Splitscreen-review Image de Mindhunter de David Fincher

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Mindhunter Saison 1 et 2

Publié par - 12 février 2020

Catégorie(s): Séries TV / V.O.D.

S’inspirant des écrits de John E. Douglas, ex-agent du FBI, Mindhunter, série produite et réalisée, entre autres, par David Fincher (nous y reviendrons), a pour ambition de décrire la genèse du profilage criminel. C’est par le prisme des agents Holden Ford (Jonathan Groff) et Bill Tench (Holt McCallany) rejoints plus tard par la psychologue Wendy Carr (Anna Torv) que Mindhunter se développe. Trois personnages qui constituent à l’évidence trois axes de lecture afin de permettre la mise en place d’une pluralité des points de vue. Il s'agit également de diversifier l'approche des cas observés comme des théories échafaudées pour comprendre les ressorts de ce type de criminalité. Mais ces ramifications dramaturgiques ne sont qu’une palette d’outils nécessaires au spectateur afin de procéder à une véritable analyse psychologique des personnages.

Les enjeux de Mindhunter sont ailleurs. La série porte un regard direct, sans détour sur l’époque décrite et l’incapacité institutionnelle à comprendre le fonctionnement d’un esprit criminel. Dans un monde ou la compréhension de soi n’a rien d’aisé, il est évident que celle d’autrui relève du défi. Plusieurs scènes aboutissent froidement au même constat ; sans changement profond des pratiques et des mentalités la seule issue possible pour éviter toute désagrégation de l’esprit ne peut être que la mort. Tout cela résulte de l’instauration progressive d’un néant existentiel où la décomposition des valeurs américaines entre en collision avec les aspirations morales de cette époque. Dans un système où l’humain se contente de suivre des règles et des codes qui participent à une déshumanisation et à la destruction de la notion de collectif, comprendre ce qui tourmente et pousse à agir l’individu semble dérisoire.

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C’est donc par l’intermédiaire de nombreux trajets sur le territoire US qui sont autant de déplacements professionnels que les deux agents, aux caractères opposés mais complémentaires, vont cartographier les dysfonctionnements de l’Amérique. Ainsi ils rencontrent différents criminels afin d’alimenter leur étude ou de mettre en pratique les déductions qu’ils font de ces rencontres. Holden Ford, jeune agent fougueux, est le premier à se lancer dans ces interviews avec pour premier sujet Ed Kemper. Grâce aux échanges avec le tueur en série, Ford atteint un niveau de compréhension de l’esprit criminel jamais atteint. Phénomène qui tourne assez rapidement à l'obsessionnel. Holden Ford croit en la science analytique jusqu’à en devenir toxique pour les autres et va jusqu'à « s’asphyxier » ou s'extraire du monde. Les protagonistes composent avec un système aux techniques archaïques et bien ancrés, impossible à adapter à l'évolution des mentalités et se déresponsabilisant de ses propres erreurs. Mindhunter dresse un portrait des tueurs en série bien loin du mythe. Le sujet de la série est l’esprit qui anime le criminel et non pas l'expression de cet esprit sous la forme du meurtre.

La saison 2, exemplaire des problèmes inter-services de l'institution policière, prend pour décor principal ou comme fil conducteur la ville d’Atlanta et les meurtres qui y furent perpétrés de 1979 à 1981. La série se concentre à cette occasion davantage sur Bill Tench qui doit affronter une situation familiale des plus complexes. L'agent du FBI doit faire face aux frustrations de sa femme et aux tourments de son fils Brian, adopté et souffrant de trouble de l’attachement. Brian exprime par son silence la passivité qui caractérise l’attitude de son père, Bill, dans le cadre familial. Brian synthétise aussi, d’une certaine manière, les recherches et interrogations professionnelles de son père. Le cas que l'enfant incarne finit par se juxtaposer finalement aux sujets d'étude de Bill Tench. Ce dernier rejettera d’ailleurs avec véhémence cette interpolation possible entre l’intime et le public lors de l’entretien avec Charles Manson. Manson, en fin psychologue et manipulateur "mabusien", soulève quelques questions qui contraignent Bill à se confronter à ses contradictions et craintes profondes.

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Bien qu’il n’a réalisé que sept épisodes (sur dix-neuf) l'empreinte de Fincher est bien présente. À ce titre, des accointances avec Zodiac sont évidentes du fait des coïncidences historiques, chronologiques et scénaristiques. Mais au-delà de cette parenté indéniable entre ces œuvres, Fincher, formellement, reste fidèle à lui-même et fait usage des ressources techniques à disposition avec subtilité. Le cinéaste fixe un cap narratif et un modèle stylistique qui perdureront tout au long des épisodes : une caméra quasi omnisciente, la colorimétrie qui se définit et s’affine avec l’ajout de VFX discrets, focales, mouvements de caméra, etc. De la même manière, Fincher, par le biais des effets spéciaux (comme c'est le cas depuis L'étrange histoire de Benjamin Button et le sommet atteint avec The social network), exploite l'outil VFX pour installer l'illusion d'une réalité et la rendre tangible afin d'apporter du crédit à son propos.

Si l'esthétique ne souffre jamais des changements de metteurs en scène, malheureusement, son absence derrière la caméra se fait sentir sur certains épisodes. La cinétique (mouvements de caméra) perd parfois en maîtrise, en finesse et en texture. La présence de la caméra se fait physiquement ressentir alors que, chez Fincher, elle a tendance à s’effacer. On notera par ailleurs, en terme de continuité et de cohérence, la composition de l’univers sonore de Jason Hill qui, par sa sobriété, participe grandement à l’ambiance angoissante de Mindhunter. L’usage de sonorités acérées n’est pas sans rappeler les codes de l’horreur, plongeant le spectateur dans une inquiétude qui est aussi source de réflexions.

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Mindhunter, au final, enferme et pilote le spectateur à travers des espaces mentaux afin de développer une réflexion analytique sur la psyché de ses personnages. Chaque lieu est un reflet de l'âme des protagonistes nous permettant ainsi de sonder plus précisément ces derniers qui ne sont autres que nos reflets sur l’écran. Mindhunter se veut riche. Riche en détails, en réflexions, en atmosphères. Mindhunter est une mosaïque qui décrit un monde qui produit ses monstres et qui, de cette manière, s’autodétruit. Fincher travaille le détail à l’excès pour que l’immersion soit totale : le grain de la pellicule, l’utilisation d'un modèle unique de caméra (RED Xenomorph) en prévision des VFX, les échos musicaux qui associent certains personnages entre eux à distance et à travers le temps, etc. Tout est fait pour plonger le spectateur dans un espace brumeux ou chaque volute n’est en fait qu’une invitation à l’analyse et à l’introspection. Ainsi, pour notre plus grand plaisir, Mindhunter se présente comme une série qui affiche nombre de concordances avec l'âge d'or du film noir.

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Crédit Images : ©Netflix et Copyright FR_tmdb

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