L'héritage des 500 000 - Carlotta Films
Publié par Stéphane Charrière - 2 septembre 2019
Catégorie(s): Cinéma, Sorties DVD/BR/Livres
Carlotta Films profite généralement de l’été pour éditer en DVD/Blu-ray des films inattendus, des succès commerciaux datés ou des films devenus au fil du temps "cultes". Les choix de l'éditeur parviennent quelques fois à réunir et compiler les qualités décrites ci-dessus et, finalement, à constituer une nouvelle catégorie de films : des raretés qui attisent la curiosité de la cinéphilie. C’est le cas avec L’héritage des 500 000, seule réalisation de l’acteur japonais Toshiro Mifune révélé en Occident par sa longue et fructueuse collaboration avec Akira Kurosawa (16 films). Le film s’inscrit dans une période singulière du cinéma japonais qui voit Mifune se lancer dans la production de films (Mifune Productions) et la réalisation tout en poursuivant une carrière d'acteur des plus prolifiques.
Le film intrigue en bien des points : sujet a priori rentable commercialement (commando d'individus qui part vers une aventure extrême), équipe technique constituée, pour les postes principaux, de collaborateurs de Kurosawa (ce dernier viendra d’ailleurs épauler Mifune lors de la post-production et, à cette occasion, insistera pour que les équipes techniques tournent de nouveaux plans pour équilibrer L’héritage des 500 000), cohabitation entre Mifune producteur, Mifune réalisateur et Mifune comédien, etc.
L’héritage des 500 000 a pour sujet un événement devenu une légende au Japon. Durant la Seconde Guerre mondiale, le commandant Matsuo participe à l'ensevelissement de plusieurs milliers de pièces d'or dans la jungle philippine. Alors qu'il pensait ce trésor enfoui à tout jamais, un riche homme d'affaires, Mitsura Gunji, lui propose de partir à la recherche du butin. Contraint d'accepter, Matsuo retourne aux Philippines accompagné de quatre hommes recrutés par Gunji.
Le film reprend les codes du film d’aventures revisité par la constitution d’un groupe (improbable) d’individus. On aurait pu imaginer une variation existentialiste sur les adaptations de chacun aux impératifs de la mission ou à la cohésion d'un groupe social sur un modèle plus ou moins proche de Stagecoach de John Ford. Mais L’héritage des 500 000, par les choix de mise en scène et le casting mis en place par Mifune, observe plutôt les mutations en cours dans le cinéma japonais à l'aube des années 1960. Ces changements internes au cinéma japonais se vérifient principalement par la présence au générique de différentes générations de comédiens. Les plus jeunes sont manifestement de plus en plus perméables aux attitudes occidentales et sont, surtout, marqués par l’empreinte des réalités japonaises de l’après-guerre. La mise en scène est sobre, pragmatique et s’en remet assez régulièrement à l’alchimie qui se crée entre les personnages du film.
La photographie impressionne et conditionne fortement le rapport du spectateur au film. Au début de L'héritage des 500 000, les tonalités de gris produites par le noir et blanc uniformisent les personnages, peu de relief, tout est terne et sans aspérité. Elle restitue ainsi l'idée d'une société japonaise qui nivelle les potentialités de chacun pour assujettir les individus aux standards comportementaux fixés par le désir de reconstruction du pays. Puis, lorsque Gunji apparaît, les doutes resurgissent et s'emparent de Matsuo. Le ressenti de ce dernier envahit le cadre. Les contrastes sont plus présents, plus marqués jusqu'à ce qu'ils culminent dans les scènes tournées aux Philippines où l'espace se transforme en questionnement sur le passé et le présent du Japon de l'après-guerre.
L'héritage des 500 000 n'est certes pas le film qu'il faut avoir vu pour comprendre le cinéma japonais des années 1960 mais il s'inscrit dans une logique de production tiraillée par la volonté de rentabiliser l'investissement consenti (sujet à la mode, acteurs respectées par différentes générations de spectateurs) et le souhait de proposer une œuvre sur la condition humaine qui serait en adéquation avec le quotidien japonais de l'époque.
L'image proposée sur ce Blu-ray édité par Carlotta Films souligne avec justesse les points forts techniques du film.
Pour ce qui est des suppléments, la préface de Pascal-Alex Vincent (7 min) a le mérite d'apporter de manière concise et essentialiste quelques précisions sur la production du film.
Le complément le plus alléchant de ce travail éditorial reste cependant Mifune, le dernier des samouraïs un film réalisé par Steven Okazaki consacré à la personnalité de Toshiro Mifune. Agrémenté d'interlocuteurs prestigieux (Steven Spielberg, Martin Scorsese, Kyoko Kagawa, etc.), le document bénéficie de la présence de photographies rares de l'acteur. Riche et très bien construit, le film passionne de bout en bout.
Crédit photographique : L’HÉRITAGE DES 500 000 © 1963 Toho Co., Ltd. Tous droits réservés.
Suppléments :
. Préface de Pascal-Alex Vincent
. Mifune, le dernier des samouraïs
un film de Steven Okazaki (2016 – Couleurs et N&B)
Retour sur Toshiro Mifune, la star internationale du cinéma japonais. Un documentaire narré par Keanu Reeves, avec notamment les témoignages inédits de Steven Spielberg, Martin Scorsese, Kyoko Kagawa et Koji Yakusho.
. Bande-annonce 2019
Inclus le fac-similé du dossier de presse d'époque en japonais (20 pages)