découverte des victimes, les unes après les autres, dans des plans étrangement identiques. La stagnation est aussi présente dans les dialogues avec le personnage de Ronald Peterson (Adam Driver) qui répète avec le même flegme la phrase « ça va mal finir » tout au long de la trame.
The Dead Don’t Die se plaît à mettre en parallèle des éléments visuels qui appartiennent aux codes du film de zombies pour s’en détourner ironiquement dans la séquence qui suit. De nombreuses références sont faites aux premiers films qui ont posé les bases du genre. On songe inévitablement à La Nuit des Morts Vivants de George Romero. Ainsi, on ne sera pas surpris de voir des jeunes conduire une Pontiac Lemans de 1968. On ne s’étonnera nullement que les premiers morts qui sortent de leurs tombes… sont des beatniks. Cette part nostalgique est très vite mise à distance par la logique du cinéma de Jarmush qui travaille depuis toujours la question de la déréliction. D’un point de vue factuel, le temps se contracte pour mieux souligner ses circonvolutions mélancoliques lorsque l’on voit les policiers au volant de Smart et de Prius, et que, outre la chair humaine, les zombies sont attirés par ce qui était leur addiction de leur vivant, que ce soient le café, les outils ou le wifi.
Par cette superposition de ce qui est codifié et ce qui ne l’est pas, Jarmusch renoue avec le caractère dénonciateur qu'ont les films de Romero. Tandis que ce dernier posait un regard critique sur les États-Unis des années 60 (guerre du Vietnam, lutte pour les droits civiques), The Dead Don’t Die constitue en soi une critique de la société américaine contemporaine. Celle de Trump. Une Amérique climatosceptique et perdue dans un matérialisme outrancier. Cette vision caricaturale de l’Amérique est incarnée par le fermier Miller (Steve Buscemi), qui se rit des dérèglements climatiques et est ouvertement raciste et … porte une casquette rouge. Parallèlement, l’autre Amérique, plus critique, s’incarne dans le personnage marginal d’Hermit Bob (Tom Waits) qui, comme son nom l’indique, vit seul et isolé dans la forêt pour mieux y observer les événements tout en y apportant ses commentaires.
Quand on considère la filmographie de Jim Jarmusch et que l’on voit The Dead Don’t Die, il apparaît que ce dernier ne compte pas parmi les plus franches réussites du cinéaste. Certes, les aficionados de Jarmusch remarqueront les diverses marques propres à l’auteur. À commencer par le choix bien réfléchi d’acteurs désormais habitués (Tilda Swinton, Bill Murray, Adam Driver, Steve Buscemi…) qui participent grandement à la qualité de The Dead Don’t Die par leur justesse d’interprétation ; la composition musicale du groupe de rock psychédélique SQÜRL (dont fait partie Jarmusch), ainsi que les petites références culturelles disséminées dans le décor.
Néanmoins, dans les films précédents, ces références culturelles restaient périphériques, comme des petits clins d’œil directs du cinéaste au spectateur. On pensera aux multiples mentions de la bobine Tesla ou aux énigmes convoquées par les œuvres de William Shakespeare et Christopher Marlowe dans Only Lovers Left Alive. Dans The Dead Don’t Die le clin d’œil est moins implicite voire même très explicite. Les gags méta-textuels s’érigent comme un mur entre le film et le spectateur comme pour nous indiquer qu’il faut rester à distance du récit et se concentrer sur l’urgence environnementale.
Jusque-là, on peut supposer que les intentions du cinéaste sont établies et assumées. En revanche, cela devient regrettable lorsque les propos d’Hermit Bob ponctuent ce qui avait déjà été exprimé par l’image comme lorsque Bob l’ermite découvre dans la nature une copie de Moby Dick d’Herman Melville, parabole de l’orgueil humain face à la toute puissance de la nature. Peut-être que, par souci de voir son message atteindre le plus grand nombre avec un film de genre populaire, le cinéaste a préféré sacrifier la subtilité pour le bien commun… un moindre mal ?
Crédit photo : © Image Eleven Productions, Inc. / Abbot Genser / Focus Features / Universal Pictures