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Les 50 ans des Rencontres d’Arles
Publié par Clémence Fournier - 11 août 2019
Catégorie(s): Expositions / Festivals, Photo
Créé en 1970 à l’initiative du photographe Lucien Clergue, du conservateur Jean-Maurice Rouquette et de l’écrivain Michel Tournier, le festival de photographie arlésien s’offre pour son 50e anniversaire une programmation exceptionnelle de 50 expositions.
Se réinventant sans cesse, les Rencontres d’Arles sont devenues le rendez-vous incontournable de la photographie. Pour son anniversaire, un hommage est rendu à la manifestation et à son histoire, avec des images d’archives et la mise en lumière du travail de l’un de ses fondateurs. Des grands classiques de l’histoire de la photographie sont exposés, sans pour autant faire de l’ombre à la création contemporaine et à la présentation d’œuvres méconnues.
L’événement laisse cette année un peu plus de place aux femmes en nous proposant, entre autres, un voyage dans le New York de Helen Levitt, la Tchécoslovaquie de Libuše Jarcovjáková, les ports maritimes de Evangelia Kranioti, les laboratoires de recherche météorologique de Marina Gadonneix.
Nous (re)découvrons l’univers des années 80 avec l’agitation de la Movida espagnole, les corps impatients de l’Allemagne de l’Est et les intérieurs des maisons britanniques.
Le rapport à l’environnement est abordé dans l’exposition Datazone de Philippe Chancel, qui part en exploration des sites sensibles de notre planète, ou dans Sur Terre, qui met en relation la nature, l’image et la technologie.
Également, les questions sociétales sont évoquées par Mohamed Bourouissa qui interroge la circulation de l’argent et la place des plus démunis dans notre société. Émeric Lhuisset approche quant à lui subtilement le thème des conflits géopolitiques dans Quand les nuages parleront, en invitant le visiteur à dialoguer avec des images sur fond de guerre.
Mais les Rencontres 2019 c’est aussi l’immersion dans une autre photographie, celle qui s’apparente à l’art brut, produite en dehors des procédés photographiques traditionnels, ou encore celle de la recherche scientifique, réalisée dans le cadre de l’innovation et du développement industriel au début du XXe siècle.
Helen Lewitt, Observatrice des rues new-yorkaises, Espace Van Gogh
Première rétrospective de Helen Levitt à Arles, l’exposition invite à découvrir différentes scènes de rue de New York, retraçant la carrière photographique de l’artiste des années 1930 jusqu’aux années 1970.
La plupart des sujets photographiés par Helen Levitt sont des enfants pour qui la rue est un terrain de jeu. La photographe montre également la diversité ethnique des populations des différents quartiers pauvres de New York, du Bronx à East Harlem. L’exposition, suivant un parcours chronologique, met en lumière l’évolution de ce théâtre urbain, intégrant ses travaux de films documentaires et ses premiers pas en tant que photographe couleur.
Imprégné d’un contexte économique difficile, le travail de Helen Levitt ne se limite pourtant pas seulement à documenter telles qu’elles les conditions de vie des plus défavorisés et les conséquences désastreuses de la Grande Dépression. Au contraire, il comporte une dimension artistique et esthétique réfléchie, notamment influencée par le surréalisme – que son ami le photographe Henri Cartier-Bresson lui fait découvrir – et le cinéma muet. Cette démarche est montrée dans l’exposition par la présentation de certaines photos et de leurs planches-contacts d’origine, dévoilant la manière dont la photographe retravaillait ses images. Ses photographies sont souvent recadrées, certains personnages coupés, pour ne laisser que l’essentiel et donner plus de force à ses prises de vue.
Libuše Jarcovjáková, Evokativ, Église Sainte-Anne
L’exposition Evokativ rassemble une sélection de photographies de Libuše Jarcovjáková prises entre 1970 et 1989, en Tchécoslovaquie communiste. La photographe nous emmène avec elle à la découverte des différentes atmosphères de la vie nocturne à Prague, bien à l’écart de l’oppression d’un régime qui laisse peu de place aux libertés.
Sortant du cadre académique et longtemps restée méconnue et incomprise, l’œuvre de Libuše Jarcovjáková est unique, empreinte d’un style très personnel, qui frappe tant par la crudité des thèmes abordés – amour, alcool, sexe, homosexualité, dépression, autodestruction – que par la spontanéité de la technique employée.
Outre ses propres émotions captées par le détail d’un objet, d’un autoportrait ou d’une partie du corps de ceux et celles qui ont partagé sa vie intime, les images saisies par la photographe dévoilent la rue et les bars de nuit pragois qu’elle fréquentait, ses amis, les familles tziganes qui l’invitaient à leurs fêtes, les ouvriers vietnamiens et cubains à qui elle enseignait le tchèque ou encore le T-Club, lieu caché de rencontres de la communauté LGBT.
Libuše Jarcovjáková photographie sans retenue, n’ayant crainte de l’imperfection de ses clichés, afin de répondre à son besoin compulsif de fixer tout ce qui l’entoure et ce qu’elle ressent sur le vif, à l’état brut. Le spectateur est donc plongé à la fois dans l’intimité de l’artiste et des personnes qu’elle rencontre, se retrouvant face à une photographie authentique, prise dans l’instant présent, généralement au flash et ne laissant aucune échappatoire à ses sujets.
La Movida, Chronique d’une agitation, 1978-1988, Palais de l’Archevêché
Au cœur de la ville, le Palais de l’Archevêché accueille pendant les Rencontres une exposition dédiée à la Movida. Quatre photographes, témoins et acteurs de ce mouvement culte apparu au tournant des années 1980 en Espagne, notamment à Madrid, sont présentés : Alberto García-Alix, Pablo Pérez-Minguez, Miguel Trillo et Ouka Leele. Une photo de cette dernière a d’ailleurs été choisie pour l’affiche des Rencontres 2019.
Après la mort de Franco en 1975, l’Espagne se réveille de quatre décennies de dictature et voit naître une nouvelle génération assoiffée de renouveau et de modernité créatrice. Véritable révolution culturelle, la Movida s’empare de la musique, de la mode, du cinéma, du théâtre, de la danse, de la peinture et de la photographie. Pedro Almodóvar tourne ses premiers films tandis qu’apparaissent de nombreuses revues telles que Madrid me mata qui véhiculent prises de position et idées. Madrid se transforme peu à peu et commence à sortir davantage la nuit que le jour. Les quatre artistes présentés nous offrent chacun leur propre regard et technique de travail sur cette transition singulière dans l’histoire espagnole.
Miguel Trillo s’est attaché à photographier la vie nocturne madrilène, particulièrement les différentes tribus et leurs signes d’appartenance. Le photographe partait à la rencontre des groupes dans la rue, aux sorties des concerts, discutait avec eux avant de les faire poser : « C’est une création à partir de fragments de réalité. On dirait l’écho d’un aller sans retour. Le retour, c’est la photo. ». Mais Miguel Trillo précise « Les journaux n’acceptaient pas mon travail parce qu’il s’agissait de photos ‘’posées’’, mais le monde de la photo créative n’en voulait pas non plus parce qu’elles étaient trop ‘’faciles’’. Moi, ce qui m’intéressait, c’était l’exploration du symbole, sa répétition et sa variation, et je suppose que cela a à voir avec ma formation de philologue. Un mot est une image camouflée parmi des lettres. »
Philippe Chancel, Datazone, Église des Frères Prêcheurs
Né en 1959, Philippe Chancel a parcouru le monde pendant les quinze dernières années, explorant des zones parmi les plus sensibles pour témoigner du déclin de notre planète. Proche du photojournalisme, le projet Datazone commence en 2005 en Corée du Nord et suit un cycle composé de quatorze parties dédiées chacune à un site géographique : de l’Afghanistan aux États-Unis, en passant par les Émirats Arabes Unis, le Nigeria ou l’Antarctique, Philippe Chancel passe les frontières les plus fermées des quatre coins du monde.
Présentée dans l’église des Frères Prêcheurs datant de la fin du XVe siècle, l’exposition offre une scénographie originale réalisée par Adrien Gardère, avec des grands formats suspendus dans la nef et un marquage au sol guidant vers le chœur et les chapelles, chaque espace étant dédié à l’une des quatorze zones.
Le photographe ajoute un prologue et un épilogue à son travail, dédiés tous deux à la gloire et à la chute de deux grandes civilisations, les reines nubiennes de Méroé au Soudan et l’empire Xi’an en Chine. Tandis que l’un figure aujourd’hui parmi les pays les plus pauvres du monde, l’autre devient l’une des plus grandes puissances mondiales.
Conçu comme un moyen de transgresser les barrières physiques comme mentales, ce projet d’envergure expose aussi bien des régions surmédiatisées de par leur situation économique, sociale ou géopolitique, que des zones secrètes ou interdites. Mais toutes sont représentatives de la globalisation et de ses conséquences : effets négatifs et toxiques de la modernisation et de la désindustrialisation sur l’environnement et destruction des écosystèmes. Datazone sonne l’alarme d’une planète en souffrance. Au Nigeria, Philippe Chancel photographie le désastre provoqué par l’exploitation pétrolière dans le delta du Niger. En Haïti, il témoigne des ravages de la dictature et des dérèglements climatiques. Selon le choix du lieu et sa mise en scène, le découpage en quatorze sections peut être également interprété comme le chemin de croix de ceux qui subissent les dérives du pouvoir.
Photo | Brut, Collection Bruno Decharme & Compagnie, Mécanique Générale
Pour la première fois en France, les Rencontres d’Arles dévoilent au public une catégorie d’œuvres inclassables, peu connues et étudiées, qui interrogent la relation entre photographie et art brut. L’exposition se situe au parc des Ateliers, à la Mécanique générale, et regroupe un ensemble de mystérieuses créations d’une cinquantaine d’artistes à l’histoire tourmentée.
Photo/Brut invite à découvrir de nouvelles formes d’expressions, à travers des photographies, des dessins, des découpages, des collages et des photomontages de personnes qui ne se destinaient à l’origine pas à une carrière d’artiste et dont le travail exclut toute influence esthétique et pratique artistique conventionnelle. Réalisées donc à partir d’expériences individuelles par des artistes auto-formés, généralement dans un contexte d’isolement et de marginalité – dans un espace confiné, en hôpital psychiatrique ou en prison – ces œuvres bouleversent nos repères en questionnant l’étrange, le commun, le réel et l’illusion.
Installé dans l’histoire de l’art et son marché depuis une soixantaine d’année, l’art brut, qui regroupe essentiellement peinture, dessin et sculpture, est un genre que l’on ne présente plus. Au contraire, celui de la photographie brute est relativement récent et très rarement exposé. Selon le collectionneur Bruno Decharme, qui a prêté une partie de sa collection pour l’exposition, cette catégorie est importante tant pour l’art brut que pour la photographie, car elle permet d’apporter un regard nouveau à ces deux univers.
Parmi les auteurs présentés, beaucoup d’anonymes, mais également certains noms connus. Morton Bartlett, présenté par une galerie new-yorkaise, moule des poupées en plâtre qu’il photographie puis qu’il expose dans son appartement. Marcel Bascoulard, collectionné par Bruno Decharme, est un marginal vivant dans des cabanes à Bourges qui se photographie au fil des années toujours dans la même position habillé avec des vêtements de femme qu’il confectionne lui-même, et ce jusqu’à ce qu’il meurt, assassiné. Après avoir grandi dans une institution pour enfants attardés, Henry Darger travaille dans plusieurs hôpitaux et constitue secrètement, dans la chambre qu’il occupe pendant quarante ans, une série graphique et littéraire de quinze mille page présentant les aventures parfois ludiques, parfois tragiques, de petites filles, les « Vivian Girls ». Suite à un traumatisme psychique important, Zdenek Košek est quant à lui persuadé de pouvoir maîtriser les phénomènes climatiques en relevant toutes sortes de données météorologique, des lettres, des chiffres ou des symboles sexuels dans des carnets, des cartes du monde ou des magazines. Enfin, l’exposition se clôt sur une série de clichés des années 1910, curieuses images capturant des phénomènes paranormaux, poussant encore plus loin la limite entre le visible et l’invisible de ce que peut saisir l’objectif de l’appareil photo.
INFOS PRATIQUES
Les Rencontres de la photographie
Arles
Expositions du 1er juillet au 22 septembre 2019
Accessibles tous les jours de 10h à 19h30, dernière entrée à 19h
Tarifs :
Forfait toutes expositions :
En ligne : 35€ - Tarif réduit : 27€
Sur place : 42€ - Tarif réduit : 34€
Forfait journée :
En ligne : 28€ - Tarif réduit : 23€
Sur place : 35€ - Tarif réduit : 30€
Gratuité : Arlésiens, jeunes de moins de 18 ans, bénéficiaires de l’AAH, RSA, ASS ou ASPA
Site officiel : www.rencontres-arles.com
Programme des ateliers et parcours : www.rencontres-arles.com/fr/agenda/