Accueil > Cinéma > Alberto Lattuada : Guendalina et Les Adolescentes

Alberto Lattuada : Guendalina et Les Adolescentes

Publié par - 30 juillet 2020

Catégorie(s): Cinéma, Critiques

En clôture de ce mois de juillet qui a vu les spectateurs réinvestir les salles obscures, Les Acacias propose au public de redécouvrir deux œuvres d’Alberto Lattuada restaurées en 4K :  Guendalina (1957) et Les Adolescentes (1960)

Né en 1914, Lattuada est un cinéaste qui a connu la mutation de l’Italie unifiée, la montée et la chute du fascisme et le traumatisme de la guerre. C’est avec un œil de « l’ancien temps » que le cinéaste observe la jeunesse de l’après-guerre, non-traumatisée par le fascisme et jouissant du « miracle » économique italien de la fin des années 50. Cet âge ingrat qui, précipité dans la dureté du monde adulte, est devenu un âge à part entière : l’adolescence. Cette charnière où les rêveries enfantines se confrontent à la réalité de la chair et du désir. C’est également le moment ou l’individu doit sacrifier le confort de l’enfance pour découvrir le monde tel qu’il est.

 

Guendalina, se déroule à Viareggio, station balnéaire de Toscane. Guendalina (Jacqueline Sassard) est une jeune fille de la haute bourgeoisie qui profite dans l’oisiveté des vacances d’été passées en compagnie de ses amis. Cependant, les vacances touchent à leur fin, ses amis s’en vont et Guendalina est confrontée à la possible rupture de ses parents, ce qui annule leur voyage à Venise et en Autriche.  Elle fait alors connaissance avec la population locale et notamment avec Oberdan (Raf Mattioli), étudiant en architecture, issu d’un milieu modeste. Bien que d'un âge proche, un fossé socioculturel sépare les deux adolescents, notamment dans le regard qu'ils portent respectivement sur autrui. Guendalina est une « princesse », une enfant gâtée qui s’ennuie et qui a besoin de divertissements. Pour elle, comme pour son père volage, l’amour est un grand jeu. Cela se vérifie, entre autres, dans une scène de badinage téléphonique entre les deux adolescents : Guendalina poursuit ses minauderies tout en jouant avec une maquette de bateau. Oberdan, quant à lui, est tiraillé entre ses révisions d’examens, les besoins de sa famille et les caprices de Guendalina.

On constate, dès ce film, l’importance de l’espace et du décor dans la mise en scène de Lattuada (le cinéaste était d’ailleurs diplômé en architecture). Dans Guendalina, l’environnement traduit ce que les personnages n’expriment pas. La maison des parents de Guendalina est grande, moderne, remplie d’œuvres d’art, parfaitement ordonnée et entretenue par les domestiques. Cependant cette opulence dissimule un vide, elle souligne l’ennui de ses occupants qui la comblent par de nouvelles acquisitions et par de nombreux conflits familiaux. Paradoxalement, l’appartement d’Oberdan est simple, les membres de la famille sont les uns sur les autres, en constante activité et tout objet qui viendrait à manquer est constaté par la matriarche (notamment l’imperméable qu’Oberdan prête à Guendalina).

 

Malgré cette différence de milieu et de caractère, la passion amoureuse s’empare des deux adolescents et parvient à combler ce qui fait défaut à chacun. La patience et la simplicité d’Oberdan font oublier à Guendalina le divorce de ses parents tandis que l’extraversion de la jeune fille libère le jeune homme de la pression des examens et de sa timidité.

À la fois très ancré sans son époque et à la fois intemporel, Guendalina porte un regard discret sur ce phénomène des grandes vacances au cours desquelles les amitiés et les amours éphémères foisonnent. Néanmoins, au contraire de bien d’autres films qui abordent le sujet, Lattuada se focalise sur le moment où l’idéal s’estompe et où l’ennui s’installe. Comme l’entrée dans l’âge adulte, c’est souvent hors de la zone de confort que les plus belles histoires se font.

 

L’émancipation est également la thématique principale du second film de cette réédition 4K, Les Adolescentes, qui suit la journée singulière d’une lycéenne prénommée Francesca (Catherine Spaak). La singularité de cette journée est supposée dès la scène d’ouverture. Elle commence sur un fond de musique angoissante et montre Francesca de dos en train de dormir paisiblement jusqu’à ce que son sommeil s’agite. La musique disparaît pour laisser place à un jazz langoureux tandis que le cadre s’élargit pour dévoiler le corps de la jeune fille en plein rêve érotique. Francesca se réveille en sursaut, accompagnée de la première musique à laquelle s’est ajouté un son horrifique d’orgue. Par ses gestes et expressions, Francesca semble à la fois apeurée et touchée d’une épiphanie. Elle semble découvrir la sensualité de son corps de femme. On comprend alors que cette journée sera une longue errance sur la question du désir et de l’amour physique.

 

Francesca commence tout d’abord par sécher les cours pour aller confier ce rêve à l’objet même de son fantasme : Enrico (Christian Marquand), un architecte divorcé de vingt ans son aîné. Une fois son désir exprimé elle prend la fuite et retourne à l’école. La journée est alors ponctuée de diverses rencontres au cours desquelles elle va pouvoir se forger une opinion sur la question sexuelle. À l’instar de la musique qui alterne entre plusieurs styles, Francesca reste partagée entre la vision de la sexualité qui est celle de ses camarades de classe et l’usage qu’en font les adultes.

Parmi les jeunes filles, certaines pensent que la virginité est une valeur ajoutée pour satisfaire un futur mari, d’autres restent apeurées par l’amour physique et s’enferment dans une considération platonique du rapport amoureux ou tirent un trait sur les hommes. Dans les deux cas, l’expérience charnelle est encore opaque. Chez les adultes, c’est le contraire. Le sexe est cyniquement vidé de sa substance sentimentale : il n’est plus qu’un moyen pour la Comtesse (Milly) d’amadouer le consommateur et les créanciers ou le seul moyen par lequel survit la relation décadente entre la Princesse (Giovanna Pignatelli) et Renato (Jean Sorel). On comprend alors mieux le titre original du film I Dolci Inganni soit « les douces tromperies ».

 

Cette première partie du film se clôt par plusieurs évocations de la mort, du deuil. L’imagination innocente de la jeune fille est confrontée à la réalité d’un monde imparfait. Lattuada se passe des dialogues pour marquer cette transition et favorise l’usage de la musique et du plan fixe. Tout passe par l’expression de Francesca blottie contre un jukebox dans un café à écouter Arrivederci de Nicola Argiano. La longueur du plan nous laisse contempler la peine de la jeune fille tandis que les paroles du chanteur décrivent une rupture avec un être cher pour retranscrire une idée de l’insouciance adolescente. Il ne lui reste plus qu’à aller de l’avant.

À la manière de Dante dans La Divine Comédie, Les Adolescentes décrit les pérégrinations de Francesca dans plusieurs lieux ou le désir varie à chaque nouveau sujet. Chaque étape est comme une marche de plus vers ce qu’est le juste milieu entre le physique et le platonique. À l’instar de Virgile, c’est le poète Giacomo Leopardi qui accompagne la jeune femme. Renommé pour sa description de la fragilité de la condition humaine, il est plusieurs fois mentionné par les personnes que Francesca rencontre et chacune donne son propre avis sur le poète.

Cette réédition des deux films d’Alberto Lattuada nous offre également l’opportunité de redécouvrir en haute qualité un regard précurseur sur le féminin. Dans ces deux films, le personnage principal n’est pas enfermé dans un archétype. Il est considéré dans toute la complexité qu’implique cette mutation de la fille à la femme et cela sans aucune trivialité excessive. À l’exhibition, le cinéaste favorise l’érotisme du détail, la force des expressions. Les flottements de jupons, les silhouettes dans la pénombre, la chute des reins ; tout contribue à un éloge cinématographique de la féminité aussi séduisante qu’énigmatique.

 

© Carlo Ponti S.P.A – CEI Incom – Les Films Marceau – TF1 Droits Audiovisuels

© Titanus – Laetitia Rome – TF1 Droits Audiovisuels – S.G.C.

Partager